Systèmes de « sécurité de classe mondiale » et des « technologies de pointe » pour les oléoducs? Les faits révèlent une situation bien différente.
On a dénombré plus d’incidents pipeliniers au Canada en 2017 que dans toute autre année depuis 2008 (173 incidents signalés). C’est ce que révèle le nouveau rapport d’Équiterre intitulé « Failles inquiétantes sur la sécurité des pipelines au Canada : Échec persistant à protéger la population contre les accidents, les incidents et les déversements pipeliniers ». Au cours de la seule année 2017, 55 % des incidents se sont produits au Québec, et 23 %, en Colombie-Britannique.
Cette étude, qui a ratissé les bases de données de l’Office national de l’énergie (ONÉ) et du Bureau de la sécurité des transports (BST), s’est intéressée plus particulièrement à quatre pipelines au Québec (dont deux sont également exploités en Ontario) afin d’examiner les dossiers en matière de sûreté du pétrole acheminé par oléoduc au Canada, de même que l’efficacité des mesures d’application des lois et règlements du gouvernement fédéral (et provincial dans le cas du Québec) visant à assurer la sécurité des pipelines au pays.
L’analyse et les observations présentées dans le présent rapport remettent sérieusement en question l’image rassurante des pipelines souvent véhiculée par les gouvernements et l’industrie. Entre 2004 et 2017, le Québec a enregistré plus d’une centaine d’incidents pipeliniers sur son territoire. Parmi ces incidents, 23 ont impliqué des déversements de produits pétroliers raffinés ou de pétrole brut.
« L’Office national de l’énergie échoue à protéger les Canadiens et l’environnement contre les incidents et déversements pipeliniers, déclare Steven Guilbeault, directeur principal d’Équiterre. Étant également responsable d’autoriser la construction de nouveaux pipelines, il n’arrive pas même à garantir la sécurité des réseaux existants. Alors que le gouvernement fédéral a fait l’acquisition du pipeline Trans Mountain à un coût substantiel, les Canadiens devraient s’inquiéter des constats de ce rapport, qui conclut que l’organisme responsable de l’application des mesures de sécurité des pipelines est incapable d’accomplir le travail dont il doit s’acquitter à l’heure actuelle. »
Les mécanismes gouvernementaux d’application des lois et règlements ont peu d’incidence
Le rapport révèle que l’efficacité des pénalités monétaires pour faire appliquer les lois et les règlements en matière de sécurité des pipelines demeure limitée par leur utilisation peu fréquente, et que les montants imposés jusqu’à maintenant sont trop faibles pour prévenir les infractions . Les ordonnances de sécurité et d’inspection sont rarement employées, et leur efficacité est restreinte.
L’oléoduc Trans-Nord présente un bilan inacceptablement désastreux
La hausse du nombre d’incidents pipeliniers au Québec est presque entièrement attribuable à l’oléoduc Trans-Nord. Entre janvier 2004 et décembre 2017, cet oléoduc a subi un total de 79 incidents (au Québec et en Ontario). Qui plus est, le temps écoulé entre l’apparition des incidents sur l’oléoduc Trans-Nord et leur déclaration à l’ONÉ ne se compte pas seulement en jours ou en semaines, mais parfois en mois, voire en années. La majeure partie de ces incidents pipeliniers, soit 70 %, sont attribuables en partie à des problèmes de conception ou de planification. Les données de l’ONÉ montrent enfin que les équipements « de pointe » tant vantés par l’industrie et les gouvernements n’ont détecté que 39 % des déversements et des incidents liés à l’oléoduc Trans-Nord.
Bien que l’ONÉ ait délivré de nombreuses ordonnances de sécurité pour l’oléoduc Trans-Nord depuis 2010, le nombre d’incidents liés à celui-ci a augmenté. Il reste encore à voir si les dix nouvelles lettres et ordonnances de sécurité de l’ONÉ en 2017 donneront des résultats. Entre-temps, les dossiers mis en ligne par l’ONÉ indiquent que le gouvernement fédéral n’a donné aucun ordre d’inspection et aucune sanction administrative pécuniaire depuis 2012. Au Québec, l’oléoduc Trans-Nord s’est vu imposer une seule sanction administrative pécuniaire, d’un maigre 2 500 $.
« Si j’avais commis 79 infractions au Code de la route au cours des dix dernières années, j’aurais très certainement perdu définitivement mon permis de conduire, et je me trouverais peut-être même en prison, ajoute M. Guilbeault. Et pourtant, des entreprises comme Trans-Nord sont autorisées à poursuivre leurs activités en toute impunité, et au mépris total de la sécurité des citoyens et de la qualité de notre environnement. »
Pourquoi les incidents liés aux oléoducs continuent-ils de se produire?
En dépit des garanties fournies par l’industrie pipelinière et les gouvernements, et malgré les beaux discours et la réglementation en vigueur, pourquoi les déversements et les incidents pipeliniers continuent-ils de se produire? La réponse semble trouver ses racines dans deux faits pour le moins inquiétants. D’une part, les affirmations concernant les systèmes de sécurité de « classe mondiale » et les techniques « de pointe » ne sont guère plus que de futiles slogans publicitaires. D’autre part, l’application laxiste des lois et des règlements fédéraux et provinciaux fait en sorte que les oléoducs continuent de représenter un risque inacceptable pour le Québec et les autres territoires. Ce constat souligne l’urgent besoin de s’affranchir du pétrole et d’adopter des mesures plus sévères afin de se protéger des incidents et des déversements pipeliniers durant la période de transition vers un avenir plus propre sur le plan énergétique.
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Pour lire le rapport : Failles inquiétantes sur la sécurité des pipelines au Canada
Source: Équiterre
Crédit photo: MPCA Photos sur Flickr