Le numéro 97 de la lettre NAPA nous parle de corruption et de la stratégie de l’Union Européenne pour la conservation de la biodiversité en Afrique. Elle rappelle notre MOOC sur la gestion et la gouvernance des AP et le lancement du DU n°12 en gestion des AP à Ouagadougou.
Le numéro 97 de la lettre NAPA
Edito : Geoffroy MAUVAIS Coordinateur du Papaco
Quel est l’ennemi ?
Quand on interroge un gestionnaire d’aire protégée sur l’origine de ses problèmes, la plupart du temps on obtient la même réponse. S’il gère un territoire proche d’une frontière, ce sont les voisins qui sont responsables de ses malheurs. S’il est entouré de communautés, elles n’ont de cesse de lui rendre la vie difficile. S’il est financé par l’Etat, il ne reçoit pas assez d’argent. S’il est financé par un bailleur, les procédures sont trop compliquées. S’il est de statut privé, le cadre légal ne lui est pas favorable et les fonctionnaires chargé de l’appliquer sont inefficaces S’il gère une réserve communautaire, il est incompris et victime du système. Bref, il y a toujours une bonne raison, externe, pour expliquer pourquoi rien ne marche.
En dix ans d’évaluations de parcs et réserves, je n’ai jamais entendu un gestionnaire mentionner la corruption comme un problème essentiel de sa gestion. Officiellement du moins. Mais j’ai souvent entendu les partenaires de cette aire protégée dénoncer ce fléau, dès qu’on est en tête à tête.
Alors la corruption est-elle un problème de la gestion des aires protégées ? Ma réponse personnelle est oui. Est-elle un problème important
? Je dirais oui à nouveau.
La corruption a curieusement de nombreuses définitions selon l’organisme qui la définit, comme si, déjà, il y avait un problème à appeler un chat un chat. On peut dire, pour faire simple, que la corruption est le détournement d'une procédure
dans le dessein, pour le corrupteur, d'obtenir des avantages particuliers ou, pour le corrompu, d'obtenir une rétribution en échange de sa complaisance. Elle ne concerne pas que le secteur public, contrairement à ce qu’on aime à croire, mais existe dans le privé ou l’associatif.
Toutes les échelles sont concernées. Le garde d’une réserve qui ferme les yeux sur le braconnage car il reçoit sa part des gains. Le villageois qui aide un trafiquant à piller l’ivoire sur ses terres. Le guide de chasse qui laisse les huiles locales prélever hors quota, pour s’assurer leur bienveillance. L’éco-garde qui laisse les touristes entrer dans un site interdit en échange d’un pourboire. Le chef de patrouille qui oriente ses recherches où il ne trouvera pas les délinquants avec lesquels il a pactisé. Le chef de village qui attribue des quotas de prélèvements en fonction des promesses qu’il a reçues. Le chercheur qui donne une place d’auteur à un facilitateur local qui « ouvre les portes ». Le conservateur de parc qui délivre des permis de récolte selon ce qu’il en retire. Le chef de projet qui renonce à tous ses objectifs pour ne fâcher personne et garder son poste. Le bailleur qui fait de même. L’auditeur qui ne peut décevoir ni l’un, ni l’autre au risque de ne plus faire d’audit. Le directeur national qui vend les animaux de ses parcs sans juste rétribution officielle pour eux. Le ministre qui déclare que le trafic de bois est jugulé quand il touche sur chaque quintal chargé. Le président qui jure qu’on n’attribuera pas de permis minier dans les parcs alors qu’il vient de les signer et rêve de la nouvelle maison qu’il va construire grâce à cela. L’ambassadeur qui, bien qu’informé, l’encense à chaque réception pour garder sa charge et ses avantages. L’ONG qui, tout aussi informée, l’invite à chacun de ses congrès parce qu’il l’aidera à avoir sa part de financements…
La corruption est le brouillard qu’on refuse de voir parce qu’elle est partout et de ce fait presque devenue normale. Avec le temps, on se persuade que la pauvreté la justifie, qu’elle n’est pas si grave, qu’elle est finalement inévitable. Peu importe les moyens, la fin justifie tout et celui qui réussit, même au dépend des autres, attire le regard et suscite le respect. C’est une perversion de l’échelle des valeurs qui ouvre tous les champs des possibles. Elle est tellement vivante qu’elle a désormais sa propre convention des Nations Unies (entrée en vigueur en 2005) et même sa journée internationale (le 9 décembre) ! Tacite disait :
« plus l’Etat est corrompu, plus il y a de lois »… cela devrait nous faire réfléchir à la raison d’être et à la portée de ces textes si les mentalités ne changent pas profondément.
Qu’on ne s’y trompe pas donc : la corruption explique aujourd’hui la plus grande partie de nos échecs dans les AP. Je dirais volontiers 80% mais j’ai peut-être tort. C’est sans doute plus !
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