Les métaux lourds constituent une préoccupation majeure pour la santé publique. Toutes sortes d’informations sont véhiculées dans les médias, souvent pertinentes et parfois partiales. Sortie le 1er juillet, une nouvelle étude de Santé Publique France est venue mettre de l’ordre dans le débat.
Arsenic, chrome, mercure, cadmium, plomb, zinc, nickel, cuivre… La liste des mauvais élèves est connue depuis longtemps, ces métaux étant sous la surveillance de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Présents naturellement dans notre environnement ou issus de l’activité humaine, les métaux lourds – aussi appelés ETM pour « éléments-traces métalliques » – font partie de notre quotidien, qu’on le veuille ou non. L’enjeu est donc simple : quels gestes adopter pour limiter notre exposition ? C’est à cette question que tout le monde se pose qu’une nouvelle étude publiée par Santé Publique France (SPF)[i] a apporté des réponses le 1er juillet dernier.
Tout le monde est concerné
Dans le box des accusés, 27 métaux lourds ont été passés au crible afin de mesurer leur impact sur les organismes humains, chez les adultes comme chez les enfants. Un premier constat avancé par SPF : tout le monde est concerné par leur effet néfaste sur la santé, certains d’entre eux étant plus nocifs que d’autres en cas de forte exposition, sur la masse osseuse, sur les reins et le cœur, et pouvant entraîner des cancers.
« La surveillance de l’imprégnation de la population aux substances chimiques est un enjeu de santé publique, avance Geneviève Chêne, directrice générale de Santé Publique France. La répétition des études de biosurveillance est nécessaire pour suivre dans le temps les évolutions des expositions de la population et ainsi contribuer à estimer l’impact des politiques publiques visant à les réduire. » Cette biosurveillance permet de dégager des politiques publiques susceptibles de réduire l’exposition de la population générale à ces métaux lourds.
Le nouveau volet de l’Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition – connue aussi sous le nom d’ESTEBAN – a été menée sur un échantillon représentatif de 2503 adultes et de 1104 enfants, de 6 à 74 ans, entre 2014 et 2016. L’analyse de leur urine, de leur sang et de leurs cheveux, ainsi qu’un questionnaire détaillé sur leur mode de vie, ont permis de dégager des tendances et de mieux cerner les sources d'exposition. Le résultat est sans appel : plus de 97% des participants à l’étude ont montré des signes d’exposition, avec des niveaux plus élevés que chez nos voisins européens et nord-américains, sauf pour le nickel et le cuivre. Si la presque totalité du panel étudié présentait des traces de métaux lourds, quelles en sont donc les sources ?
Poisson et tabac, ennemis publics nº1
L’imprégnation des métaux lourds par l’organisme peut se faire de deux manières : par ingestion de produits contaminés ou par inhalation. De ce côté-là, rien de nouveau donc. Principaux vecteurs alimentaires de contamination, poissons et fruits de mer restent en tête des mauvais élèves. « L’alimentation étant une des principales sources d’exposition, il apparait important de rappeler les recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS) et de diversifier les sources d’aliments, notamment concernant les poissons, précise l’étude de Santé Publique France. Le poisson et les produits de la mer ont beaucoup de qualités nutritionnelles mais leur consommation influence les concentrations en arsenic, cadmium, chrome et mercure. Il est recommandé de consommer deux fois par semaine du poisson dont un poisson gras, en variant les espèces et les lieux de pêche. »
La pollution atmosphérique est également mise en cause par l’autorité sanitaire, y compris la pollution tabagique qui augmenterait les concentrations de cadmium et de cuivre dans l’organisme. « Les résultats de l’étude ESTEBAN permettent de rappeler la nécessité d’ancrer davantage la lutte contre le tabagisme y compris le tabagisme passif afin de réduire l’exposition au cadmium. En effet, chez les adultes, le tabac entraine une augmentation de plus de 50% d’imprégnation chez les fumeurs », révèle l’étude de Santé Publique France. Encore une bonne raison d’arrêter la cigarette.
D’autres sources étonnantes d’imprégnation
Poissons, cigarettes et légumes (même bio)… ces sources de contamination ont été identifiées par SPF, même si certaines ont été écartées, comme le précise la nouvelle étude dans sa conclusion : « Aucune association n’a été observée chez les adultes de l’étude ESTEBAN entre les cadmiuries mesurées et la consommation de céréales, de pommes de terre et d’eau du robinet. » Les métaux lourds se cachent aussi dans d’autres produits de la vie courante, comme les plombages dentaires et autres implants médicaux, mais aussi dans des rouges à lèvres. « L’Association Santé Environnement France qui a publié un "petit guide santé de la beauté" recommande de privilégier les rouges à lèvres écolabellisés et de ne pas se fier aux grandes marques car leurs produits peuvent aussi cacher des substances toxiques », note le magazine Parents[ii].
Et même les modes d’alimentation censés être vertueux ne sont pas exempts de vices cachés. Les adeptes des régimes sans gluten seraient ainsi plus exposés aux métaux lourds, si l’on en croit Santé Magazine[iii] : « Les personnes adeptes du "gluten free" présentent des concentrations plus importantes d’arsenic dans leur urine et de mercure dans leur sang que celles qui ne suivent pas ce régime alimentaire : les niveaux d'arsenic étaient presque deux fois plus élevés pour les personnes du premier groupe et les niveaux de mercure étaient 70% plus élevés. » Étonnant mais vrai.
Enfin, l’héritage de l’ère industrielle[iv] se fait également ressentir, avec les contaminations proches d’anciens sites de production, que ce soit par écoulement de produits chimiques ou par les fumées qui se sont déposées sur les sols environnants, parfois des terres agricoles. Ce sujet est largement documenté et fait l’objet d’une surveillance constante : les contaminations peuvent remonter à plusieurs dizaines d’années et continuer de se faire ressentir maintenant.
Santé Publique France se veut vigilante
À Santé Publique France, le sujet des métaux lourds reste donc prioritaire. Déjà en mars 2020, le directeur Santé-environnement-travail de SPF Sébastien Denys[v] avait appuyé son travail de recherche, devant une commission sénatoriale : « En termes de biosurveillance, on dispose depuis le Grenelle de l’environnement, du programme national qui nous a permis d’acquérir un certain nombre de données et de prendre du recul, notamment, sur les métaux et l’arsenic. Nous connaissons aujourd’hui les déterminants de l’imprégnation de ces métaux dans la population. Dès lors qu’un déterminant – qui peut avoir un impact sur la population – est repéré, notre action est de faire des propositions pour intervenir sur ce déterminant dans l’objectif de prévention de santé de la population. En agissant sur le déterminant, l’idée est de réduire – si ce n'est de supprimer – le risque de développer les pathologies liées à ce déterminant. »
Avec sa nouvelle étude ESTEBAN parue début juillet, Santé Publique France confirme son implication et apporte de nouvelles réponses, tant pour le public que pour les services de l’État concernés. Et elle le promet : elle continuera d’avoir les métaux lourds à l’œil.
[iv] https://documentation.ehesp.fr/index.php?lvl=notice_display&id=320119
[v] https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20200302/ce_polsols.html