Seul survivante de la plus ancienne lignée des plantes à fleurs, Amborella est le dernier témoin de la formidable réussite biologique de ces plantes depuis des millions d'années. Le séquençage de son génome, qui vient d'être publié dans la revue Science, permet de mieux comprendre l'évolution de ces plantes, qui a conduit à une incroyable diversité de plus de 300 000 espèces recensées aujourd'hui.
Les chercheurs retracent également l'histoire d'Amborella elle-même, montrant des mécanismes évolutifs très originaux chez cet arbuste, dont l'ADN dit " mitochondrial " contient aujourd'hui des génomes entiers d'autres espèces. Enfin, en Nouvelle-Calédonie, dont la plante est endémique, ils soulignent l'existence de deux zones refuges lors des périodes glaciaires, sans lesquelles elle ne serait plus là aujourd'hui pour témoigner du passé.
Une fenêtre ouverte sur l'ancêtre commun
Pourquoi les plantes à fleurs ont-elles soudainement proliféré sur Terre il y a des millions d'années ? Pour lever une partie du voile sur cette énigme, les chercheurs du " Projet Génome Amborella ", piloté par la Penn State University aux Etat-Unis et réunissant des scientifiques d'une dizaine de pays, se sont penchés sur cet arbuste néo-calédonien. En effet, celui-ci est le dernier vestige de la plus ancienne lignée des plantes à fleurs. Cela fait de lui une sorte de témoin de ces temps anciens. En particulier, le séquençage de son génome a permis aux chercheurs de reconstruire celui de l'ancêtre commun de toutes les plantes à fleurs, révélant que ce dernier a vu son génome doubler il y a environ 200 millions d'années. Autrement dit son ADN a été " dupliqué ", c'est-à-dire entièrement copié, jusqu'à dénombrer 14 000 gènes codants. Ce mécanisme moléculaire, appelé " duplication ", constitue un des moteurs de l'évolution. En effet, parmi ces 14 000 gènes codants, beaucoup ont par la suite évolué au cours des temps géologiques, pour offrir aux plantes à fleurs de nouvelles fonctions, comme la capacité des graines à stocker les réserves nutritives. Ces travaux révèlent que c'est ce doublement du génome de leur ancêtre commun qui a ensuite permis aux plantes à fleurs d'atteindre l'incroyable diversité de plus de 300 000 espèces observée aujourd'hui.
La mémoire de l'évolution conservée
En parallèle, les chercheurs de l'IRD ont analysé la variabilité génétique au sein des populations d'Amborella en Nouvelle-Calédonie, afin de reconstituer son histoire évolutive dans son aire naturelle. Les génomes de chaque population d'Amborella montrent que leur ancêtre commun remonte à moins de 2 millions d'années. Les scientifiques observent également une réduction drastique des effectifs il y a environ 320 000 ans, suivie par une série d'autres plus ou moins importantes. Pourquoi les populations d'Amborella ont-elles ainsi décliné ? La question reste en suspens.
Tout au long de son évolution, la diversité génétique d'Amborella s'est structurée en quatre groupes géographiquement distincts sur la Grande-Terre, pour occuper une niche écologique large. Les chercheurs soulignent également l'existence de deux massifs qui ont pu servir de refuge lors des dernières périodes glaciaires (il y a ~21 000 ans) et à partir desquels Amborella aurait par la suite recolonisé de nouveaux territoires. Sans la présence de ces deux refuges glaciaires, elle aurait connu le sort de nombreuses autres espèces calédoniennes : elle n'aurait pas survécu jusqu'à nos jours pour, entre autre, permettre aux scientifiques de remonter dans le passé des plantes à fleurs.
Plusieurs génomes en un
Autre découverte majeure, également publiée dans Science : les chercheurs de l'IRD ont contribué à mettre à jour chez Amborella un mécanisme très original de transfert depuis d'autres espèces végétales de génomes dits " mitochondriaux ". L'ADN mitochondrial, ou " ADNmt ", est distinct de l'ADN contenu dans le noyau de la cellule. Cet ADN spécifique permet de retracer la lignée maternelle dans les arbres phylogénétiques des espèces. Il est donc très étudié par les généticiens des populations. Les chercheurs ont séquencé celui d'Amborella, révélant qu'il a intégré ceux de six autres espèces, dont d'autres plantes à fleurs apparues après l'arbuste néo-calédonien. De tels transferts " horizontaux ", autrement dit d'espèce à espèce sans passer par la voie sexuée, ont déjà été mis en évidence pour de simples gènes isolés. Mais c'est la première fois que les scientifiques observent ce mécanisme à l'échelle de génomes mitochondriaux entiers ! Dans cette même étude, les chercheurs avancent un modèle pour expliquer ce singulier phénomène, encore mal compris.
Veiller sur Amborella, menacée par la dégradation de son habitat, et améliorer sa préservation localement relève d'une responsabilité mondiale. La plante fait l'objet aujourd'hui d'un programme de conservation, soutenu notamment par la Fondation de France.
Bon à savoir
Amborella est une plante arbustive de 6 à 8 mètres de hauteur, relativement abondante dans le centre de la Grande Terre de Nouvelle-Calédonie. Elle est l'unique représentante de son genre et de la famille des Amborellacae.
Le règne végétal est divisé en deux groupes : les plantes sans fleurs, aussi appelés gymnospermes, constituées de fougères, mousses, etc. ; et les plantes à fleurs, ou angiospermes, apparues il y a plus de 200 millions d'années.
Glossaire
ADN : acide désoxyribonucléique qui constitue la molécule support de l'information génétique, c'est-à-dire qui porte les gènes. Génome : ensemble du matériel génétique d'un individu ou d'une espèce codé dans son ADN. Le génome nucléaire est contenu dans le noyau. Le génome mitochondrial est contenu dans des organites des cellules, et non dans le noyau. Gènes codants : gènes dont l'information conduit entre autres aux protéines. Mitochondrie : organite cytoplasmique, siège de la respiration cellulaire et de la production d'énergie.Partenaires
En France : CNRS, INRA-AgroParisTech, Institut agronomique néo-calédonien (IAC) et université de la Nouvelle-Calédonie (UNC). La majeure partie de ce travail a été financée par le programme " Plant Genome Research " de la National Science Foundation (NSF) ainsi que par l'action incitative " Ambres " de l'IRD.
Références
Amborella Genome Project. The Amborella Genome and the Evolution of Flowering Plants. Science, 20 décembre 2013, Vol. 342 no. 6165.
DOI: 10.1126/science.1241089.
Rice, D., A. Alverson, A. Richardson, G. Young, M. Sanchez-Puerta, J. Munzinger, K. Barry, J. Boore, Y. Zhang, C. dePamphilis, E. Knox, and J. Palmer. Horizontal Transfer of Entire Genomes via Mitochondrial Fusion in the Angiosperm Amborella. Science, 20 décembre 2013, Vol. 342 no. 6165 pp. 1468-1473 DOI: 10.1126/science.1246275.
Poncet Valérie, Munoz François, Munzinger Jérôme, Pillon Yohan, Gomez Céline, Couderc Marie, Dubreuil Tranchant Christine, Hamon Serge, Kochko Alexandre de. Phylogeography and niche modelling of the relict plant Amborella trichopoda (Amborellaceae) reveal multiple Pleistocene refugia in New Caledonia. Molecular Ecology, 2013, 22 (24), p. 6163-6178. ISSN 1365-294X
Valérie Poncet, chercheuse à l'IRD
valerie.poncet@ird.fr ; T : 33 (0)4 67 41 62 51
Alexandre de Kochko, chercheur à l'IRD
alexandre.dekochko@ird.fr ;
T : 33 (0)4 67 41 63 11
UMR Diversité, adaptation et développement des plantes - DIADE (IRD / université Montpellier 2)
Jérôme Munzinger, chercheur à l'IRD
jerome.munzinger@ird.fr
UMR Architecture, fonctionnement et évolution des plantes - AMAP (IRD / CIRAD / CNRS / INRA / univ Montpellier 2)
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04/09/24 à 08h48 GMT