Quand le Groupe Femmes et Genre - observateur dans le cadre de la CCNUCC - est venu à Paris, c’était avec une question en tête sous forme d’évidence : pourquoi vouloir obtenir un accord mondial sur le climat, si ce n’est pour sauver les êtres humains et la planète ?
Nous savons que notre monde en quête d'espoir a besoin de se féliciter pour l’avancée réalisée dans ce difficile processus de négociations, mais nous devons aussi nous confronter à la réalité.
Cet accord ne répond absolument pas aux besoins des pays, ni des communautés ou des populations les plus vulnérables à travers le monde. Il ne parvient pas non plus à remettre en question les injustices et les inégalités structurelles qui sont responsables de la crise climatique, ni à demander des comptes aux pollueurs historiques.
« Nous avons entendu dire partout que l’Accord de Paris prépare « la disparition progressive des énergies fossiles » explique Sascha Gabizon[1], Directrice Exécutive de WECF (Women in Europe for a Common Future) « Mais pour nous les femmes, cette transition « progressive » est trop lente ! Nous sommes très inquiètes, car cet Accord ne contient pas d’objectifs quantitatifs pour la réduction des énergies fossiles et la régulation des émissions des transports maritimes et aériens, responsables de près de 10 % des émissions mondiales, qui vont donc continuer a augmenter dans les prochaines années »
Nous savons que le changement climatique est la plus grande menace qui pèse sur les droits humains aujourd’hui, et nous savons que les femmes sont souvent celles qui en supportent le plus les coûts. Au cours de ces dernières années, nous avons fait des progrès, dans le cadre de cette Convention, notamment pour comprendre que les impacts climatiques sont différenciés selon que l’on soit une femme ou un homme, et que l’on doit apporter des réponses prenant en compte le genre. Nous croyons que des éléments de langage opérationnels sur l'égalité des sexes, et sur les autres droits fondamentaux, insérés dans l'Article 2 - qui définit le but de cet accord - auraient permis d’assurer que toutes les actions futures concernant le climat prennent en compte les droits, les besoins et les perspectives différenciées des femmes et des hommes et auraient permis d’encourager la participation pleine et entière et à égalité des femmes dans les prises de décisions. A Paris, c’était LE moment pour se mettre sur la bonne voie, sur le juste chemin de l'action climatique.
« Cet accord n’apporte pas les réponses appropriées en matière de technologies pour relever le défi climatique, économique et social auquel nous faisons face » regrette Sabine Bock de WECF « Dans le cadre de notre travail nous constatons chaque jour les impacts positifs ou négatifs de telle ou telle technologie. Les solutions solaires que nous avons mises en œuvre en Géorgie par exemple, sont sûres pour l’environnement et les populations, et sont sensibles au genre : en effet chauffer l’eau avec de l’énergie solaire permet de réduire considérablement le poids des taches ménagères qui pèsent sur les femmes. Ces solutions solaires permettent aussi de réduire la déforestation et fournissent une énergie sure, abordable et accessible à toutes et à tous. Enfin elles permettent de créer des emplois décents et d’assurer un vrai développement social du pays. C’est pour cela que nous avons milité pour que les termes « technologies de qualité » soient inscrits dans la partie opérationnelle de cet Accord. Malheureusement nous n’avons pas eu assez de volonté politique pour cela, et nous devons nous contenter des mots « écologiquement et socialement sains » dans la partie décision. »
Les questions cruciales ont fait l’objet de retraits chirurgicaux tout au long du texte, ou alors elles manquent de précision, comme la réduction absolue des émissions de gaz à effet de serre, sans accepter des mécanismes de compensation ou de marché trompeurs; l'assurance de technologies de qualité qui devraient être sûres, socialement et écologiquement saines; des financements publics, adéquats et prévisibles assortis d’objectifs d’augmentation clairs et prévisibles; la responsabilité des pays développés à prendre la tête de la lutte contre le dérèglement climatique, la responsabilité de protéger les droits des populations et les écosystèmes.
Le fait que la partie opérationnelle de l'accord ne mentionne plus la sécurité alimentaire mais seulement la production alimentaire - et donc les intérêts économiques des lobbies qui ont exercé une forte pression sur les pays en développement - est une indication claire que seules certaines catégories de population seront avantagées par cet accord. Les gouvernements ont maintenu leurs engagements envers les acteurs économiques plutôt qu’envers les peuples, donnant ainsi le signal que l’on peut à l’occasion profiter de la crise.
Limiter l’augmentation des températures en-dessous de 1,5 degrés est notre seule chance de survie, aussi nous reconnaissons l’importance du résultat obtenu par l’inscription de cet objectif dans l'Accord de Paris. Mais sa mention sur le papier n’est pas suffisante. Nous exigeons que cela se traduise en actions, pour prouver le plein engagement des Etats envers cet objectif, au lieu d’une vague aspiration. Si les plans de réduction d’émissions (INDCs) des pays ne sont pas rapidement améliorés, ils nous mènent collectivement vers une augmentation de la température de 3,2 à 3,7 degrés.
« Cet Accord ne contient pas d’engagement contraignant pour réduire les émissions de GES, pas d’objectif chiffré pour mettre fin à l’utilisation des énergies fossiles ni pour assurer le développement des énergies renouvelables. Comment pourrons-nous dans ce cadre assurer une évolution des contributions nationales individuelles vers l’objectif de 1,5 degrés fixé par l’Accord de Paris, et que nous devons absolument respecter pour notre survie ? » questionne Camille Risler[2] de l’ONG APWLD (Asia Pacific Forum on Women, Law and Development)
En outre, l'Accord de Paris a déstabilisé le concept de solidarité internationale - un principe fondamental de l'ONU qui exige de pratiquer une différenciation entre les Etats afin d’aller vers une redistribution et un partage des richesses.
"Dans cet Accord, on peut se réjouir du fait que les mécanismes de « pertes et préjudices » réclamés par les pays insulaires bénéficient d’un article à part entière, mais les Etats Unis et d’autres pays riches ont obtenu que celui-ci soit affaibli par le retrait des notions de responsabilités juridiques et l’absence de compensation financière en dehors de ce qui existe déjà en matière de régulations internationales. Ce qui veut dire que les pertes et préjudices ne s’appliqueront qu’aux contextes extrêmes, comme les migrations ou déplacements forcés (résultant des dérèglements climatiques) mais ne tiennent pas compte des vies perdues, ou de la dégradation des conditions de vie ou des infrastructures. Pourtant c’est justement ceci qui affecte au quotidien les populations les plus vulnérables, et ceci qui constituait le cœur de notre combat à Paris » déplore Flavia Cherry[3] (Ste Lucie), représentant 17 nations des Caraïbes, avec l’ONG CAFRA (Caribbean Association for Feminist Research and Action)
Nous devons nous rendre à l’évidence qu’à Paris nous n’avons pas trouvé le leadership qui aurait pu faire de cet Accord le programme dont le monde a besoin pour relever le défi climatique.
Bridget Burns[4] (USA), WEDO (Women’s Environment & Development Organization) ravale sa déception: « un texte a enfin pu être adopté dans un cadre universel engageant tous les pays de l’ONU. J’ai entendu un tonnerre d’applaudissements et de félicitations, et pourtant je ressens le « poids » de cette coquille vide, la responsabilité et le manque d’ambition de mon propre pays, qui ont conduit a la dilution de cet accord vers le plus petit dénominateur commun (…) Mais notre monde a besoin d’espoir, alors ce que nous pouvons dire aux populations aujourd’hui c’est que cet Accord est le meilleur résultat que l’on puisse obtenir dans un monde imparfait et injuste… »
Mais nous ne resterons pas silencieuses, nous continuerons de dire la vérité face au pouvoir, nous continuerons à dénoncer le manque d’ambition et les injustices de cet accord. Nous ne renoncerons jamais à demander la justice climatique.
Les gouvernements n’ont pas su saisir le moment, mais nous, les femmes, nous avons su faire entendre nos voix et donner du poids à notre mouvement.
Ensemble nous continuons à défier l’injustice et nous poursuivons notre combat pour protéger les humains et la planète : un autre monde est possible !
[1]Mme Gabizon est née aux Pays Bas et vit aujourd’hui en Allemagne. Elle parle français, anglais et allemand, et peut s’exprimer sur technologies et solutions énergétiques
[2]Mme Risler est responsable plaidoyer pour APWLD dans 7 pays de la la region on Asie-Pacifique. Elle analyse les stratégies et développe des initiatives locales pour accompagner les femmes dans leur lutte contre la crise climatique.
[3]Mme Cherry est une ancienne journaliste experte sur les droits humains et sur les liens entre genre et impacts climatiques sur les populations des Caraïbes.
[4]Mme Bridget Burns co-coordonne le Groupe Femmes et Genre, observateur officiel dans le cadre de la CCNNUCC, avec Mme Usha Nair de l’ONG All India Women’s Conference. Elle est impliquée dans la collaboration avec les autres groupes observateurs sur les questions de droits humains, égalité de genre, équité intergénérationnelle et intégrité des écosystèmes
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