L’industrie et les communautés forestières du Québec font face à des défis qui paraissent pratiquement insolubles. Comment assurer leur avenir, mettre en marché de nouveaux produits forestiers et tout à la fois contribuer à la lutte aux changements climatiques, améliorer l’état de la forêt, protéger la biodiversité et participer à l’établissement de nouvelles aires protégées en milieu forestier. Une lueur d’espoir se dresse à l’horizon.
Lors de la COP 16 en Colombie, les parties à la Convention sur la diversité biologique ont discuté du potentiel des crédits de carbone forestier dans la protection de la biodiversité. Quelques jours plus tard, lors de la COP 29 sur les changements climatiques, les parties ont adopté de nouvelles règles pour le marché du carbone, reconnaissant la contribution des crédits compensatoires de carbone à la lutte contre les changements climatiques. Le même constat a été fait lors du congrès annuel 2024 de l’Association forestière Saguenay- Lac-St-Jean alors que des conférenciers soumettaient avec force que la forêt doit faire partie de l’équation pour atteindre les objectifs de réduction des gaz à effet de serre au Québec.
Dans un mémoire[1] présenté au Ministère des Ressources naturelles et des Forêts dans le cadre de la récente Démarche de réflexion sur l'avenir de la forêt, nous précisions que la production de crédits compensatoires de carbone dans les forêts publiques du Québec permettrait d’aborder ces questions en répondant aux attentes des diverses parties concernées par l’aménagement forestier.
Au Canada et ailleurs dans le monde, la production de crédits compensatoires de carbone forestier est actuellement régie par certains protocoles reconnus tels que le FCOP de Colombie-Britannique[2], ceux mis en place par l’organisme de certification Verra[3] et l’American Carbon Registry[4] adopté par la Californie. Cette approche, qui peut s’appliquer sur les terres publiques, et recommandée par plusieurs spécialistes[5] y compris le Forestier en chef du Québec, mise sur le boisement, le reboisement, l’allongement des périodes de rotation, l’aménagement amélioré de la forêt et/ou l’arrêt des activités d’exploitation industrielle intensive sur un territoire donné.
Les pratiques d’aménagement mises en place pour la production de crédits compensatoires de carbone peuvent contribuer à mieux protéger le territoire contre les feux de forêts, les infestations d’insectes et les chablis, et sauvegarder la biodiversité en réduisant les impacts des activités forestières. Ce type d’aménagement favorise la biodiversité, la productivité et la pérennité de la forêt face aux aléas climatiques. Les territoires aménagés pour la production de crédits de carbone pourraient même être reconnus comme des aires protégées d’utilisation durable des ressources (Catégorie VI de l’UICN)[6] tout en procurant des revenus substantiels et des possibilités d’emploi aux parties concernées.
Les entreprises assujetties au marché du carbone Québec-Californie peuvent actuellement compenser leurs émissions de GES par l’achat de crédits compensatoires forestiers. Comme le Québec n’a pas encore adopté de protocole permettant la production de ces crédits compensatoires en forêt publique, les émetteurs doivent acheter les crédits produits en Californie au détriment de l’économie et des forêts du Québec. Pourtant la production de crédits carbone est possible et a fait ses preuves dans certaines forêts privées au Québec en suivant le protocole adopté par le Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs ou le programme volontaire VCS de Verra tel qu’appliqué dans le projet PIVOT d’Ecotierra[7]. Le protocole québécois axé sur le boisement/reboisement a toutefois ses limites et plusieurs entreprises et organisations telles que la Fédération des producteurs forestiers du Québec[8] recommandent au gouvernement du Québec d’adopter d’autres protocoles visant notamment l’aménagement amélioré de la forêt à l’exemple de celui récemment adopté par le gouvernement du Canada[9].
Il est temps que le gouvernement du Québec reconnaisse lui aussi le potentiel socio-économique et environnemental de la production de crédits compensatoires de carbone forestier sur les terres publiques et qu’il offre aux entreprises forestières la possibilité de consacrer à la production de crédits compensatoires de carbone forestier une partie du territoire public qui leur est alloué.
Jacques Prescott, M.Sc., biologiste, partenaire et directeur principal ESG et développement durable, Groupe Carbonethic
Gaston Déry, ing.f., M.Sc., C.M.,C.Q. Conseiller stratégique, développement durable
[2] Offset protocols - Province of British Columbia (gov.bc.ca)
[4] https://acrcarbon.org/wp-content/uploads/2023/07/ACR-Standard-v7.0-Dec-2020.pdf
[5] [Opinion] Sauver les caribous grâce au carbone forestier | Le Devoir
[6] Lignes directrices pour l’application des catégories de gestion aux aires protégées : PAPS-016-Fr.pdf (iucn.org)
[7] https://www.projetforestierpivot.com/
[8] https://www.operationsforestieres.ca/nouveaux-credits-compensatoires-pour-le-carbone-forestier-afin-de-lutter-contre-les-changements-climatiques/
[9] https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/services/changements-climatiques/fonctionnement-tarification-pollution/systeme-tarification-fonde-rendement/systeme-federal-credits-compensatoires-gaz-effet-serre/recueil-protocoles/protocole-federal-amelioration-amenagement-forestier-terres-privees.html