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Europa : sentinelle de l'océan Indien



  • Bureau européen de l'UICN, le 09 04 07

    Sur la carte de l'océan Indien occidental, l'île Europa n'est qu'un point. Pourtant, elle constitue un véritable sanctuaire pour de nombreuses espèces et un témoin potentiel du changement climatique. Elle mérite donc toute l'attention des autorités françaises et européennes.

    Europa est un atoll situé à 550 km des côtes du Mozambique et à moins de 300 km de Madagascar. Son diamètre est de 6 à 7 km. L’île est entourée de plages et d’une petite falaise de corail mort soulevé. Son lagon intérieur, peu profond car en voie de comblement, couvre environ 900 hectares dont quelques 700 couverts de mangrove. Une partie de la côte est surmontée d'une ceinture de dunes d'une hauteur maximale de 6 à 7 m.

    Cette terre française de 30 km² possède une Zone Economique Exclusive de 127 300 km². Avec les ZEE des autres îles Eparses, de la Réunion et de Mayotte, la France possède ainsi dans l'océan Indien occidental un domaine maritime de plus de 1 000 000 km². La gestion d'une telle étendue est une lourde responsabilité, notamment pour encadrer la pêche et protéger les mammifères marins, mais aussi pour prévenir les pollutions liées au trafic maritime intense du canal du Mozambique. Ainsi Europa a déjà été victime de dégazages en mer, et un accident beaucoup plus grave est toujours possible.

    Europa est un point d'attraction pour de nombreuses espèces marines. Le cheptel reproducteur de Tortues vertes (Chelonia mydas) est compris entre 8 et 15 000 femelles, ce qui fait de cet atoll un des lieux de ponte les plus importants au niveau mondial. Le long du récif frangeant vit une grande variété de coraux. Les poissons prédateurs, comme les requins et les carangues, présentent des densités qui n'existent plus dans les îles habitées de la région.

    Autre trésor d'Europa, les grandes colonies nidificatrices d’oiseaux marins. L'île abrite les colonies de Frégates Ariel et Frégates du Pacifique les plus importantes de l'océan Indien, après celle de l’atoll d’Aldabra. Les populations de frégates de la région ont tendance à décliner et le seul fait de leur présence à Europa confère à l’île un intérêt particulier.

    Les populations de Paille-en-queue à brins rouges et de Sternes fuligi­neuses y sont les plus importantes de l’océan Indien occidental. Le Paille-en-queue à brins blancs d’Europa (Phaethon lepturus europae) est endémique. L’île héberge également des Fous à pieds rouges, une petite population de Crabier malgache ainsi que des Aigrettes dimorphes et des Corbeaux-pies. Enfin une sous-espèce de Passereau endémique est présente, l'Oiseau-lunette d'Europa, dont la population atteint environ 1 000 individus.

    Tout navire qui croise devant Europa est accueilli par les fous et les frégates. A l'image de nombreuses espèces vivant sur des sites isolés, sans prédateurs, ces animaux sont curieux et peu craintifs. Sur les plages d'Europa, la plupart des petites tortues qui émergent en plein jour sont victimes des oiseaux. Celles qui naissent la nuit ont à affronter les crabes et d'autres espèces, sur terre et en mer. La présence massive des tortues marines est donc un élément essentiel de la chaîne alimentaire de l'île.

    La végétation, d’affinité malgache, se calque sur 4 types de sols et paysages (dunes, mangroves, zones récemment exondées, sols squelettiques anciennement exondés). Le centre de l’île est occupé par une grande prairie. Ailleurs, on trouve une belle forêt d’euphorbes sur sols rocailleux, souvent en association avec des ficus, entrecoupée de clairières. Cette forêt est essentielle à la nidification des fous et des frégates. Enfin, la mangrove du lagon renforce encore l’originalité d'Europa, la seule île des Éparses à posséder une végétation indigène quasiment intacte.

    Europa n'a eu de population civile que brièvement au début du siècle, quand quelques Français se sont lancés dans la production de sisal. Ces habitants éphémères ont laissé derrière eux un petit cimetière, mais aussi des chèvres qui sont retournées à l'état sauvage. Elles étaient estimées à plus de 300 en 1997, et leur abondance exerce une forte pression sur le couvert végétal. Le sisal introduit à l'époque continue également à se répandre, avec de nombreux îlots dans la végétation indigène. Enfin les rats sont aussi présents à Europa, arrivés au fil des différents naufrages qui ont marqué l'histoire de l'île. Ils exercent une pression directe sur les nids d'oiseaux et les tortues juvéniles.

    Depuis la construction d'une station météo en 1949, l’île a été régulièrement habitée par le personnel de Météo France (la station est maintenant automatisée) puis par des petits détachements militaires des Forces armées françaises de la zone sud de l’océan Indien (Fazsoi), implantés depuis 1973. Le détachement actuel est composé de 14 militaires du régiment parachutiste basé à la Réunion et d'un gendarme, relevés tous les 30 à 45 jours.

    Cette présence humaine permanente apporte une surveillance continue, ce qui a certainement permis d'éviter différentes formes de pillage, notamment des coraux, des coquillages et des tortues marines. Elle peut également permettre une intervention immédiate en cas de problème (par exemple, en cas d'arrivée sur les plages de résidus d'hydrocarbures issus d'un dégazage).

    Cependant, cette présence militaire à Europa est sans doute actuellement disproportionnée et comporte aussi des risques, notamment d'incendie ou d''introduction involontaire de nouvelles espèces. De nombreuses plantes introduites sont aujourd'hui visibles autour des lieux d'habitation et parfois jusque dans la forêt d'euphorbes. En outre, cette implantation permanente mobilise aujoud'hui une logistique lourde et coûteuse, à forte empreinte écologique (rotations de Transal depuis la Réunion, groupe électrogène, eaux usées, etc.), sans pour autant assurer les activités de gestion écologique dont l'île a besoin (notamment l'éradication des espèces introduites).

    Les décennies de présence française à Europa ont également généré une grande quantité de déchets lourds, notamment métalliques, qui ont été mis en décharge au fil des ans sur un site proche de la base de vie. Le Marion Dufresne, à l'occasion de la première mission des TAAF sur place, a évacué le 30 mars 2007 une petite partie de ces déchets, notamment les plus dangereux (160 batteries qui servaient essentiellement à stocker l'énergie de deux anciennes éoliennes).

    Au total, environ 30 tonnes de déchets soit 293 m3 ont été conditionnés par les militaires et les services techniques des TAAF, et embarqués à bord du Marion Dufresne. Ils seront traités par les différentes filières de valorisation à la Réunion. Cette opération se veut un symbole de la volonté de l'administration des TAAF d'engager une politique de préservation de l'environnement dans les Iles Eparses.

    En effet depuis le début 2007, les Iles Eparses ont un statut administratif plus clair que par le passé. Elles sont intégrées aux Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), et font donc désormais partie d'un Territoire d'Outre-Mer (TOM) français, qui est aussi l'un des 20 PTOM associés à l'Union Européenne (Pays et Territoires d'Outre-Mer).

    Les îles australes des TAAF sont bien sûr très différentes des Iles Eparses sur les plans climatique et écologique. Cependant, elles présentent aussi des similitudes : absence de populations humaines autochtones, grandes concentrations d'oiseaux marins et d'autres espèces marines, sensibilité aux espèces introduites et au changement climatique, nécessité de gérer les activités de pêche sur une très vaste zone maritime.

    Ce nouveau statut peut donc permettre d'espérer une gestion différente de ces lieux uniques. Il est en effet nécessaire d'y mener des actions en faveur de la biodiversité, notamment l'éradication de certaines espèces introduites (pestes végétales, rats, etc). Il est également possible d'y mener des activités de suivi de l'impact du changement climatique, en particulier sur les récifs coralliens. En effet, les coraux des Iles Eparses sont quasiment les seuls de cette partie du monde à vivre à l'écart de toute perturbation directe d'origine anthropique, et sont donc des indicateurs très intéressants.

    Europa et les autres Iles Eparses ont donc un rôle à jouer : celui de sentinelles écologiques de l'océan Indien. Le classement de ces îles en Réserve Naturelle Nationale et leur inscription en tant que site naturel du Patrimoine Mondial de l'Humanité permettrait de souligner leur importance, et de mobiliser plus de moyens pour la connaissance et la gestion de leurs écosystèmes.

    Par Jean-Philippe Palasi
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