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TECHNIQUES = La Turbidité, simple paramètre organoleptique?



  • Cet article a été co-rédigé avec Monique Henry du CEGEP de St-Laurent (Québec).

     

     

    Ainsi qu'on l'a souligné dans un précédent article (février 2013), il ne faut pas minimiser l'importance des propriétés organoleptiques, en particulier pour le jugement que le consommateur porte sur la qualité de l'eau distribuée et même sur celle des eaux récréatives.

     

    La turbidité est sans doute la seule de ces propriétés pratiquement réservée au domaine de l'eau... le mot lui-même étant souvent inconnu du grand public. De plus, c'est aussi celle dont la définition est la moins directe... puisque c'est plutôt par son inverse : la limpidité -  qu'on décrit le "caractère trouble" d'une eau!

     

    Pourtant, le phénomène physique à l'origine de la turbidité est bien connu : il s'agit de la diffusion de la lumière, autrement dit sa dispersion, sa déviation dans toutes les directions de l'espace. Bien sûr, plusieurs phénomènes optiques se superposent : il y a aussi de la réflexion, de l'absorption et c'est ce qui fait que la couleur qui, elle, résulte de l'absorption de radiations visibles précises, interfère toujours lors de la mesure de la turbidité... et vice versa.

     

    Ce sont les particules en suspension dans l'eau qui sont responsables de la turbidité : pour qu'il y ait diffraction, les dimensions de ces particules doivent être de l'ordre du dixième de la longueur d'onde incidente - soit de quelques dizaines de nanomètres, c'est-à-dire les dimensions des particules "colloïdales" dont la présence est justement caractérisée par la turbidité.

     

    La meilleure illustration du phénomène est l'analogie avec ce que l'on observe dans une pièce obscure où pénètre un rai de lumière et qui contient des poussières en suspension dans l'air : le parcours du rayon lumineux est alors parfaitement révélé...C'est aussi pour que le public perçoive les éclairages que les salles de spectacle utilisent des brouillards d'huile ou autre sans lesquels on ne verrait rien du ballet savamment orchestré par les spots fixes ou mobiles...

     

    Les particules colloïdales présentes dans les eaux sont souvent d'origine naturelle : il s'agit surtout de particules minérales de silice, de sable, de calcaire, d'argile... Elles proviennent de l'érosion des roches, du lessivage des sols par les pluies,... Leur concentration augmente avec les déversements d'eaux usées domestiques ou industrielles riches en matières en suspension et les "blooms" d'algues microscopiques. Certaines matières humiques, responsables de la couleur de l'eau, sont de dimension colloïdale et causent donc également de la turbidité.

     

    La turbidité d'un échantillon se détermine avec précision par la mesure d'une partie de la lumière diffusée ou "néphélométrie" (du grec, nephélê : nuage...) en unités de turbidité par néphélométrie. Les turbidimètres portatifs, de laboratoire ou installés sur les procédés sont disponibles dans différentes gammes et en particulier pour les très basses valeurs caractéristiques des eaux convenablement filtrées. Ils sont étalonnés avec des solutions à base de formazine, d'où l'utilisation de l'unité FNU (unité néphélométrique formazine) en France. S'il y a eu une mode passagère pour les "compteurs de particules", on est revenu aux turbidimètres moins sensibles aux dimensions, à la nature et à la répartition des particules et dont la réponse est plus facile à interpréter.

     

    Le consommateur est facilement rebuté par une eau turbide, même pour la baignade, et ce, quelle que soit par ailleurs sa qualité bactériologique...

     

    Les conséquences de la turbidité sont multiples : elle diminue la pénétration de la lumière et donc la photosynthèse ainsi que celle des rayons UV fort utiles pour limiter les populations de micro-organismes potentiellement pathogènes. Dans les stations de production d'eau potable, la turbidité réduit le taux de filtration et nuit à l'efficacité de la désinfection puisque le contact entre l'agent désinfectant et les pathogènes est défavorisé.

     

    D'ailleurs, de tout temps, le but principal du traitement des eaux a été de réduire la turbidité grâce aux procédés de coagulation-floculation visant à déstabiliser les particules colloïdales, leur permettant de se réunir et d'atteindre des dimensions suffisantes pour sédimenter et être éliminées, par décantation pour les plus grosses, et par filtration pour les plus fines.

     

    Récemment, l'Environmental Protection Agency (EPA), l'agence américaine pour la protection de l'environnement, a élevé la turbidité à un rôle plus important : dans le cadre de la recherche de critères de qualité de l'eau potable (autres que les coliformes totaux ou fécaux), elle a confié à la turbidité la surveillance de l'efficacité des traitements physico-chimiques des stations.

     

    Rappelons que de graves épidémies - essentiellement de gastro-entérites - ont eu lieu en Amérique alors même que les normes de qualité "classiques" étaient respectées et que de "nouveaux" protozoaires ont été mis en cause, en particulier, Giardia Lamblia et Cryptosporidium, leurs kystes (8 à 20 µm) ou leurs oocystes (4 à 6 µm). Contrairement aux bactéries, ces organismes ne se développent pas sur des milieux de culture permettant leur identification et leur surveillance de routine. Il faut donc s'assurer de les éliminer sans même les dénombrer. De plus, ils résistent fortement aux agents usuels de désinfection comme le chlore, en particulier Cryptosporidium dont l'inactivation exige des doses élevées d'ozone ou de rayonnements UV.

     

    Pour éviter d'augmenter indûment les sous-produits de désinfection, le traitement préalable doit donc être optimal... et la meilleure façon de s'en assurer est de mesurer la turbidité, à la sortie de chaque filtre et en continu de préférence.

     

    De nombreux pays ont adopté ces principes et, au Québec, dans le Règlement sur la Qualité de l'Eau Potable (RQEP), les normes sont les suivantes (exprimées en uTN c'est-à-dire en unités de turbidité par néphélométrie) :

     

    Procédé : Eau coagulée, filtrée et désinfectée

    -Valeur limite sur une période de 30 jours : 0,3 uTN (95% des mesures)

    -Valeur limite pour 12 heures maximum : 1,0 uTN

     

    Procédé : Filtration lente et filtration sur terre diatomée

    -Valeur limite sur une période de 30 jours : 1,0 uTN (95% des mesures)

    -Valeur limite pour 12 heures maximum : 3,0 uTN

     

     

    Procédé : Procédés membranaires

    -Valeur limite sur une période de 30 jours : 0,1 uTN (95% des mesures)

    -Valeur limite pour 12 heures maximum : 0,2 uTN

     

    Procédé : Autre filtration ou exclusion de la filtration

    -Valeur limite sur une période de 30 jours : 1,0 uTN (moyenne)

    -Valeur limite pour 12 heures maximum : 5,0 uTN

     

     

     

    Rappelons que, dans ces conditions (turbidité < 0,3 uTN) et selon l'EPA, pour un traitement conventionnel complet, 2,5 logs de Giardia (99,7%) et 2 logs de Crypto et de virus (99%) sont éliminés; ces pourcentages augmentent de beaucoup après la désinfection.

     

    La turbidité n'est donc plus un simple paramètre organoleptique. Si on conserve une norme en réseau, généralement de l'ordre de 5 uTN au Québec, puisque c'est le seuil de perception, les normes à respecter à la station même sont beaucoup plus sévères... et ont aussi l'avantage de départager les problèmes de la production et de la distribution de l'eau...

     

    Pour l'exploitant, il s'agit d'optimiser son enlèvement à travers toutes les étapes de traitement en choisissant l'agent coagulant, l'aide floculant, leurs doses, leur point d'application, le mode de décantation, les caractéristiques des filtres et de la filtration  - en particulier le retour en opération après le lavage et en évitant les re-précipitations en réserve ou en réseau...

     

    Tout un défi!

     

     

     

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