Ce mandat du BAPE ne relève pas de la procédure régulière d'évaluation et d'examen des impacts sur l'environnement [1], mais est plutôt donné en vertu des pouvoirs généraux du ministre et de l'article 6.3 de la Loi sur la qualité de l'environnement (ci-après LQE). Au Québec, faute d'un encadrement législatif et réglementaire d'une procédure d'évaluation environnementale stratégique, permettant l'évaluation de plans, politiques ou programmes gouvernementaux, c'est en vertu de ce pouvoir discrétionnaire du ministre qu'on peut espérer faire l'analyse d'une filière, comme celle des gaz de schiste, en amont des projets de développement particuliers. Cependant, la décision ministérielle de limiter le mandat à cinq mois, de ne couvrir que trois régions administratives et de donner un mandat écartant par avance toute remise en question du développement de cette industrie est irrespectueuse de nombreux principes entourant la participation publique et l'évaluation environnementale.
Par ailleurs, l'absence d'information préalable à la consultation du public est une autre lacune fondamentale du processus suivi. Aucun document de consultation n'existait au début du mandat et, contrairement à ce qui s'est vu par le passé, le BAPE n'avait ni les moyens, ni le temps, ni le mandat d'en réaliser un. Le document devant servir de base à cette consultation a été déposé par le Ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) le 15 septembre, soit 8 jours après le début officiel du mandat du BAPE [2]. Ce document comporte de sérieuses lacunes et ne correspond pas à ce que l'on est en droit de s'attendre d'une étude d'impact environnemental ou d'un document devant servir de base à une consultation publique. Par exemple, il passe totalement sous silence la Loi sur le développement durable [3], la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection [4] ainsi que les engagements formels du gouvernement du Québec et du Canada en matière de réduction des gaz à effet de serre (GES). Pour sa part, le Ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP) a produit son document le jour même du début des audiences publiques, le 4 octobre [5]. Cela ne respecte pas les principes juridiques entourant l'évaluation environnementale et peut difficilement permettre d'atteindre les objectifs recherchés.
Un cadre légal et réglementaire inadapté à cette industrie naissante
Présentement, le cadre juridique entourant l'industrie naissante des gaz de schiste est inadapté. La Loi sur les mines a fait la preuve de son inaptitude à assurer la protection de l'environnement, celle des ressources naturelles collectives visées ainsi que l'information, la consultation et la participation du public dans ce domaine. Elle contient d'importantes dispositions dérogatoires [6] à la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels [7], annule différents pouvoirs des municipalités [8] et donne à l'industrie un pouvoir d'expropriation qui lui assure un rapport de force exceptionnel pour négocier avec les propriétaires des ententes "gré à gré" concernant l'utilisation des terrains nécessaires aux activités de l'industrie [9].
Quant à la Loi sur la qualité de l'environnement, les forages exploratoires réalisés ont montré son inadaptation face aux réalités de cette industrie. Les audiences ont permis de se rendre compte de la confusion qui existait, au sein de différents ministères (MDDEP et MRNF) ou de régions administratives différentes (MDDEP), quant aux types d'autorisations nécessaires. Le ministre a dû émettre une "note d'instruction" pour tenter de clarifier les exigences quant au certificat d'autorisation à accorder selon l'article 22 de la LQE. La LQE prévoit actuellement un traitement différent selon ce qu'un forage est "exploratoire" ou pour "l'exploitation", en présumant que les impacts environnementaux des premiers sont minimes par comparaison aux seconds. Or, comme l'ont montré les audiences, une telle distinction ne tient pas la route pour les forages effectués par l'industrie des gaz de schiste. L'hydraufracturation, soit l'injection de milliers de mètres cubes d'eau sous haute pression dans le sous-sol, est essentielle à tout forage effectué pour trouver des gaz de schiste, que ce soit en mode exploratoire ou d'exploitation. Au contraire de ce qui se passe en milieu minier traditionnel, l'essentiel des impacts environnementaux et sociaux occasionnés par cette industrie se déroule au moment des forages dits "exploratoires".
De nouvelles obligations dont l'État doit tenir compte
Par ailleurs, l'analyse de la filière des gaz de
schiste et de son éventuel développement doit impérativement tenir
compte de la Loi sur le développement durable et
des 16 des principes juridiques qui y sont affirmés. Le mémoire passe en
revue chacun de ces principes juridiques qui, selon nous, trouvent tous
application dans ce cas-ci. Le mémoire s'attarde particulièrement sur
ceux "d'équité et solidarité sociales", de "participation et
engagement", "d'accès au savoir", de "précaution" et de
"pollueur-payeur". L'analyse de ces principes montre l'ampleur des
questions soulevées et la faiblesse des réponses apportées jusqu'ici. De
nombreuses informations manquent toujours pour permettre de prendre une
décision éclairée.
Ces informations sont aussi essentielles pour évaluer si le développement de l'industrie des gaz de schiste peut respecter les principes juridiques établis dans la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection. Cette loiinvestit l'État de nouvelles responsabilités relativement à la protection et à la gestion de l'eau, définissant ainsi avec davantage de précision son rôle de "gardien de la ressource eau", et lui attribue de nouveaux pouvoirs pour remplir ce rôle. Après avoir rappelé le contenu de ces nouvelles obligations, le mémoire conclut que l'État québécois ne joue pas correctement son rôle de gardien de cette ressource commune dans le processus actuel d'autorisation entourant les gaz de schiste. On y propose donc de renforcer le contrôle environnemental du MDDEP sur l'industrie des gaz de schiste. De même, le mémoire fait clairement ressortir que de nombreuses informations manquent afin d'évaluer correctement si les objectifs du Plan d'action du gouvernement sur les changements climatiques [10] peuvent être atteints, advenant le développement des gaz de schiste.
Une analyse signée Jean Baril, pour GaïaPresse, accessible dans sa totalité en cliquant sur le lien ci-dessous.
Mots-clés : Évaluation environnementale, BAPE, gaz de schiste, participation publique, accès à l'information, développement durable.
Sources :
[1] Loi sur la qualité de l'environnement, L.R.Q. c. Q-2, art. 31.1 à 31.9 et règlements afférents.
[2] MINISTÈRE DES RESSOURCES NATURELLES ET DE LA FAUNE, Le développement des gaz de schiste au Québec. Document technique, 15 septembre 2010, 30 pages.
[3] L.R.Q., c. D-8.1.1.
[4] L.R.Q., c. C-6.2.
[5] MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE, DE L'ENVIRONNEMENT ET DES PARCS, Les enjeux environnementaux de l'exploration et de l'exploitation gazières dans les basses-terres du Saint-Laurent, octobre 2010.
[6] Loi sur les mines, L.R.Q., c. M-13.1, art. 215 al. 3 et art. 228. À ce sujet voir : Jean BARIL, Un trou béant dans le droit d'accès à l'information environnementale, GaïaPresse.
[7] L.R.Q., c. A-2.1.
[8] Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, L.R.Q., c. A-19.1, art. 246.
[9] Loi sur les mines, précitée, note 7, art. 235 et 236.
[10] Le Québec et les changements climatiques : un défi pour l'avenir, Plan d'action 2006-2012, Juin 2006,. L'Assemblée nationale a aussi adopté des moyens pour atteindre ces objectifs, par la Loi
modifiant la Loi sur la qualité de l'environnement et d'autres
dispositions législatives en matière de changements climatiques, L.Q. 2009, c.33.
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Mémoire du CQDE et de la CRCDE sur les gaz de schiste (565 hits)
04/09/24 à 08h48 GMT