Editorial du Dr. Jean-Claude Nguinguiri
Le bassin du Congo est en voie de devenir le dernier grand puits de carbone de forêts tropicales de la planète, à cause des tendances observées récemment dans la dégradation des forêts tropicales en Amazonie[1] et en Asie du Sud-Est. Il est donc opportun de sauver le « dernier poumon du monde », si je peux emprunter le titre du documentaire de Yamina Benguigui[2]. A cet effet, les pays de la sous-région ont saisi les différentes opportunités qui se sont présentées en 2021 pour faire du plaidoyer en faveur d’un financement extérieur plus conséquent de la gestion durable de ce biome forestier unique[3]. Les nouvelles actions de plaidoyer se distinguent des actions précédentes par un style d'accroche qui devrait interpeller, non seulement les principaux destinataires du message, à savoir la communauté internationale, mais aussi les autres parties prenantes, comme ceux de la recherche et de la formation qui nous concernent ici.
L’évolution de la rhétorique dans les discours politiques apparait nettement dans l’approche privilégiée par la délégation de la République démocratique du Congo (RDC) qui avait fait du slogan « la RDC, pays-solution », son mantra à la COP26 de la CCNUCC qui a eu lieu à Glasgow du 31 octobre au 13 novembre 2021. Ce slogan ne doit rien au hasard. Le caractère de « pays solution » a été défendu en invoquant l’important massif forestier qu’abrite la RDC ainsi que les tourbières de la Cuvette Centrale, son potentiel énergétique représenté par le dense réseau hydrographique, mais aussi sa richesse en minerais stratégiques indispensables à la transition écologique. Cette formule choc s’inspire d’un concept récemment popularisé, celui des « solutions fondées sur la nature »[4] pour faire face au changement climatique et à d'autres défis de société, tels que les objectifs de développement durable. Cette démarche n’est pas propre à la RDC ; elle a été au centre des actions de plaidoyer menées en septembre 2021 au Congrès Mondial de la Nature par la COMIFAC, ses pays membres et partenaires qui ont appelé la communauté internationale à une coordination des actions pour un flux financier adéquat pour la préservation des écosystèmes et tourbières du Bassin du Congo, en tant que solution rentable fondée sur la nature[5]. En ce qui concerne les tourbières de la Cuvette Centrale en particulier, celles-ci sont souvent présentées comme une « solution fondée sur la nature »[6]. Elles s’étendent en RDC et en République du Congo sur 145 000 kilomètres carrés et constituent la plus grande étendue de tourbières dans les tropiques. Elles représentent ainsi l’un des écosystèmes les plus riches en carbone de la planète et piègent 30 milliards de tonnes de carbone[7]. Ces efforts de plaidoyer n’ont pas été infructueux ; à la COP 26 de la CCNUCC, un groupe de 12 donateurs internationaux s’est engagé à apporter une contribution financière s’élevant à au moins 1,5 milliard de dollars sur les quatre prochaines années pour soutenir la protection et la gestion durable des forêts du bassin du Congo.
Le fait de reconnaitre que les forêts du bassin du Congo sont au cœur des « solutions fondées sur la nature » ne devrait pas nous faire perdre de vue un autre aspect essentiel, celui de l’opérationnalisation de ce concept, en général, et de son opérationnalisation dans le secteur forestier, en particulier. Cette question a été abordée lors de la session consacrée au rôle des forêts et des arbres pendant le XXV Congrès mondial de l'IUFRO, à Curitiba au Brésil du 29 Septembre au 5 Octobre 2019 et aussi à bien d’autres occasions. En dépit de la volonté politique, l’opérationnalisation de ce concept demeure un processus inachevé. Il est donc urgent de s’interroger sur l’opérationnalisation de ce concept dans le contexte du bassin du Congo, en général, et l’apport éventuel de la recherche et de la formation, ou mieux des institutions membres du RIFFEAC, en particulier. En ce qui concerne la recherche, une telle réflexion a été déjà initiée par ailleurs, notamment par le Collectif de ministres de l'environnement et de chercheurs pour la défense du bassin du Congo[8]. Le RIFFEAC, en tant que partenaire technique de la COMIFAC, ne devrait pas rester en marge de cette nouvelle dynamique. Tout en faisant sienne les conclusions du Collectif de ministres de l'environnement et de chercheurs pour la défense du bassin du Congo, sa contribution pourrait s’articuler autour de trois piliers complémentaires :
Les articles publiés dans ce volume de la Revue Scientifique et Technique Forêt et Environnement du Bassin du Congo montrent que les institutions membres du RIFFEAC participent déjà de manière disparate aux piliers ci-dessus énumérés. Le positionnement du RIFFEAC dans cette nouvelle dynamique, avec une stratégie claire et un plan d’action réaliste, est le premier défi à relever. Le RIFFEAC a un avantage comparatif certain sur lequel il peut s’appuyer pour jouer sa partition avec succès.
Dr. Jean-Claude NGUINGUIRI
RIFFEAC Chairman of the Board of Directors (2007-2016)
Forestry Officer, Social Forestry Team, Forestry Division,
Food and Agriculture Organization of the United Nations
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[1] Gatti, L.V., Basso, L.S., Miller, J.B. et al. Amazonia as a carbon source linked to deforestation and climate change. Nature 595, 388–393 (2021). https://doi.org/10.1038/s41586-021-03629-6
[2] "Le Dernier Poumon du Monde" de Yamina Benguigui (France), documentaire projeté dans la sélection "Canal fait son cinéma" du festival du Film Francophone d'Angoulême 2019.
[3] Entre 2008 et 2017, le bassin du Congo n’a reçu que 11 % des flux financiers internationaux destinés à la protection et à la gestion durable des forêts dans les zones tropicales, contre 55 % pour l’Asie du Sud-Est et 34 % pour l’Amazonie (https://www.jeuneafrique.com/1258572/societe/cop-26-150-millions-de-dollars-pour-le-bassin-du-congo/).
[4] Le concept de solutions fondées sur la nature a été introduit à la fin des années 2000 par la Banque mondiale et l'UICN pour souligner l'importance de la conservation de la biodiversité pour l'atténuation et l'adaptation au changement climatique. Ce concept a fait l'objet d'une grande attention lors de la COP 25 de la CCNUCC, tenue à Madrid en décembre 2019, après la demande du Secrétaire général des Nations Unies d’accorder plus d’intérêt politique sur le pouvoir des « solutions fondées sur la nature » pour lutter contre le changement climatique, faite pendant le Sommet des Nations Unies sur l'action pour le climat tenu le 23 septembre 2019.
[5] https://pfbc-cbfp.org/actualites-partenaires/Voix-BC.html
[6] « Les tourbières, une formidable solution fondée sur la nature », est l’intitulé d’un panel qui s’est tenu le 5 juillet 2021 avec la facilitation du CIFOR.
[7] Dargie, G. C., Lewis, S. L., Lawson, I. T., Mitchard, E. T., Page, S. E., Bocko, Y. E., & Ifo, S. A. (2017). Age, extent and carbon storage of the central Congo basin peatland complex. Nature, 542(7639), 86-90. doi:10.1038/nature21048
[8] Les conclusions ont été publiées par Jeune Afrique le 30 octobre 2021. https://www.jeuneafrique.com/1258572/societe/cop-26-150-millions-de-dollars-pour-le-bassin-du-congo/
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