Stéphane POUFFARY, ENERGIES 2050 pour l'IEPF
Doha - Concertation des experts francophones ... des compréhensions différentes des enjeux de Doha mais des échanges, nécessaires, utiles et ouverts. Le Jeudi 29 novembre, la délégation de la République Démocratique du Congo (RDC), en sa qualité de Président du Sommet de la Francophonie, et avec le soutien gracieux du Gouvernement Suisse a organisé un dîner-débat à l'attention des négociateurs, des experts et des représentants de la société civile francophone présents à Doha. L'Institut de l'énergie et de l'environnement de la Francophonie (IEPF), instance subsidiaire de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a très largement contribué au succès de cette Concertation et a été unanimement remercié.
Cette réunion informelle a rassemblé plus de 80 personnes à l'hôtel Governor West Bay Hotel en plein centre du quartier d'affaires de Doha.
Les concertations francophones sont devenues des moments privilégiés d'échanges en parallèle des Conférences internationales sur les changements climatiques. Elles permettent à la Communauté francophone de se rencontrer dans un espace où le partage d'une langue commune agit avec une alchimie particulière, comme une sensation " d'être en famille " dans des négociations essentiellement en anglais exception faite des séances plénières ou des réunions " importantes " qui bénéficient d'une traduction simultanée.
Plusieurs pays du Sud et du Nord ainsi que des experts et représentants de la société civile ont pu ainsi échanger une nouvelle fois dans une ambiance informelle propice aux échanges francs et décontractés.
M. Tosi Mpanu, ancien Président du Groupe Afrique et président de séance en tant que représentant de la RDC a ouvert les débats. Le représentant de la Suisse (pays qui a assuré la précédente Présidence du Sommet de la Francophonie), a confirmé la disponibilité de son pays pour accompagner et soutenir la RDC pendant toute la durée de sa présidence. Mme. Rajae Chafil, Spécialiste de Programme Négociations Internationales de l'IEPF a rappelé combien les négociations étaient importantes pour la Francophonie et l'engagement de l'IEPF pour soutenir et accompagner les pays membres. Elle a invité tout le monde à venir récupérer un exemplaire du Guide des Négociations accompagné de son résumé pour les décideurs et de la Note de décryptage réalisés chaque année (soit au stand de la Francophonie au Centre de Conférence soit en les téléchargeant sur le site de l'IEPF).
M. Pierre Radanne de Futur Facteur 4 a donné sa vision des négociations en soulignant qu'il s'agissait essentiellement de parler à Doha de l'atténuation, de l'adaptation mais aussi de la souffrance qui allait arriver si nous n'agissions pas très vite. Il a précisé que le débat allait se traduire par des négociations autours " de l'équité, du respect des engagements et enfin de la transparence et de la comparabilité des efforts ". Il a aussi expliqué que, pour lui, il faudrait mettre en place un groupe de travail international rassemblant des équipes du monde entier pour faire un état des lieux des situations des différents pays et des potentiels d'atténuation. Ce travail indépendant serait ensuite validé par le GIEC et soumis aux Parties comme base pour établir des possibles objectifs pour chacun. Ce travail pourrait être réalisé sur une période de 3 ans.
L'orateur a également témoigné que, malgré la complexité et les lenteurs des processus, il fallait être optimiste et ne pas céder au pessimisme ambiant pour éviter un repli des différentes Parties.
M. Tosi Mpanu, complétera en ajoutant que la COP 18 de Doha devait aussi travailler sur l'ambition des objectifs et sur la question du financement. Il replacera le débat au regard des enjeux pour l'Afrique et les PMA (pays les moins avancés) notamment au regard des financements promis pour les pays en développement mais toujours absents à ce jour.
M. Serge Lepeltier, Ambassadeur chargé des Négociations sur le changement climatique de France, tout en soulignant l'intérêt pour des travaux de recherches, rappellera que le délai suggéré de 3 ans rendrait impossible un accord en 2015 sur le futur régime climatique à mettre en place. Il fallait aller vite. Tout en ne voulant pas être pessimiste, il a indiqué que, selon lui, l'optimisme pouvait donner l'illusion d'importantes avancées dans les négociations. Pour lui, un des enjeux majeur était de ne pas rompre le processus des négociations car rien ne peut laisser penser qu'une fois rompues, les négociations pourraient reprendre.
La décision du Japon de ne pas s'engager dans une seconde période du Protocole de Kyoto (PK) a fait l'objet d'intenses débats et de fortes critiques. Le négociateur Suisse soulignera qu'il ne fallait pas se tromper de débat et qu'il ne fallait pas oublier que, malgré cela, le Japon restait un des pays les plus engagé dans la mise en oeuvre du Mécanisme de Développement Propre (MDP). Lui ôter l'accès aux mécanismes en cours, pénaliserait plus les pays africains que cela ne les aiderait. Il a également rappelé que les pays n'allaient jamais à contre-courant de leurs propres intérêts et que la négociation n'était qu'un compromis. Pour finir, il a rappelé que l'ensemble des pays désirant s'engager dans une deuxième période du PK (moins d'une trentaine) ne représentait qu'environ 14 à 15% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. La décision du Japon n'était donc pas, selon lui, aussi grave que les gens veulent le dire car, en pratique, le Japon avait déjà annoncé qu'il continuerait à soutenir le MDP.
Au-delà de la divergence de perception sur le positionnement des pays, ENERGIES 2050 plaide pour que chacun inscrive ses actions dans le processus onusien. Confrontée à la difficulté d'un processus à plus de 190 pays, la tendance actuelle serait d'être obligé d'accepter, de facto, que chacun puisse définir ses propres trajectoires, ses propres objectifs et engagements voire même des dates de départs différentes alors que le processus onusien a pris l'année 1990 comme année de référence. Chacun comprendra sans aucun doute le grand danger que cela représente pour la cohérence de l'ambition qui doit être collectivement à la hauteur des observations et connaissances scientifiques actuelles.
M. Tosi Mpanu, utilisera l'expression suivante pour parler du Japon et plus généralement des pays qui ne veulent pas s'engager dans une deuxième période du PK : " les gens aiment les manques mais pas le manguier ".
Le point focal du Togo rappellera que la discussion ne devait pas faire oublier que les objectifs pris devaient être renforcés pour se rapprocher des résultats des scientifiques et, qu'à ce jour, nous étions très loin du compte.
M. Maiga Farka du Mali, membre également de la délégation du réseau des ONG francophones Climat et développement (RC&D) a interpellé les délégués en leur rappelant qu'il existait des sources de financements innovants et que la crise financière que traverse certains pays du Nord ne devait pas être une excuse pour ne rien faire. Il complétera l'expression de Tosi sur les manguiers : " il ne faut pas simplement aimer les mangues ou le manguier mais aussi en prendre soin sinon il ne peut pas pousser ", appelant ainsi chacun à s'engager concrètement.
Sur la question du financement, il convient de rappeler que les financements entrant dans le cadre de l'aide au développement existaient bien avant la problématique du changement climatique et qu'ils ne doivent pas être confondus avec ces derniers. De plus, les engagements pris n'ont été que très rarement respectés et cela est également vrai pour les financements dits " précoces " qui devaient être mis à disposition des PED et qui se terminent pour la première période à la fin 2012. Cela est encore plus vrai au regard de la faiblesse des abondements ou des engagements pris par les pays industrialisés pour le Fonds Vert pour le Climat sachant que ce fonds était censé être opérationnel au début 2013 et qu'il devrait être constitué de financements additionnels et innovants. La remarque de Maiga était donc tout à fait appropriée.
La concertation s'est terminée un peu après 22 heures. Les débats ont été à l'image des négociations qui se déroulent depuis bientôt une semaine dans le centre de conférence. Chacun essaye de faire en sorte que l'esprit de la Convention Cadre des Nations-Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) perdure mais la réalité des différences et des difficultés est une évidence.
La position d'ENERGIES 2050 est qu'il faut utiliser toutes les opportunités pour ancrer dans le concret les décisions et les actions à mettre en oeuvre. La question du financement doit être centrale au même titre que la transparence et le respect des engagements sur fonds d'une ambition réelle (nous sommes loin du compte). Nous ne pensons pas qu'il faille opposer les choses ou les approches. Cela pourrait rompre le fragile processus en cours et ferait perdre un temps considérable alors même que nous savons tous que l'urgence d'agir devient plus préoccupante jour après jour. Convaincu que la question climatique concerne chacun d'entre nous qu'il soit au Nord ou au Sud, d'un pays industrialisé ou d'un pays en développement ou encore d'une économie en transition, la compréhension de l'autre reste un préambule indispensable.
Nul doute que cette Concertation des experts francophones présents à Doha aura contribué une fois de plus à enrichir les réflexions de chacun.
Stéphane POUFFARY, ENERGIES 2050 pour l'IEPF à Doha, le 29 novembre 2012
[COP18-climat]