Face à une malnutrition galopante malgré une hausse de la production alimentaire, les regards se tournent de plus en plus vers les femmes. Peu voyaient en elles jusqu’alors la connaissance et le pouvoir dont elles pouvaient faire preuve dans le combat contre l’insécurité alimentaire. Aujourd’hui les choses changent. Les lieux de débats et d’écoute s’ouvrent à elles. Les femmes font entendre leur voix, partagent leurs savoirs. Retour sur la session « Hidden hunger : produce more or empower more » organisée par le Cirad lors des Journées européennes du développement le 5 juin 2018.
« La femme a une puissance singulière qui se compose de la réalité de la force et de l'apparence de la faiblesse ». C’est en interpellant l’assistance avec cette citation de Victor Hugo que Patrick Caron, président du Groupe d'experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition du Comité sur la sécurité alimentaire mondiale (CSA), a introduit la session organisée par le Cirad aux Journées européennes du développement le 5 juin 2018. Selon le géographe, derrière la faim cachée, il y a des femmes et ces femmes doivent désormais être vues.
Vues mais aussi entendues, car ce sont elles qui détiennent en grande partie la connaissance nutritionnelle et agricole. Une connaissance largement ignorée jusqu’à présent au sein des programmes et interventions en faveur du développement. Pourtant, mieux prendre en compte la voix des femmes pourrait enfin faire baisser les chiffres de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition.
Dans nombre de pays où la malnutrition sévit, la production agricole est souvent déjà largement suffisante.
« Au Malawi, nous produisons de plus en plus de maïs chaque année, explique Grace Kata Banda, jeune diplômée à la tête d’un projet de développement pour les femmes. Malgré cela, chaque année, la malnutrition progresse. »
Dans la région des Hauts Bassins au Burkina Faso, les exploitations familiales produisent en moyenne deux fois le niveau de suffisance alimentaire, indique Alissia Lourme-Ruiz qui a conduit une étude sur la faim cachée, dans le cadre de sa thèse menée avec le Cirad. « Cependant, près d’un tiers des enfants sont en retard de croissance, signe de malnutrition chronique », précise-t-elle.
Quel lien avec les femmes ? « Elles n’ont pas leur mot à dire sur le choix des cultures », explique Grace Kata Banda. « Seuls les hommes ont ce pouvoir. » La place des femmes serait-elle à revoir ?
A l’heure actuelle, peu d’études sur l’agriculture et la malnutrition incluent la perspective et les activités des femmes. Or celles-ci sont impliquées dans environ 43% des travaux agricoles dans le monde et elles jouent un rôle majeur dans la gestion alimentaire et le soin donné aux enfants.
Pour Madeleine Onclin, chef du secteur Nutrition à la Commission européenne, « les femmes sont des acteurs clés dans la production agricole et la commercialisation des aliments, elles sont au cœur du combat contre la malnutrition. »
En effet, comme l’indiquent les résultats d’Alissia Lourme-Ruiz, la diversité du régime alimentaire est d’autant plus élevée que les femmes ont accès aux ressources et au pouvoir de décider de l’allocation des revenus au sein de leur famille, de choisir les cultures au sein de l’exploitation agricole, etc.
« Les femmes ont des idées », appuie Grace Kata Banda. « Elles savent comment se former ou comment cultiver herbes et épices. Elles s’occupent des fruits et des légumes. Elles savent accroître la diversité alimentaire mais elles n’ont pas le pouvoir de faire entendre leur voix. »
Pourtant, les choses changent. Mazouma Sanou en fait l’expérience chaque jour. Au Burkina Faso, elle accompagne les femmes dans l’accès au micro-crédit. Elle a déjà formé près de 800 femmes burkinabées afin qu’elles puissent obtenir un crédit, le gérer et épargner. Au-delà de l’économie financière, Mazouma sensibilise les femmes à la négociation et à la gestion des conflits au sein de leur ménage. Elle incite les femmes à mettre en lumière les bienfaits générés pour toute la famille lorsqu’elles profitent d’une plus grande autonomie et de plus de revenus. Et lorsque les hommes intègrent ce paramètre, ce sont eux qui en viennent à sensibiliser les autres hommes à mieux considérer les activités féminines.
Pour Mazouma Sanou, l’éducation et les connaissances sont les fondements du développement. Pas étonnant que 85 % des femmes qu’elle accompagne aient pour objectif la scolarisation de leurs enfants.
Exemplaire face aux adversités de la vie, Mazouma a commencé à agir à son niveau. Elle s’est donné les moyens de générer ses propres revenus puis a aidé à la scolarisation de ses frères pour qu’eux aussi puissent un jour s’insérer dans une activité, avant de déployer son accompagnement auprès des femmes.
Un positionnement que promeut l’Union européenne dans ses interventions. « Nous avons l’ambition de considérer les femmes en tant qu’acteurs incontournables à haut potentiel et non plus comme des victimes, explique Madeleine Onclin. Lorsqu’elles ont accès au pouvoir, aux opportunités, elles peuvent être des entrepreneuses très créatives. »
« Le changement est possible », d’après Patrick Caron. Mais il requiert beaucoup d’énergie et d’engagement. Agir sur l’autonomisation des femmes peut jouer un rôle majeur pour atteindre les objectifs du développement durable (ODD). La connaissance sous toutes ses formes, de la recherche, aux savoirs traditionnels, et dans toute sa diversité d’acteurs est indispensable pour stimuler le processus d’apprentissage. Enfin, il s’agit d’intervenir à toutes les échelles en combinant les expériences locales et la définition de politiques publiques afin de véritablement générer le changement.
Communiqué du Cirad (847 hits)