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Renforcer les mouvements de base et la solidarité entre féministes : retour sur la caravane européenne


Initiée en mars dernier à Nusaybin, au Kurdistan turc, la Caravane Féministe de la Marche Mondiale des Femmes à travers l’Europe s’achèvera le 17 octobre 2015 à Lisbonne, au Portugal, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté et de la date de clôture officielle de la 4ème action internationale de la Marche Mondiale des Femmes. L’AWID s’est entretenue avec Clara Carbunar, militante au sein de la Marche Mondiale des Femmes (MMF) France et de la Coordination européenne de la MMF et membre de l’équipe d’organisation de la caravane européenne, pour en apprendre davantage. 

Par Mégane Ghorbani

AWID : Qui a initié cette caravane européenne et pourquoi ?

Clara Carbunar (CC) : Le Réseau de Jeunes Féministes d’Europe de la MMF[1] a proposé cette action dans le cadre de la réflexion autour de la 4ème action internationale de la MMF, laquelle implique des actions par région pour renforcer les bases féministes dans chaque continent et mettre en lumière diverses formes de résistances et de luttes de femmes. Nous voulions notamment renforcer les liens avec les femmes d’Europe de l’Est qui sont moins bien organisées dans la marche, avec une caravane qui parcourt différents pays et mouvements, afin de faciliter le travail collectif des féministes sur ce continent.

AWID : Quels sont les objectifs de la caravane ?

CC : L’idée principale de cette caravane était de rappeler que partout sur le continent, des femmes sont engagées dans diverses luttes – bien qu’on n’en parle que très peu – et de s’encourager mutuellement entre féministes dans ces luttes. La caravane intervient dans une période difficile au niveau des luttes en Europe, avec notamment d’importants contrecoups et l’isolement de féministes, en particulier de celles qui sont sur une ligne anticapitaliste qui remet en question le système dans son ensemble. Il s’agissait donc de faire des ponts entre mouvements, de documenter les réalités actuelles des femmes et de les transmettre, en particulier au sein du mouvement féministe. 

La caravane cherchait également à donner l’occasion aux féministes de travailler ensemble au niveau local pour créer des événements communs. Elle fournissait ainsi un prétexte pour l’organisation d’événements tout en laissant les féministes locales décider de la forme et de la durée de ces derniers.

Un autre objectif de la caravane consistait à créer une communauté de féministes, dont la vie en communauté présentait une alternative à l’individualisme capitaliste. L’équipe de la caravane était constituée d’une quinzaine de femmes de diverses nationalités, et variait en fonction des rencontres sur le chemin et de celles qui rejoignaient l’équipe pour une période précise. C’était aussi un espace de tentative et d’expérimentation de modes de vie alternatifs pour les militantes qui se joignaient à cette communauté.

AWID : Comment ont été décidés l’itinéraire et les activités de la caravane ?  

CC : Le parcours global de la caravane s’est construit à partir des besoins et des demandes de la MMF au niveau national. Des coordinations de groupes locaux avec lesquels nous avions déjà travaillé par le passé ont été par la suite contactées pour leur demander leurs besoins. Le parcours de la caravane s’est alors précisé avec des dates et des villes. A chaque arrêt, la forme de réception de la caravane pouvait varier d’une soirée à cinq jours d’événements, en fonction de l’analyse des féministes locales sur leurs besoins de durée et de type d’événement. Ces événements pouvaient être aussi bien tournés sur le niveau local, national ou international. Ils pouvaient prendre la forme de manifestations, conférences, discussions, visites de lieux de luttes, événements culturels ou encore d’ateliers pratiques pour s’auto-former entre féministes, dont des ateliers d’auto-défense ou encore le recours à la méthode du théâtre de l’opprimé.

AWID : Pouvez-vous nous parler des dynamiques engendrées entre le niveau local, régional et international ?  

CC : Le public des événements était très large mais les événements étaient principalement organisés par les féministes locales. Le rôle de l’équipe de la caravane était plutôt d’apprendre, de comprendre et de partager les luttes de ces femmes. L’arrivée de cette caravane composée de féministes de différents pays a permis d’apporter de la force politique aux féministes locales. Même en France, où l’on peut penser qu’il est plus fréquent d’observer la présence de diverses féministes, la caravane a impulsé une dynamique féministe dans des villes où il n’existe pas d’organisation féministe de base. On a observé cet effet surtout dans les pays des Balkans. A Belgrade, en Serbie, un groupe de lesbiennes a par exemple décidé d’organiser le Printemps des lesbiennes, dont notamment une marche publique lesbienne, en alliance avec les féministes. C’était une première dans l‘histoire des Balkans. Elles ont réussi à faire venir des lesbiennes d’autres pays de la région dans un contexte très dur de violences à leur encontre. Elles se sont servies de l’appui international que la caravane pouvait apporter pour puiser dans leurs propres forces pour réaliser un événement inédit, symbolique et extrêmement émouvant. Cela montre concrètement comment l’international peut servir de soutien et agir comme vecteur de solidarité entre féministes.

AWID : Comment la caravane européenne répond-elle aux thématiques abordées de manière plus générale par la MMF au niveau international et quel est le symbole commun de cette 4ème action internationale ?

CC : La Marche Mondiale des Femmes (MMF) travaille sur quatre grands thèmes transversaux, à savoir les violences, la paix et la démilitarisation, l’autonomisation économique et la question des biens communs/biens publics. Pour chaque thème, la caravane européenne s’est jointe à divers types de luttes sur le chemin. Sur la question de la démilitarisation par exemple, nous nous sommes alliées à un mouvement de femmes du Kurdistan turc, avons visité l’ancien camp de concentration de Mauthausen en Autriche où des femmes sont en lutte pour la reconnaissance de la prostitution forcée des femmes dans le camp, et avons visité Srebrenica en Serbie, 20 ans après le génocide commis par les forces militaires serbes de Bosnie. Des femmes exilées en Europe de l’Ouest ont également partagé avec nous leurs expériences de guerre.

Les semences ont été choisies comme symbole commun pour cette 4ème action internationale de la MMF en référence aux luttes des femmes pour la souveraineté alimentaire. Dans le cadre de la caravane, il y a donc eu des échanges de graines dans des lieux publics pour mettre en exergue de manière symbolique les questions de ressources, de terres, d’eau, de production et de  consommation alimentaire et les enjeux de genre correspondants. Des rencontres avec des femmes paysannes ont aussi été organisées et plusieurs groupes locaux ont repris cette thématique dans leurs activités.

AWID : Pourriez-vous nous en dire plus sur le camp féministe organisé en Pologne ?

CC : Au mois d’août, un campement féministe international s’est tenu à Wojtowice, en Pologne, rassemblant pendant une semaine une quarantaine de féministes venues de partout dans le monde. Le campement répondait à un besoin des polonaises de proposer un espace pour se connecter au mouvement de femmes d’autres pays, avec l’appui de la MMF, car il n’y a pas de réseau national formel de féministes dans le pays et que les féministes anticapitalistes sont minoritaires par rapport aux féministes libérales en Pologne. L’un des objectifs était d’identifier les nouveaux mouvements populaires dans le monde post-communiste, après 25 ans de transition, se liant ainsi également aux femmes de l’Europe de l’Est et soutenant leurs mobilisations.

AWID : Quels ont été les difficultés auxquelles vous avez été confrontées ?

CC : Il y a beaucoup de difficultés liées à communication autour de la caravane, que nous avions planifiée comme très régulière au départ mais qui n’a pu être possible en raison du manque de ressources humaines. La caravane n’a pas disposé de subventions publiques, puisque nos demandes de financements ont été refusées, et nous avons dû composer avec un budget très limité résultant de dons privés. Nous avons réussi à collecter 12 000 euros par financement participatif, ce qui reste très peu pour un projet de ce type, notamment lorsque l’on sait que nos militantes, surtout celles qui viennent des pays les moins riches d’Europe, se trouvent dans des situations économiques extrêmement difficiles. Une autre difficulté à laquelle nous avons été confrontées est celle du système de frontières et de visa européen qui rendait compliqué la circulation de nos militantes.

AWID : Quelles sont les prochaines étapes ?

CC : Un événement de clôture de la caravane aura lieu à Lisbonne au Portugal du 15 au 17 octobre 2015. Nous espérons une présence importante de féministes du monde entier. Par la suite, nous allons voir comment partager ce que la caravane a observé au niveau des luttes de femmes peu connues, en se basant sur la documentation des luttes produite au fur et à mesure de son parcours. Sur la forme, nous aimerions réaliser une exposition et éventuellement produire une publication, mais cela dépendra fortement des ressources humaines et financières disponibles.

 

[1] Ce réseau avait organisé un Campement des Jeunes Féministes d’Europe en 2011 et en 2012.

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