Par Élise Martin
« Avant 2013, on le connaissait à peine. Aujourd’hui, tout le monde veut son quinoa », s’exclame Stéphane Dufour. En septembre dernier, cet agriculteur de Charlevoix a récolté près de 600 kg de cette « graine d’or ». Un exploit, lorsqu’on sait qu’habituellement, le quinoa est produit en Amérique du Sud, le Pérou et la Bolivie étant les deux premiers producteurs et exportateurs du monde.
L’Organisation des nations unies a déclaré l’année 2013 comme année internationale du quinoa. C’est de cette façon que Stéphane Dufour a pris conscience de son existence, mais surtout de son importance dans le marché.
La valeur du quinoa importé par le Canada est passée de près de 18 millions de dollars en 2012 à 60 millions de dollars en 2014 d’après le Centre de référence en agriculture et en agroalimentaire (CRAAQ). Le CRAAQ précise également qu’il n’existe aucun guide de production spécifique adapté au Québec permettant de déterminer les étapes et techniques de productions.
Le producteur Stéphane Dufour y a vu un défi. « Il n’y avait pas d’expertise sur la production de quinoa au Québec. Ne pas être informé m’a stimulé. Je voulais devenir pionnier dans ce domaine », raconte l’agriculteur.
Depuis, le Ministère de l’Agriculture, des Pêches et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) s’est mis à réaliser des essais dans différentes régions de la province, afin d’explorer la possibilité de lancer une production québécoise. « Quand nous avons appris que 2013 était l’année du quinoa, nous avons lancé des tests dans des parcelles de la province, explique Ayitre Akpakouma, conseiller régional en grandes cultures au Ministère. Nous nous sommes rendus compte que des essais avaient déjà été réalisés entre 1999 et 2001 et qu’ils n’avaient pas été concluants. Mais nous savions l’importance de la demande et il était important de commencer un suivi de la culture pour accompagner les démarches des agriculteurs et leur fournir la documentation nécessaire. Nous avons commencé dès 2013. »
Des essais sont toujours en cours au Québec, notamment en Abitibi-Témiscamingue, en Chaudière-Appalaches, en Outaouais, au Centre-du-Québec, en Estrie, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, en Lanaudière et en Montérégie. Les résultats de ces essais permettront de valider le potentiel de production du quinoa dans ces régions, selon le CRAAQ.
Stéphane Dufour, lui, a débuté la récolte au printemps 2016 sur 0,8 hectares de ses terres. « Les plans s’étaient développés mais il n’y avait aucune graine », se souvient-il. De nombreux facteurs peuvent être en cause, pour Stéphane, « l’hypothèse probable est le climat. S’il fait trop chaud lors de la floraison, le pollen des fleurs devient stérile ». Dans la région de Charlevoix, au nord-est de la Ville de Québec, le sol est pourtant frais, ce qui empêche d’ailleurs la production de maïs ou de soja, préférés dans la Montérégie par exemple. Mais les mois de juillet et d’août au Québec peuvent dépasser les 28°C, ce qui peut mettre en péril la production.
600 kg de quinoa cette année
Ce premier échec n’a pourtant pas découragé l’agriculteur. « J’étais encore plus motivé, dit-il. L’année d’après, j’ai eu mes premières récoltes positives avec 45 kilos de graines. Cette année ça été la confirmation avec 600 kilogrammes de graines. »
Stéphane Dufour n’a pas pu bénéficier de l’assurance récolte collective de La Financière agricole du Québec, qui a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement du secteur agricole et agroalimentaire. Ce programme offre une protection contre la perte de rendement pour les cultures émergentes. Mais pour qu’une culture soit assurable, « il faut qu’il y ait des données historiques et une certaine constante dans le succès de la culture », explique Stéphane. La validation de cette culture par le CRAAQ pourrait faciliter les choses.
Une mise sur le marché souhaitée pour 2019
Stéphane envisage d’agrandir la surface des terres de production jusqu’à quatre hectares dans l’espoir de récolter l’année prochaine 3 000 à 4 000 kilos de quinoa. « Pour étendre cette nouvelle culture, j’ai d’abord besoin de mettre en place le processus de désaponification, explique-t-il. Le quinoa est recouvert d’une pellicule très amère que le consommateur n’apprécie pas. Je suis en train de mettre en place le procédé pour le printemps prochain. Il existe trois façons différentes pour le rincer, le brosser. Je veux trouver celles qui fonctionnent le mieux cet hiver ». Il lui faudra aussi mécaniser les semences car depuis trois ans, il sème ses graines à la main. « C’est un projet qui m’est propre où j’ai donné énormément de temps, non rémunéré, mais où il y avait toute une filière à construire, de la production à la transformation ».
Aujourd’hui, il est fier de cet accomplissement et d’avoir contribué à faire « ce pas dans le chantier de cette nouvelle culture ». Il livrera d’ailleurs son témoignage et son expérience lors du colloque sur l’état de la production de quinoa organisé par le MAPAQ le 9 janvier 2019.
« Je sais que je n’aurais pas de difficulté à vendre ce produit ». L’agriculteur est confiant quant à la distribution. D’après le CRAAQ, au Québec, les responsables des projets d’essais visant le développement de la culture de cette graine dans le Bas-Saint-Laurent ont procédé à des simulations pour estimer la marge à laquelle un producteur pourrait s’attendre en régie conventionnelle. Ils ont considéré les données relatives aux produits et à la machinerie qu’ils ont utilisé en 2016. La marge obtenue varie entre 651$ et 1 210 $ par hectare.
« Éventuellement, on mettra [le quinoa]sur le marché public après l’été 2019, se projette l’agriculteur. Mais je veux rester sur un marché local, de niche au Québec avec une vente directe et de proximité avec les consommateurs. Je ne souhaite pas forcément étendre aux grandes surfaces pour le moment. »
D’autres cultures émergentes au Québec
Sur le sol canadien, d’autres cultures émergentes voient le jour comme le chia, également en vogue en ce moment. « J’étais en projet avec une compagnie sur la comestibilité des graines de citrouille qui développait un intérêt à essayer le chia local, raconte Josée Boiclair, chercheure à l’Institut de Recherche et de Développement en Agroenvironnement (IRDA). En tant que citoyenne qui s’alimente de façon variée et saine, je m’intéressais également beaucoup aux graines de chia ».
L’institut a donc lancé une demande de financement provincial et fédéral. Les essais ont pu être réalisés dès 2016 grâce à une collaboration avec l’université du Kentucky qui a fourni les semences. « Aujourd’hui, on est capable de dire que l’on peut introduire cette culture au Québec. Quelle que soit la période de semi, quelle que soit la quantité, les rendements sont les mêmes et sont très intéressants [Luc Belzile, économiste de l’institut a suivi l’élaboration du projet]. Mais ne pouvons pas encore dire qu’il y a une production de chia au Québec », continue la chercheure.
La production de chia locale se heurte à plusieurs obstacles : les semences et les mauvaises herbes. « Nous avons pu réaliser les essais grâce à notre collaboration, mais les semences sont privées. Même si beaucoup d’agriculteurs me contactent pour faire des tests sur leurs terres, il est nécessaire d’avoir une licence. Il faudrait qu’une entreprise ait un grand intérêt économique pour que ce soit ensuite accessible pour nos producteurs », averti Josée Boisclair.
Quant aux mauvaises herbes, c’est aussi le défi du MAPAQ pour le quinoa : trouver un produit homologué et biologique pour que les exploitations des nouvelles cultures se développent correctement.
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