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"Europe-Afrique : L'indispensable alliance".


Conférence des Parlements européen et panafricain
Lisbonne, le 7 décembre 2007.

Louis Michel,

Commissaire européen au Développement et à l'Aide humanitaire.


"Europe-Afrique : L'indispensable alliance"


Madame la Présidente du Parlement panafricain,

Monsieur le Président du Parlement européen,

Monsieur le Président de l'Assemblée de la République portugaise,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires d'Europe et d'Afrique,

Je suis heureux et honoré de m'adresser à vous aujourd'hui à l'occasion de cette rencontre inter-parlementaire euro-africaine. Ayant été moi-même parlementaire pendant près de 30 ans, je mesure bien le caractère historique d'une telle rencontre.

Les Parlements ont un rôle irremplaçable dans l'expression de la démocratie et des volontés des peuples. Et vous êtes aujourd'hui la voix des peuples de nos deux continents, Afrique et Europe, qui partagent une communauté d'intérêts et de destin, deux acteurs internationaux majeurs qui veulent maîtriser la globalisation dans un sens d'une prospérité mieux partagée et d'un monde plus juste.

Ces dernières années, l'Afrique et l'Europe ont profondément changé. L'Afrique s'exprime désormais d'une voix continentale plus forte et affirme son importance géopolitique sur le grand échiquier mondial. Elle s'organise au travers de l'Union Africaine et des communautés économiques régionales. Lafréquence des élections et des alternances témoignent de l'aspiration inexorable des peuples africains à la démocratie. L'Europe quant à elle, agrandie à 27 membres, représentant près de 500 millions de personnes, est devenue un acteur global incontournable, une"puissance douce"au service du multilatéralisme pour faire aux grands défis de notre temps, une puissance qui exerce un pouvoir de conviction et d'influence et non de force et de contrainte.

Nos relationségalement se doivent de changer. Des décennies d'aide au développement ne semblent pas avoir donné les résultats escomptés. Cela tient essentiellement au fait que notre relation était fondée et figée sur un principe de dépendance donateur-bénéficiaire.

Notre partenariat fut, de ce fait, trop souvent mis enéchec par des non dits, les embarras de l'Histoire, les suspicions, voire les humiliations.

Ce schéma archaïque ne répond plus à la réalité ni aux aspirations et aux défis qui se posent à l'Afrique comme à l'Europe. Il nous faut aujourd'hui changer la nature de ce partenariat Il s'agit de redéfinir une relation privilégiée et de nature nouvelle entre l'Afrique et l'Europe.

J'irais même plus loin : il faut changer la psychologie de notre relation héritée de l'expérience coloniale et postcoloniale. Pour reprendre les termes employés récemment par une ministre africaine, je dirais :

"Arrêtez, vous Européens, avec votre mauvaise conscience et vos réflexes d'anciens colonisateurs qui vous fait reproduire un schéma paternaliste et vous empêche de penser l'Afrique comme un continent d'opportunités.

Arrêtez, vous Africains, de croire et faire croire que la responsabilité des problèmes et des fautes vient forcément d'ailleurs, des anciens colonisateurs, ce qui vous empêche de prendre votre destin en main".

La nature de cette nouvelle relation doitêtre de nature fondamentalement politique. Le Sommet de Lisbonne doit constituer à la fois le point de départ et le premier test pour ce dialogue politique entre partenaires définitivement égaux. Dans ce dialogue il faut aborder sans tabous les questions qui nous rassemblent tout comme celles qui nous divisent. Les Accords de Partenariat Economique (APE), la situation au Darfour, l'énergie nucléaire, les migrations, le Zimbabwe, ou encore la Cour Pénale Internationale. Oui ce sont des sujets difficiles ; mais nous ne devons pas avoir peur des frictions.

Car de notre capacité d'aborder ensemble, sans drame ni dogme, mais dans le respect et la confiance, même les"questions qui fâchent", dépendra justement la qualité et la profondeur de notre Partenariat.

Notre Stratégie conjointe Afrique-UE reflète également ce tournant radical dans nos relations, posant les termes d'un partenariat décomplexé et fondé sur un véritable dialogue politique entre partenaires égaux en droits et en devoirs.

Ce nouveau partenariat Afrique-UE tel que reflété dans la Stratégie conjointe et le Plan d'action avec ses 8 partenariats se veut ambitieux, global et opérationnel. Il propose une vision stratégique à long terme avec sur un agenda global multisectoriel. Cet agenda ne peut être en aucune manière le domaine réservé des ministres du développement. Au contraire, il doit engager tous les responsables politiques et ministres sectoriels.

Un possible malentendu doitêtre écarté d'emblée : affirmer la nécessaire modernisation du partenariat Afrique-UE ne signifie en rien que nous tournions le dos à la solidarité. Bien au contraire.

La solidarité est et restera une pierre angulaire du partenariat Afrique-UE dans la lutte contre la pauvreté et la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement.

Cependant, il s'agit de dépasser le cadre thématique du développement. Les 8 partenariats qui ont été identifiés par les 2 parties dans le Plan d'action, définissent ce cadre global d'action :

Partenariat Afrique-UE pour la Paix et la Sécurité

Partenariat Afrique-UE sur la gouvernance démocratique et le Droits de l'Homme

l'Espace Partenariat Afrique-UE sur le Commerce et l'Intégration régionale

Partenariat Afrique-UE sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement

Partenariat Afrique-UE sur l'Énergie

Partenariat Afrique-UE sur le Changement Climatique

Partenariat Afrique-UE sur les migrations, la mobilité et l'emploi

Partenariat Afrique-UE sur les Sciences, la Société de l'Information et l'Espace

Il s'agitégalement de projeter ce partenariat vers l'extérieur : notre coopération doit nous permettre de définir ensemble nos intérêts communs et de les porter ensemble dans les enceintes internationales, avec un potentiel d'influence renforcé.

Serait-il ainsi si impensable que l'Europe et l'Afrique défendent ensemble l'idée d'un Conseil de Sécurité plus représentatif ?

Est-il impensable de développer une stratégie commune pour renforcer la représentativité du continent africain dans des institutions comme celles de Bretton Woods ?

Est-il impensable que dans les conférences sur le changement climatique comme celle de Bali, l'Europe et l'Afrique s'allient pour un accord post-Kyoto ambitieux ?

Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, permettez-moi de prolonger ma réflexion sur la question spécifique mais centrale du dialogue Afrique-UE sur la Gouvernance et les Droits de l'Homme.

Je le dis d'emblée : c'est un thème où nul n'a le monopole de la vertu. L'important est de se garder d'une attitude caractérisée par un jugement idéologique définitif et moralisateur.

Le principe, l'essence-même de la gouvernance que j'appelle également l'« l'Etat juste », est de garantir les droits et les libertés des citoyens, et d''assurer les fonctions régaliennes de l'Etat en matière de redistribution, de fourniture de services sociaux élémentaires (accès à l'éducation et la santé), d'accès à une administration et à une justice impartiales et efficaces.

L'Afrique nous a montré qu'elle est consciente et capable de cette responsabilité. L'émergence des régimes démocratiques, certes souvent fragiles et imparfaits, témoigne sans conteste d'une évolution positive. L'Afrique a mis graduellement en place une architecture panafricaine de gouvernance, dont les pièces maîtresses sont la Charte Africaine pour la Démocratie, les Elections et la Gouvernance et le Mécanisme Africain d'Evaluation par les Pairs.

C'est dans ce contexte que nous allons lancer un Forum sur la Gouvernance. Ce Forum fournira une Plateforme pour un dialogue ouvert entre l'UE et l'Afrique sur toutes les questions de gouvernance. Les parlements, garants de la bonne gouvernance, devront participer activement avec les autres forces vives de la société à ce Forum pour qu'il puisse être un véritable moteur de changement.

Pour revenir aux objectifs du Sommet età sa projection dans le temps, notre crédibilité collective dépendra de notre capacité à réussir la mise en?uvre des 8 partenariats thématiques énoncés dans le premier plan d'action de mise en?uvre de la Stratégie Afrique-UE. Nous devrons être en mesure lors de notre prochaine réunion en 2010 de montrer les résultats concrets de ce partenariat.

C'est un défi que nous devons relever, ensemble, Commissions, Etats Membres, société civile, secteur privé et assemblées parlementaires continentales, régionales et nationales, d'Afrique et d'Europe.

La mise en?uvre doit commencer dès maintenant. C'est un travail qui engage tout le monde, où tout le monde aura son rôle à jouer.

Les Commissions européenne et africaine, assumeront leurs responsabilités, mais ne sont pas omnipotentes et n'ont aucune vocation centralisatrice dans la mise en?uvre du partenariat. Les Etats membres, les organisations sous-régionales auront également leur part à jouer.

Mais nous comptonségalement énormément sur les parlements, la société civile et le secteur privé pour participer étroitement à nos cotés à ce processus de mise en?uvre.

La place centrale accordée aux acteurs démocratiques et aux sociétés civiles africaine et européenne, au c?ur du partenariat stratégique et de sa mise en?uvre, constitue une innovation, qui, je l'espère, permettra l'émergence d'un véritable"partenariat centré sur les peuples".

L'allocution de vos deux Présidents devant les chefs d'Etats et de gouvernement demain matin en sera la consécration officielle. A ce titre, je me réjouis de votre décision de créer une délégation interparlementaire conjointe du Parlement Européen et du Parlement Panafricain afin de suivre ensemble de façon structurée la mise en?uvre de ce partenariat.

Au niveau continental, un rapport annuel conjoint de mise en?uvre de la Stratégie et de son Plan d'action vous sera soumis, afin que vous puissiez nous faire part de vos remarques et observations, voire de vos critiques sur l'évolution de la mise en?uvre.

Vous le savez, la phase la plus exigeante et complexe du partenariat commencera au lendemain de ce Sommet de Lisbonne.

Je voudrais finir mon intervention en partageant avec vous ma conviction sur la portée historique de ce nouveau partenariat. Nous ne devons pas oublier le passé. Nous devons l'assumer mais aussi le dépasser et créer par notre volonté de nouveaux référents pour notre relation, fonder de nouveaux"lieux de mémoire"de cette histoire que nousécrivons maintenant.

Faisons ensemble de Lisbonne l'un de ces lieux de mémoire, permettant de tourner enfin la page du Congrès de Berlin, écrite par les Européens sans les Africains.

Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les parlementaires, je vous remercie de votre attention.


[SAE2007]
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