L'île de Saint-Martin, dans la Caraïbe, est depuis peu confrontée à un nouveau défi écologique : l'invasion de son territoire par le Pigeon jounud (Patagioenas corensis). Originaire d'Amérique du Sud, l’espèce a été repérée pour la première fois sur l'île il y a une dizaine d’années. Une étude scientifique récente révèle une expansion rapide de l’espèce sur l'île, avec les conséquences écologiques que cela implique pour l'écosystème local.
Impact des espèces exotiques envahissantes
Les espèces exotiques envahissantes, introduites volontairement ou par accident, représentent une menace sérieuse pour la biodiversité. Les écosystèmes insulaires sont particulièrement exposés pour de nombreuses raisons : fort niveau d’endémisme des espèces, adaptation locale à un environnement isolé, caractéristiques géographiques et écologiques, etc. Les espèces exotiques envahissantes sont susceptibles de fortement perturber l'équilibre écologique, allant jusqu’à la disparition d’espèces indigènes via la compétition, la prédation, ou encore l’introduction de nouveaux pathogènes. Les conséquences économiques sont également significatives, via des conséquences sur l'agriculture, la pêche, le tourisme ou encore la santé publique, ainsi que le coût important de la lutte contre ces espèces. Il est donc crucial de prévenir leur introduction et leur propagation.
Expansion du Pigeon jounud à Saint-Martin
Une récente étude dirigée par le Dr. Christopher Cambrone, spécialiste des colombidés et coordinateur scientifique de l'ONG Caribaea Initiative, vient apporter les preuves scientifiques d’un phénomène qui était jusque-là suspecté : l'invasion progressive du Pigeon jounud sur l’île de Saint-Martin. L’étude s’est basée sur des observations de terrain, mais également sur des données issues de la "science citoyenne". Le Pigeon jounud étant facilement reconnaissable du fait de son pattern particulier, les observations faites par des naturalistes chevronnés ou amateurs sont donc suffisamment fiables pour être analysées. En exploitant les observations répertoriées sur la base eBird, l'étude montre ainsi une augmentation notable des signalements de l'espèce au cours du temps depuis son introduction, passant d'une vingtaine d’observations entre 2013 et 2019 à plus de 60 entre 2023 et début 2024. De plus, les auteurs ont mis en évidence une probabilité accrue au cours du temps d'observer plusieurs individus simultanément plutôt qu’un seul.
Expansion géographique et diversification de l'habitat
Le Pigeon jounud a été observé pour la première fois à Saint-Martin en 2013 au Nord-Est de l’île. Depuis, l’espèce s’est étendue sur l'ensemble du territoire. En outre, alors que le Pigeon jounud était initialement confiné aux habitats côtiers, il exploite désormais des zones forestières et urbanisées de l'île.
Menace écologique pour les îles voisines
La prolifération du Pigeon jounud à Saint-Martin pourrait constituer une menace pour les espèces d'oiseaux locales, en particulier les pigeons et les tourterelles, avec qui il entre en compétition pour les ressources alimentaires et les sites de nidification. Son adaptabilité aux milieux urbains et sa capacité de vol augmentent son potentiel d'expansion vers les îles voisines, telles qu'Anguilla et Saint-Barthélemy. Le réchauffement climatique, entraînant un assèchement de la région, pourrait encore favoriser cette expansion du fait de la préférence de l’espèce pour les milieux semi-arides.
Appel à l'action
Les scientifiques soulignent dans leur article l'urgence d'agir rapidement. En effet, les premières années suivant l'introduction d'une espèce exotique constituent généralement la seule fenêtre d'opportunité pour éradiquer l'espèce avant qu'elle ne devienne incontrôlable. Les auteurs de l'étude appellent ainsi les autorités locales et régionales à prendre des mesures immédiates permettant l'éradication du Pigeon jounud de l’île.
Référence : Cambrone, C., Levesque, A. & Cézilly, F. 2024. Using citizen science and field surveys to document the introduction, establishment, and rapid spread of the Bare-eyed Pigeon, Patagioenas corensis, on the island of Saint-Martin, West Indies. Biology 13: 585.
https://www.mdpi.com/2079-7737/13/8/585
Crédit photo : Anthony Levesque
Financements : L’étude a été réalisée dans le cadre du projet ESPACYPA, menée par l’association Caribaea Initiative et financé par la Fédération Départementale des Chasseurs de Guadeloupe (FDCG) et la DEAL Guadeloupe via le Plan France Relance.
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