Par Cherif Samsedine SARR, doctorant en géographie à l’université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal et Coordonnateur du Réseau des Iles de Basse Casamance Mail : sarr.cherif-samsedine@ugb.edu.sn
De nos jours, il ne fait l’ombre d’aucun doute que l’accès à l’eau potable est un droit fondamental pour tous les êtres humains ; malheureusement, dans certaines zones, surtout rurales, ce droit est loin d’être acquis car obtenir de l’eau potable y reste encore un luxe. C’est le cas des zones rurales du Sénégal, plus particulièrement le milieu insulaire de la Basse Casamance. En raison des conditions environnementales locales et les changements climatiques en cours, les îles de la Basse Casamance connaissent une pauvreté en eau aigue. Celle-ci est due à leur position littorale qui induit une forte salinisation de la nappe phréatique, qui malheureusement est laprincipale source d’approvisionnement. En outre, avec la baisse des précipitations qu’a connue la sous région les dernières décennies, la collecte d’eau pluviale qui était la stratégie d’adaptation la plus courante en milieu insulaire de Casamance s’avère inefficace.
Cet article présente les résultats d’une recherche réalisée dans le cadre du programme de bourse de coopération scientifique entre l’université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal et l’université de Las Palmas de Gran Canaria de l’Espagne. Il démontre que la désalinisation de l’eau de mer avec l’énergie solaire par osmose inverse est une stratégie durable d’adaptation au changement climatique dans les petites îles au sud du Sénégal. Pour ce faire, il débute par une présentation sommaire des îles de la Basse Casamance, d’abord, ensuite il présente la problématique de l’accès à l’eau potable dans ce milieu insulaire, et enfin termine par présenter la désalinisation de l’eau de mer comme stratégie durable d’adaptation au changement climatique.
Les insulaires de la Basse Casamance sont des populations éparpillées dans 21 villages contenus dans 9 îles, situés au sud ouest du Sénégal. Ils vivent dans de petites bandes de terres piégées par les méandres du fleuve Casamance et la vasière de mangrove. Estimés à 5 585 habitants en 2002, l’économie de ces populations est marquée par un dynamisme des activités basées sur l’exploitation des ressources naturelles (produits halieutiques et forestiers). La population autochtone beaucoup plus terrienne est composée principalement d’agriculteurs, alors que les allochtones sont plus les spécialistes de la pêche en haute mer et dans le fleuve.
Les insulaires de la Basse Casamance vivent dans un milieu dit estuarien. Un estuaire est caractérisé par une pénétration des influences marines loin à l’intérieur des terres où l’eau marine est mélangée à l’eau douce. L’estuaire de la Casamance est considéré comme un estuaire à sens inverse parce que l’influence de l’eau douce y est nulle depuis quelques décennies. C’est donc l’eau salée de l’océan atlantique qui inonde l’estuaire de la Casamance. Et puisque plus de la moitié de la superficie de chaque île est recouverte de vasière de mangrove, l’hydrogéologie de cette partie du Sénégal est marquée par une cohabitation entre les eaux salées de la mer et les eaux douces de la nappe phréatique rechargée par infiltration en période pluviale.
A cause de ces facteurs, les populations qui vivent dans ce milieu amphibie sont confrontées à d’énormes difficultés pour satisfaire leurs besoins en eau ; en raison de forte influence des eaux salées du fleuve Casamance et de l’irrégularité des précipitations. C’est ainsi que se sont installées dans les îles de la Basse Casamance non seulement une rareté mais aussi une dégradation de la ressource hydrique. Face à cette situation, les populations locales n’ayant pas le choix utilisent l’eau existante. Mais malheureusement, celle-ci non plus n’existe pas en quantité suffisante.
Dans certaines îles comme Carabane, Wendaye-Sifoca, Kailo, Niomoune, Boune-Boko-Saloulou, il devient de plus en plus difficile de forer des puits parce que la nappe phréatique située à moins de 4 mètres de profondeur dispose d’une eau salée pendant la saison sèche (Fin octobre – début juillet). Une situation que partagent en réalité presque toutes les îles car, les sources d’eau sont menacées tant quantitativement que qualitativement. Devant cette panoplie de contraintes, la désalinisation de l’eau de mer avec l’énergie solaire représente une solution durable d’adaptation au changement climatique et une alternative à la pauvreté en eau.
Dans les îles de la Basse Casamance comme dans la plupart des zones rurales du Sénégal, l’eau s’obtient grâce aux puits communautaires. Ce système qui existe depuis longtemps et qui a permis à des générations de disposer gratuitement d’eau, connaît des limites en milieu insulaire, en raison des conditions environnementales précaires. La forte intrusion saline, ajoutée à la baisse drastique des précipitations et au rétrécissement de la saison des pluies ont occasionné d’une part une forte contamination de la nappe phréatique et d’autre part un tarissement accéléré de la réserve d’eau souterraine en période de saison sèche. La réponse que la population locale a apporté est de deux ordres : d’un côté il ya la collecte d’eau de pluie (stockée pour n’être consommée qu’en saison sèche) ; d’un autre le transport d’eau depuis les localités continentales proches pour desservir les ménages en cas d’épuisement des stocks d’eau de pluie.
Aujourd’hui, il faut reconnaître que même si l’ensemble de ces stratégies locales, ont contribué à réduire la pauvreté en eau, elles n’ont par contre pas permis d’atteindre une sécurité en eau durable. L’accès à celle-ci dans ce milieu reste dépendant des facteurs exogènes, sur lesquels les populations ne peuvent agir: l’hydrologie et les conditions climatiques. Pourtant, la désalinisation de l’eau de mer par osmose inverse en utilisant l’énergie solaire a fait ses preuves dans certains contrés de la planète qui se situent dans les même conditions géographiques que les îles de la Basse Casamance. Cette technologie appelée système de dessalement par membrane est un procédé qui consiste à appliquer une pression supérieure à la pression osmotique à une solution aqueuse pour séparer l’eau pure du sel. L’innovation dans cette technologie est l’utilisation des énergies renouvelables pour alimenter le système de dessalement. L’ITC (Instituto Tecnológico de Canarias) a créé un modèle d’usine de dessalement appelée DESSOL (Desalación Solar). Cette technologie couple le système d’osmose inverse avec un système solaire photovoltaïque pour dessaler l’eau de mer en fonction de l’intensité des radiations solaires et des caractéristiques de l’eau à traiter (Peñate B. et al., 2014). Le système a été conçu pour répondre aux besoins en eau de collectivités faiblement peuplées (inférieurs à 1500 habitants). Cette technologie fonctionne depuis bientôt 10 ans et a permis a une localité tunisienne appelé Ksar Ghilène de disposer d’une eau de qualité in situ.
L’analyse du potentiel en énergie renouvelable pouvant alimenté un système de dessalement en milieu insulaire de Basse Casamance révèle que c’est l’énergie solaire qui est plus apte à répondre aux besoins énergétiques d’une usine dessalement de l’eau par osmose inverse. Par exemple, la moyenne annuelle de radiation pour 2010 est de 6,92 kWh/m2/jour, alors que 2006 enregistre 6,81 kWh/m2/jour et 7,01 kWh/m2/jour pour l’année 2015, ce qui est largement suffisant pour produire 48 m3 par jour (Sarr C. S., 2016). Par conséquent, avec le dimensionnement d’une petite usine de dessalement d’une capacité de 2000 litres par heure et alimentée par un système énergétique solaire photovoltaïque avec une production quotidienne de 48 m3, les habitants des îles pourraient bénéficier d’une source d’eau qui respecte les normes standard de qualité, de quantité, d’accessibilité géographique et d’équité. Ainsi, le système DESSOL avec une capacité de production de 2 m3/h peut satisfaire la demande, même des villages insulaires les plus peuplés (Niomoune avec 807 habitants et Diogué avec 794 habitants). Avec 48 m3 d’eau produite par jour, la barre des 50 litres par habitant et par jour est dépassée pour le village insulaire le plus peuplé (Niomoune) avec une demande de 40, 350 m3 par jour (Sarr C. S., 2017).
La durabilité de cette stratégie d’adaptation repose sur le fait que grâce à cette technologie, l’approvisionnement en eau ne dépendra ni des conditions hydrologiques, ni de la situation climatique (précipitation en particulier). L’un des avantages de la désalinisation est l’abondance de la ressource énergétique solaire, surtout en Afrique subsaharienne.
Bibliographie
Peñate B. et al., 2014, Uninterrupted eight-year operation of the autonomous solar photovoltaic reverse osmosis system in Ksar Ghilène (Tunisia), Desalination and Water Treatment, DOI: 10.1080/19443994.2014.940643
Sarr C. S., 2017, Alternativas a la crisis de escasez de agua en las aldeas insulares.
Casamance, sur de Senegal, editorial académica española, 155p.
Sarr C. S., 2016, Desalación de agua mediante energía renovable como alternativa a la crisis de escasez de agua en las aldeas insulares de Casamance, sur de Senegal, Informe científico, Becas MAEC-AECID de Cooperación Universitaria y Científica para el Desarrollo, 150p.
Article sélectionné par Marie-Josée HOUENOU dans le cadre de la veille initiée sur Médiaterre par l'’Initiative Jeunesse de lutte contre les changements climatiques’’.
À propos de l'initiative jeunesse
L'initiative jeunesse de lutte contre les changements climatiques a pour objectif de sensibiliser les jeunes francophones aux changements climatiques. Elle permet également de faire connaître les actions et l’engagement de la jeunesse francophone pour lutter contre les changements climatiques sous la forme d’une série d’articles.
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