Un article de humanite-biodiversite.fr
Verre à moitié vide ou à moitié plein ?
Comme dans tout accord négocié, chacun trouve facilement dans l’accord de Paris confirmation de ses préjugés optimistes ou pessimistes.
Livrons-nous donc à un peu de décryptage, à la lecture du texte lui-même :
1) L’existence d’un accord, avec du contenu, après une discussion entre 195 pays ayant des intérêts aussi divergents que les Etats-Unis, la Chine, l’Inde et les petits états insulaires, est en soi une très bonne nouvelle. Le spectre de Hamlet (atténuer ou ne pas atténuer ?) qui avait inspiré Copenhague en 2009 a fait place ici à une détermination mondiale clairement affichée sur les objectifs, à défaut d’une parfaite harmonie sur les moyens. C’est indiscutablement un succès diplomatique pour la France. Pour le climat notre lecture est plus nuancée.
2) Concernant l’atténuation, on est sorti du processus en vigueur depuis Kyoto, visant à répartir entre les seuls pays gros émetteurs un « fardeau » total de réductions d’émissions de gaz à effet de serre, afin de diviser ces émissions par 2 au niveau mondial entre 1990 et 2050. La logique retenue est maintenant celle des « contributions prévues déterminées au niveau national » (en anglais « Intended nationnaly determined contributions », INDC), proposées par tous les pays, y compris les moins développés, INDC différenciées selon leurs capacités.
a. L’accord vise (article 2) à « (contenir) la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et (à poursuivre) l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C …». On rappelle que l’augmentation actuelle constatée est déjà proche de 1°C.
b. Cependant, il « note avec préoccupation » (considérant n° 17) que les INDC actuels « ne sont pas compatibles » avec le scénario à 2°C, et conduisent à 55 Gigatonnes d’émissions d’ici à 2030. Selon les modèles du GIEC, ce cumul est en effet proche d’un scénario à 3°C. Toujours selon le GIEC, il faudrait ne pas dépasser un « budget » de 40 Gt d’émissions pour rester dans un scénario à 1,5°C, alors que tendanciellement ce chiffre sera atteint dès 2025 : autant dire que l’objectif volontariste de 1,5°C, réclamé avec force par les petits états insulaires, a fort peu de chance d’être atteint…
c. C’est pourquoi l’accord prévoit(art 4) que chaque pays « sur la base de l’équité » et « eu égard aux contextes nationaux différents » devra actualiser ses INDC tous les 5 ans, toujours en progression. Les pays développés « continuent à montrer la voie » en la matière. Un registre public en est tenu.
d. Les INDC incluent les capacités d’absorption anthropique et les puits (seuls les puits forestiers sont cités), selon des méthodes de calcul en assurant la transparence, qui restent à préciser.
3) L’adaptation fait l’objet, pour la première fois dans un texte d’application de la convention climat, de considérations détaillées (art 7) prévoyant une démarche impulsée par les pays, selon les principes onusiens, curieusement absents du reste du texte : «(démarche) …sensible à l’égalité des sexes, (tenant compte) selon qu’il convient des connaissances traditionnelles, du savoir des peuples autochtones et des systèmes de connaissances locaux en vue d’intégrer l’adaptation dans les politiques (…) pertinentes, s’il y a lieu… ». En revanche les « pertes et préjudices » (terme consacré pour les effets des phénomènes climatiques extrêmes ou à tendance longue comme la montée du niveau des mers), cités à l’article 8, ne font l’objet que de considérations générales, sans règles de prise en charge particulière contrairement à ce qui était attendu par certains pays.
4) Le financement est cité à l’article 9. Il est prévu que les « pays développés » fournissent des financements aux « pays en développement » « dans la continuité de leurs obligations au titre de la convention », mais que les « autres parties » (ce qui vise probablement la Chine et les autres pays émergents : il s’agissait là d’un point très sensible de la négociation) « sont invitées à fournir ou à continuer de fournir ce type d’appui à titre volontaire »…
a. Un dispositif de compte-rendu précis, tous les deux ans, est défini sur les origines et destinations de ces financements, destinés à l’atténuation comme à l’adaptation.
b. Le montant de 100 Mds $ par an cité depuis Copenhague, assez près d’être atteint, est repris (considérant 54) comme un « objectif collectif plancher ».
c. Ces moyens sont cités (art 9, §3) comme relevant « d’un large éventail de ressources, d’instruments et de filières, compte tenu du rôle notable que jouent les fonds publics, par le biais de diverses actions… ». Ni la taxe carbone ou un prix du carbone, ni les marchés carbones existants dans différentes régions du monde (Europe, Chine, Amérique du Nord) ne sont spécifiquement cités comme moyens d’y parvenir, ces moyens (notamment la fiscalité) relevant de décisions politiques locales.
5) Le suivi des mesures (atténuation, adaptation et financement) sous le nom de « cadre de transparence renforcé », fait l’objet d’un article très détaillé (art 13). Il est indiqué que ce cadre est « assorti d’une certaine flexibilité » et sera mis en œuvre d’une façon qui ne soit « ni intrusive ni punitive ».
a. Derrière cette prudence diplomatique, il est précisé que chaque partie doit fournir régulièrement les informations sur les émissions nettes de GES, sur les mesures d’adaptation, sur les effets des changements climatiques et sur les financements fournis et reçus.
b. Il est précisé (art 13 § 11) que les informations sur les émissions et sur les financements sont « soumises à un examen technique par des experts, conformément à la décision 1/CP21 ».
c. On notera par ailleurs (hors texte de l’accord, qui n’en parle pas) que les moyens techniques satellitaires devraient permettre dès les prochaines années de recouper les données fournies par les parties : on est donc maintenant dans un dispositif beaucoup plus précisément contrôlable que dans le protocole de Kyoto.
Par ailleurs, la biodiversité n’est présente dans l’accord de Paris que par les forêts, leur rôle de puits de carbone et la lutte contre le défrichement. Cela n’est pas anormal en soi : une convention sur la biodiversité (CDB) a été signée à Rio en 1992 en même temps que la convention climat, et fait l’objet elle aussi de « conférences des parties » dédiées à son suivi. Notre action en faveur de la biodiversité veillera à ce que les objectifs de cette convention soient portés par la France et à ce que des actions résultant de l’accord de Paris et uniquement centrées sur le climat (notamment en matière de transition énergétique) ne conduisent pas à des effets négatifs pour la biodiversité.
Beaucoup de commentaires ont porté sur le caractère « contraignant » ou non de cet accord de Paris. On observera seulement à ce propos que selon son article 20 l’accord sera « soumis à la signature et soumis à la ratification, l’acceptation ou l’approbation » des états et parties à la convention climat à partir d’avril 2016, et qu’il entrera en application (art 21) dès qu’il sera ratifié ou accepté par au moins 55% des parties à la convention, représentant 55% des émissions.
Au-delà de l’obligation juridique, l’évolution de la perception mondiale du changement climatique depuis Copenhague, traduite notamment par l’évolution d’acteurs majeurs tels que la Chine, crée une obligation politique de réussir pour les états signataires. De ce point de vue, on ne peut que regretter le fait que seuls des lecteurs très attentifs du texte puissent y voir qu’on est actuellement sur une trajectoire de 3°C et pas de 2°C ni à plus forte raison de 1,5° C: passer à la trajectoire à 2°C imposera un effort énorme dans les INDC, et celle de 1,5°C apparait hors d’atteinte et porteuse de désillusions.
Quoi qu’il en soit cet accord impose de mener une transition rapide entre une économie carbonée et une nouvelle économie économe en consommation d’énergie fossile, elle devra se faire sans rupture sociale grave, cela reste un vrai défi. Soulignons que dans un dispositif de gouvernance mondiale qui laisse à chaque pays sa souveraineté, l’accord fournit des outils qui devraient être efficaces dans un cadre international. L’actualisation en continu des objectifs et la transparence des résultats techniques (en matière d’émissions) et financiers (en matière d’aides apportés par les pays développés) apparaissent comme des progrès majeurs, par rapport aux pratiques antérieures.
Au final, il y a un accord, un accord qu’il faut saluer mais c’est un accord à transformer, à faire vivre, car seule une dynamique continue et ambitieuse permettra de tenir les 2°. Le cadre est là, c’est un réel acquis, la réussite demandera une mobilisation de tous les instants.
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