À Montréal, seulement une poignée de poissonneries se spécialisent dans la vente de produits écoresponsables. GaïaPresse est allée à la rencontre de deux d’entre elles pour mieux saisir les enjeux. Portrait d’un marché qui commence à s’implanter au Québec.
De chef à poissonnier
Ouverte en septembre dernier au cœur du quartier Notre-Dame-de-Grâce, la poissonnerie Eileen se veut la nouvelle destination pour les produits de la mer durables.
Selon le propriétaire Dave Kost, son commerce est le premier à l’est de Vancouver à vendre uniquement des poissons et des fruits de mer certifiés Ocean Wise. Une fierté pour l’ancien chef de cuisine au penchant environnementaliste.
« Plus on en apprend sur l’industrie alimentaire, plus on est horrifié. » Dave Kost, propriétaire de la poissonnerie Eileen
« Quand j’étais jeune, je voulais faire de la haute cuisine. Mais après 25 années dans le milieu, j’ai réalisé que ça voulait souvent dire la préparation de plats très chers sans se soucier de la provenance des produits. »
L’utilisation du poisson, raconte-t-il, était particulièrement déplorable. « Les restaurateurs nous obligeaient souvent à préparer des plats à base de poisson en voie de disparition, comme le bar du Chili. C’était la logique du profit avant tout.»
« J’en avais assez de participer à la destruction de la planète. Et j’ai compris que ma façon d’aider est de proposer aux gens de la nourriture hippie : bonne pour soi et bonne pour la terre », lance l’entrepreneur.
Selon le plus récent rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 90 % des stocks mondiaux de poissons sont exploités au maximum, voire surexploités.
Après une tentative infructueuse d’ouvrir un marché des fermiers dans le Vieux-Port, il s’est tourné vers la création d’une poissonnerie écoresponsable à Montréal. « Après un peu de recherche et en m’inspirant de ce qui se fait déjà sur la côte ouest, j’ai décidé de vendre exclusivement des produits recommandés par Ocean Wise. »
Ocean Wise c'est quoi ?
Lancée en 2005 par l’Aquarium de Vancouver, l’initiative vise à recommander l'achat de produits de la mer durables auprès des consommateurs canadiens. Avant qu’un produit ne soit certifié Ocean Wise, il est évalué selon quatre critères : l’abondance et la résilience de l’espèce, le type de pêche pratiqué (à la ligne, chalutage par le fond), la quantité et l'importance de la capture accessoire (les espèces indésirables rejetées à l’eau) et l’impact de la pêche sur les habitats. Pour obtenir le précieux sigle Ocean Wise, un fournisseur doit répondre aux normes minimales établies selon chacun des critères.
Alors que plusieurs organismes (par exemple SeaChoice) utilisent un modèle en trois temps (rouge pour non-recommandé, jaune pour suggéré, vert pour fortement recommandé), Ocean Wise prône plutôt un système binaire. « C’est pour cette raison que notre certification est la plus rigoureuse en matière de pêche durable », explique la spécialiste des produits de la mer chez Ocean Wise, Teddie Geach. « Un produit est soit recommandé ou non, il n’y a pas d’entre-deux. Ce faisant, nous approuvons moins de produits que les autres organismes. »
Un choix qu’il ne regrette pas du tout. De bouche en oreille et avec l’aide des médias locaux, la poissonnerie Eileen est devenue une référence pour l’achat d’huitres, de thon, de saumon rouge et de morue durable.
« Mes clients sont très fidèles. Oui, les prix sont un peu plus élevés qu’en épicerie, mais les gens reconnaissent la valeur des produits. »
Une industrie en changement
Les premiers mois n’ont toutefois pas été reposants, explique Dave Kost. S’assurer d’un approvisionnement en poisson frais est un réel défi lorsque les options sont limitées, explique le commerçant.
« Ce n’était pas facile au début. Après tout, je suis un petit acheteur, donc les fournisseurs ne m’accordaient pas beaucoup d’importance et ne me prenaient pas toujours au sérieux quand j’insistais sur la durabilité des produits. Mais à force de discussions, petit à petit, ils ont fini par comprendre ce que j’essaie de faire », raconte M. Kost.
Aujourd’hui, ses relations avec les fournisseurs sont excellentes, souligne-t-il, surtout avec l’entreprise Norref, son principal fournisseur et une figure de proue en matière de pêche durable au Québec.
Il reste que le nombre de produits certifiés Ocean Wise demeure petit : une vingtaine, selon Dave Kost, ce qui représente une fraction des produits disponibles aux autres poissonneries.
Des produits durables au goût des Maritimes
À l’est de la rue Saint-Laurent, le « gentleman poissonnier » Stéphane Vigneau, copropriétaire des poissonneries Fou des Îles, propose lui aussi des produits uniquement issus de la pêche durable.
« 95 % de nos produits viennent des Maritimes. Je suis aussi le seul poissonnier à Montréal qui ne vend pas de mauvais produits », soutient l’homme originaire des Îles de la Madeleine.
Par de « mauvais produits », il entend les espèces dont la survie est en péril ou dont les méthodes de pêche et d’élevage ne sont pas respectueuses de l’environnement. Ses commerces, situés sur les rues Beaubien et Fleury, ne vendent donc pas des poissons primés comme le thon ou le bar du Chili, ou encore, des produits en provenance de l’Asie, tels le tilapia, le pangasius et les crevettes tigres.
Un choix autant personnel qu’éthique explique M. Vigneau. « Je ne veux pas manger de cochonnerie, alors pourquoi j’en vendrais? »
Au-delà des marques de commerce
Pour répondre à ses convictions, Stéphane Vigneau se fie d’abord et avant tout à ses propres connaissances de l’industrie halieutique. Même s’il reconnait l’utilité des certifications environnementales (la grande majorité des produits vendus dans ses boutiques sont certifiés durables), le poissonnier croit qu’elles n’offrent, au mieux, que des pistes pour le consommateur.
« SeaChoice, MSC, Ocean Wise, ces certifications ont chacune des faiblesses. En tant que poissonnier, on est capable de faire mieux. » Stéphane Vigneau, copropriétaire des poissonneries Fou des Îles
Il cite en exemple la vente de thon certifié par l’organisme Ocean Wise. « Tous les stocks de thon sur la planète sont en chute libre. On ne peut pas prétendre vouloir protéger les océans et continuer à pêcher du thon. »
Selon lui, les consommateurs devraient plutôt se fier aux personnes qui vivent de la pêche pour les aider à faire des choix écoresponsables. « On comprend mieux que quiconque l’importance d’une saine gestion des ressources aquatiques. » Des leçons apprises à la dure, explique-t-il, notamment lors de l’effondrement des stocks de morue dans les années 90.
Sept produits de la mer à proscrire de votre assiette, selon Stéphane Vigneau, copropriétaire des poissonneries Fou des Îles
- Le thon
- L’aile de raie
- Le requin
- Le bar du Chili (ou du Pérou, aussi appelé légine)
- Le tilapia
- Le pangasius
- Les crevettes en provenance de l’Asie
Sources : La surpêche en croissance dans le monde, Le Devoir, 9 juillet 2016
Isaac Gauthier pour GaïaPresse