L'orpaillage artisanal, une pratique encouragée par le gouvernement mauritanien (Illustration : Carsten Ten Brink, Flickr, ici des orpailleurs au Sénégal)
En novembre dernier, le président mauritanien Ghazouani dressait un bilan dans lequel il se félicitait de l’encadrement et du développement de l’orpaillage artisanal. Un choix surprenant pour l’observateur occidental, qui souligne le dilemme auquel font face les pays en développement entre croissance et préservation de l'environnement.
Très critiquée par les ONG, l’orpaillage illégal utilise de grandes quantités de mercure qui viennent contaminer les sols et l'eau, en plus d'entraîner des éboulements parfois mortels. Pourtant, le gouvernement mauritanien continue de tolérer, voire d'encourager, cette pratique afin de réduire le chômage et encourager la production de richesse dans un des pays les plus pauvres du continent. En 2018, selon un rapport de l’Organisation International du Travail (OIT), l’orpaillage informel employait 30 000 à 40 000 personnes. Un chiffre qui ne cesse d’augmenter, puisqu’en 2021 le secteur représentait 52 000 emplois. Dans le même temps, la production artisanale a été multipliée par trois, atteignant les 15 tonnes d’or par an. Interdire l’orpaillage artisanal aurait permis de rassurer les investisseurs miniers et les ONG environnementales soucieuses de la pollution que cela entraîne. Cependant, le gouvernement mauritanien a fait le choix d’encadrer cette pratique non seulement afin d’en capter une partie des ressources sous forme fiscal, mais également afin de préserver un secteur qui offre un travail à une jeunesse trop souvent désœuvrée.
Quand la nature dépasse l’homme
Comme l'illustre l’orpaillage artisanale en Mauritanie, la croissance nécessaire au développement des pays émergents peut être mise à mal par une certaine vision de l'environnement. Née dans les années 1990, la doctrine du développement durable a été pensée pour développer les économies sans compromettre les besoins des générations futures. Cependant, comme l'explique Sylvie Brunel, ancienne présidente d'Action contre la Faim, cette doctrine a parfois été appliquée de façon dévoyée, en définitive « contre » les populations, au profit de la biodiversité. "Pour le bien de l'humanité... il importe désormais de protéger les pays sous-développés malgré eux", explique-t-elle. Ainsi, depuis 1990 et la création du Fonds pour l'Environnement, les superficies affectées à la conservation de la nature recouvrent plus d'un tiers de la superficie de plusieurs pays africains. Des populations ont été chassées de leur terre et sévèrement sanctionnées lorsqu'elles braconnaient ou abattaient des arbres pour se nourrir. Au Burkina Faso, la mise en place des réserves naturelles par un gouvernement central et lointain a ainsi eu des conséquences funestes. Elle serait l'un des principaux facteurs de l'insurrection sur laquelle se sont greffés les jihadistes de l'EIGS dans la région depuis 2019. Comme le mettait en avant Alain Antil, chercheur et directeur du Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri, les premières institutions représentant l'État qui ont été attaquées dans la région étaient... les gardes forestiers.
Le développement d’une économie est un choix souverain
Dans un souci de limiter l'impact du changement climatique, les pays du Nord s'emploient depuis plusieurs années à renforcer leur législation environnementale. Une politique qui a poussé les entreprises occidentales à faire du Sud la poubelle du monde, ce qui bénéficie paradoxalement aux pays émergents, mais à rebours des principes environnementaux. Selon une étude de Michael Viehs, de l’Universite%u0301 d’Oxford, lorsqu'un pays met en place une législation contraignante en faveur de l'environnement, les entreprises ont tendance à délocaliser les activités polluantes. Elles trouvent alors refuge dans des États à la réglementation plus souple ou aux autorités moins regardantes. Les Philippines et la Malaisie sont ainsi de grands importateurs de déchets en tous genres qui viennent alimenter une industrie du recyclage. En 2019, la Malaisie a reçu 870 000 tonnes de déchets de la part de pays développés comme le Canada. Cependant, aussi critiquable que puisse être cette industrie, il s'agit d'un choix souverain de ces États. Les gouvernements des Philippines et de Malaisie ont d'ailleurs accepté le développement de cette industrie, y compris dans ses formes illégales. En effet, selon un rapport de la banque mondiale, la croissance de cette industrie a permis à la société malaisienne de produire une large gamme de biens, allant des composants automobiles aux matériaux de construction, en passant par les articles ménagers et les produits d'emballage. En 2022, le secteur du recyclage plastique en Malaisie représentait 7,23 milliards de dollars, soit 4,23 % de son PIB, et contribuait à son développement. Entre 2013 et 2023, ce pays a ainsi bénéficié d'une augmentation de son PIB de 36 %, une augmentation encore plus importante pour les Philippines avec une hausse de 55,25 %. Cette politique a soutenu le développement du territoire jusqu'à ce qu'il puisse aujourd'hui se permettre de durcir sa réglementation. En 2019, la Malaisie fermait 170 usines de recyclage illégal lors d'une série de raids très médiatisés, et 225 conteneurs ont été renvoyés dans leur pays d'origine. Comme l'analyse l'économiste Jean-Marie Albertini dans Les Rouages économiques de l'environnement, "Sous prétexte de protéger les baleines, la forêt tropicale ou encore d'imposer des méthodes de production évitant la pollution, on vise en réalité l'arrêt des échanges commerciaux."
Limiter les externalités négatives pour un meilleur développement
La protection de l'environnement n'est pas absente des préoccupations des pays émergents. Au Sénégal, les énergies renouvelables représentent ainsi plus de 30% du mix énergétique. De même, grâce à une politique active, le Gabon, dont 88 % de la surface du territoire est couverte de forêts, est aujourd'hui considéré comme un acteur majeur de la préservation de l’environnement. Cependant, la réalité est que leur priorité est d'atteindre un premier stade de confort matériel élémentaire avant de se préoccuper de préserver la biodiversité. Le Mozambique en est un bon exemple. Ce pays est l'un des plus pauvres du monde ; en 2022, il était classé 149/180 en terme d’IDH et a une espérance de vie de 58 ans. Le pays dispose pourtant de nombreuses richesses avec d'importantes ressources halieutiques, minières et d’hydrocarbures. La région déshéritée du Cabo Delgado, au nord du pays, abrite un formidable gisement gazier offrant un potentiel de développement hors norme pour le Mozambique et cette région. Les réserves estimées sont équivalentes à celles des États-Unis, premier producteur mondial de GNL. Lorsque la production aura atteint son rythme de croisière, soit 15 millions de tonnes par an, le Mozambique pourrait devenir l'un des cinq plus grands exportateurs gaziers.
Les acteurs nationaux ont conscience que l’arrivée à maturité du projet est la clé de la sortie du pays de sa pauvreté endémique, du développement initial, de la mise en place d'infrastructures de transport, d'énergie mais également de la pérennisation de services publics élémentaires comme les écoles et les hôpitaux. Dans cet esprit, le Mozambique a créé un fonds souverain, sur lequel tous sont vigilants compte tenu des pratiques de corruption encore répandues. L'opposition, favorable au projet, déclarait ainsi lors de l’examen de la loi : "Nous ferons tout ce qu'il faut pour éviter les erreurs commises dans d'autres pays, principalement africains, où des fonds souverains ont déjà été créés."
Le développement du projet Mozambique LNG pourrait rapporter une rente de 80 milliards de dollars sur l’ensemble de la durée de vie du projet. De quoi permettre au Mozambique de suivre la stratégie d’autres pays pétroliers, et investir cet argent dans des projets d’énergie verte. De même que l’Arabie saoudite et les Émirats tentent de devenir des champions écologiques, le Mozambique a déjà commencé à investir dans ce type de projet. En 2022, le pays a ainsi annoncé consacrer 40 millions de dollars dans de nouveaux projets solaires et éoliens sur tout le territoire, par le biais du programme Renewable Energy Auction Program (PROLER). Bien d’autres pays émergents ont un potentiel naturel à exploiter dont la population souhaite bénéficier afin d’ouvrir la voie à une économie plus propre, mais il s’agit de leur donner le temps, et surtout de satisfaire des besoins élémentaires que les prescripteurs de l’écologie, souvent éloignés de ces réalités, semblent trop souvent oublier.
04/09/24 à 08h48 GMT