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L'énergie, au coeur du débat politique


Par Claude Gauvreau

Projet gigantesque représentant des investissements publics et privés de plus de 80 milliards de dollars, le Plan Nord a été lancé en mai 2011 par une projection vidéo sur un écran de 20 mètres de largeur où défilaient un troupeau de caribous, une baleine qui plonge, des rivières majestueuses et des autochtones tout sourire, tandis que s'affichaient quelques mots clés : "vision", "innovation", "immensité" et "générations futures".

"De la nationalisation de l'électricité au Plan Nord, en passant par Manic 5 et le complexe de la Baie James, les grands projets de développement, en particulier énergétiques, ont toujours été accompagnés de représentations symboliques et identitaires fortes", souligne Stéphane Savard, professeur au Département d'histoire. Membre des comités de rédaction de la revue électronique Histoire engagée et du Bulletin d'histoire politique, ce jeune chercheur s'intéresse aux débats entourant les politiques et orientations énergétiques.

"Depuis le début du XXesiècle, les enjeux énergétiques occupent une place importante dans les préoccupations des responsables politiques et des décideurs économiques québécois, rappelle l'historien. Ces enjeux sont foncièrement politiques car ils renvoient aux luttes que se livrent divers acteurs sociaux à propos de grands projets de développement, à la façon dont la société se projette dans le futur."  

"Pas dans ma cour"

Dès les années 30, le Québec envisage de favoriser la filière de l'hydroélectricité. En 1944, l'État crée la société Hydro-Québec et entreprend une première nationalisation de l'électricité en prenant le contrôle de la Montreal Light, Heat and Power, qui exerçait un monopole impopulaire et décrié sur la vente d'électricité et de gaz dans la région de Montréal. La seconde nationalisation, lancée au moment de la Révolution tranquille, en 1962, instaure un monopole étatique. Les deux nationalisations ont permis à Hydro-Québec de devenir un des principaux producteurs d'électricité en Amérique du Nord, de lancer d'ambitieux projets de développement dans le Nord du Québec et de garantir aux Québécois des tarifs d'électricité bas et uniformes sur l'ensemble du territoire. Le Québec deviendra l'une des société les plus électrifiées au monde.

Depuis, d'autres filières énergétiques - nucléaire, gaz naturel, pétrole, énergies éolienne et solaire - soulèvent le débat. "Au début des années 70, le Parti québécois encourage le virage nucléaire et s'oppose au choix de l'hydroélectricité du gouvernement Bourassa, note Stéphane Savard. Hydro-Québec envisagera même la construction de 30 centrales nucléaires. Mais l'accident de Three Mile Island aux États-Unis, en 1979, et l'opposition grandissante des groupes environnementalistes refroidissent les ardeurs. On prend aussi conscience que cette technologie progresse moins rapidement que prévu et que ses coûts ne baissent pas autant qu'on le souhaitait. Aujourd'hui, le gouvernement Charest et Hydro-Québec réfléchissent toujours à une possible réfection de la centrale Gentilly-2, au coût de 2 milliards $, tandis que certains groupes prônent sa fermeture au profit des énergies renouvelables."

Les débats politiques sur les enjeux énergétiques se situent sur les plans macro et micopolitique, poursuit le chercheur. "Même s'ils font consensus au niveau national, certains grands projets entraînent des résistances locales. On l'a vu au début des années 2000 quand des groupes de citoyens se sont opposés à l'établissement de parcs éoliens dans leur région. C'est le phénomène pas dans ma cour."

Un Québec bâtisseur

La thèse de doctorat de Stéphane Savard, qui sera bientôt publiée, porte sur les mutations des représentations symboliques et identitaires concernant Hydro-Québec, entre 1944 et 2005. "La nationalisation de l'électricité en 1962 a été associée à la modernité économique et Hydro-Québec a été perçu comme le vaisseau amiral permettant aux Canadiens français de prendre leur économie en mains, observe le professeur. Les représentations que nous nous faisons de notre rapport à la nature et au territoire étaient aussi en jeu dans cette nationalisation. Les documents promotionnels d'Hydro-Québec et le discours du premier ministre Daniel Johnson lors de l'inauguration du barrage Manic 5, en 1968, proposent l'image d'un Québec qui contrôle de manière virile les éléments naturels de son territoire. Dans les décennies suivantes, les représentations se transforment, notamment avec la montée des groupes environnementalistes et des revendications autochtones que l'on ne peut plus ignorer."

Selon Stéphane Savard, le Plan Nord, nouveau grand projet pour l'avenir du Québec, s'apparente beaucoup à celui de la Baie James. Dans les années 70, c'est la Baie James qui incarnait une nouvelle frontière. "Le Plan projette lui aussi l'image d'un Québec bâtisseur qui maîtrise son territoire, mais qui, de surcroît, respecte l'environnement et fait du développement durable, dit-il. On a hâte de voir comment les responsables politiques et les décideurs économiques comptent y parvenir. Jusqu'à maintenant, les projets énergétiques d'Hydro-Québec demeurent flous."

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Source : Journal L'UQAM, vol. XXXVIII, no 12 (5 mars 2012)


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