L’élevage occupe une place centrale dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest. Il fait ainsi vivre plusieurs millions de familles, pour qui il représente une source d’activités et de revenus, une épargne, un facteur de résilience face aux crises, mais aussi un référent culturel fort.
Avec un effectif régional estimé à plus de 65 millions de bovins, plus de 200 millions d’ovins et caprins, et 2,6 millions de camélins, l’élevage aussi joue un rôle majeur dans l’économie ouest-africaine, et constitue même l’un des principaux facteurs d’intégration régionale. Néanmoins, cette activité est aujourd’hui menacée par l’accroissement de la pression sur les ressources naturelles qui conduit à une augmentation de l’insécurité foncière des éleveurs et la multiplication des entraves à la mobilité, par la concurrence avec des produits importés à bas prix (poudre de lait, volailles) qui viennent concurrencer sur les marchés urbains les produits locaux, et par un déficit structurel d’investissement (dispositif de collecte du lait, structures de marché, d’abattage, etc.) qui freine l’essor de la filière.
Faire évoluer les politiques publiques
Le Gret travaille depuis quatre ans auprès de l’Association pour la Promotion de l’Elevage au Sahel et en Savane (APESS) dans trois pays – Sénégal, Mali, Burkina Faso – pour promouvoir des innovations techniques et organisationnelles locales et permettre aux organisations d’éleveurs d’influer davantage sur les politiques publiques menées dans le secteur de l’élevage. A travers la mise en place d’un dispositif d’appui-conseil aux exploitations agropastorales, le lancement de nouvelles expérimentations (développement des cultures fourragères, expérimentation d’installation à base de biogaz, etc.), ainsi qu’un renforcement des organisations d’éleveurs (formation des leaders, diagnostic organisationnel, appui à la gestion des fonds d’investissement pour le financement de projets collectifs, etc.), les actions menées ont permis de consolider les organisations d’éleveurs à la base et d’améliorer les services qu’elles rendent à leurs membres.
Un travail important de concertation territoriale a aussi été effectué sur différents sites afin de sécuriser dans la durée l’accès des éleveurs aux ressources pastorales et de renforcer les synergies entre les acteurs des filières de l’élevage au niveau local. Cette collaboration renforcée entre élus locaux, organisations d’éleveurs, minilaiteries, entreprises de transformation laitière, fournisseurs d’intrants, services locaux d’appui, a permis de dynamiser la collecte et la transformation de lait local, et de réduire l’insécurité alimentaire des familles. Les cycles de concertation et de négociation organisés autour des zones conflictuelles entre agriculteurs et éleveurs ont aussi permis de renégocier et de formaliser les règles d’accès des éleveurs aux zones pastorales, afin que les couloirs de passage et les zones de pâturages ne soient plus bloqués par l’installation anarchique de champs de culture.
Ces différents acquis ont fourni des éléments précieux sur lesquels l’APESS a pu s’appuyer pour développer un plaidoyer en faveur de l’élevage agropastoral. A travers la participation à de nombreuses rencontres internationales (Forum paysan, Année internationale de l’agriculture familiale, Conférence ECOWAP 10, etc.), l’APESS a pu défendre sa vision de l’élevage et faire des propositions précises en faveur d’un soutien accru aux exploitations familiales agropastorales. Au niveau national, les ministres sénégalais et burkinabè de l’Elevage ont été conviés en décembre dernier à deux ateliers nationaux à Dakar et Ouagadougou, qui ont chacun rassemblé une centaine d’acteurs clés du domaine de l’élevage, et ont permis de développer des argumentaires et propositions autour de deux enjeux clés : une meilleure sécurisation du foncier pastoral et un soutien accru à la filière lait local.
Mieux sécuriser le foncier pastoral
La croissance du cheptel, la dégradation des terres, le développement de l’agriculture, des aménagements hydroagricoles et de l’urbanisation accroissent les pressions sur les ressources naturelles. Les régulations traditionnelles sont parfois remises en cause, accentuant les risques de conflits, et les besoins en termes de mobilité des animaux ne sont pas bien pris en compte, ce qui fragilise la place de l’élevage sur les territoires. Bien que dominant dans toute l’Afrique de l’Ouest, l’élevage agropastoral, qui repose en partie sur la mobilité, est toujours considéré comme trop archaïque, tandis que les politiques mises en œuvre misent davantage sur la promotion d’un élevage « intensif ».
Face à ces défis, l’amélioration de la gouvernance foncière apparaît comme un enjeu clé. Il s’agit, d’une part, de doter les pays de textes qui traitent de manière adéquate du pastoralisme ; et d’autre part, de veiller à ce que ces dispositions soient correctement mises en œuvre et que les éleveurs agropastoraux soient bien intégrés aux instances de concertation et de gestion locales. La sécurisation des zones pastorales passe aussi par une meilleure délimitation et reconnaissance de la vocation de ces espaces, des populations et autorités traditionnelles, mais aussi des élus locaux et services de l’Etat, à travers la prise de délibérations qui consacrent la vocation de ces espaces et les retirent de ceux susceptibles d’être cédés pour un usage privatif et exclusif. Le Gret et l’APESS ont travaillé au Sénégal, au Burkina Faso et au Mali sur six territoires pour y sécuriser et faire reconnaître officiellement les zones pastorales.
Soutenir la filière lait local
La filière lait local en Afrique de l’Ouest vit une période charnière qui devrait fortement conditionner son développement dans la décennie à venir. Faiblement protégée avec des droits de douane à seulement 5 % sur la poudre de lait, le lait local risque de devoir faire face à une concurrence accrue des importations de poudre de lait ces prochaines années, avec la fin des quotas laitiers en Europe et l’installation de nombreux groupes agroalimentaires internationaux dans plusieurs capitales africaines. Dans ce contexte, la filière lait local a peu de chance de se développer, alors même qu’il existe un potentiel de production important, qui pourrait être davantage valorisé avec des dispositifs incitatifs de subvention aux centres de collecte de lait local et la mise en place de droits de douane un peu plus élevés sur la poudre de lait. Le plaidoyer des éleveurs ouest-africains a été entendu par la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), qui a décidé fin 2015 de lancer une grande « Offensive lait ». La dynamique doit maintenant être portée au niveau régional par un collectif structuré d’acteurs de la filière lait local capables de peser face aux industriels, afin que ces orientations se traduisent rapidement dans des instruments de politique au service des éleveurs et des entreprises de transformation de lait local.
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