Mathieu Desgroseillers est parmi les instigateurs des grèves pour le climat au Québec, qui ont mené les jeunes de la province à manifester tous les vendredi jusqu’au 17 mai. Photo : C. Martin
Mathieu Desgroseilliers marchait les larmes aux yeux parmi les 150 000 manifestants réunis le 15 mars dernier à Montréal. Le jeune homme de 22 ans, étudiant en anthropologie à l’Université de Montréal (UdeM), est à l’origine de la plupart des grèves et manifestations en faveur de la protection de l’environnement qui ont eu lieu le 15 mars dans presque toutes les régions du Québec. Leur ampleur était exceptionnelle. Les manifestants étaient aussi nombreux à Montréal que la totalité des Français répondant le même jour à l’appel à la grève de la jeune écologiste suédoise, Greta Thunberg. Il semble toujours ému aujourd’hui lorsqu’il cite une exclamation poussée pendant l’événement par l’attachée de presse de La Planète s’invite à l’Université (LPSU), Dalie Lauzon-Vallière. Elle s’adressait à lui et à deux porte-parole du mouvement : « regardez ce que vous avez fait ! »
Mathieu Desgroseilliers avait pourtant peu d’expérience dans le militantisme avant d’initier cet exploit. Tout juste avait-il observé le fonctionnement d’un comité de développement durable dans le cadre de ses études, participé à la création de celui de son département universitaire et suivi la grève des stages de l’automne dernier. « De petites expériences à petite échelle », juge-t-il.
Mathieu Desgroseillers lors de la manifestation du 15 mars. Photo : LPSU
C’est l’hiver dernier que le Madelinot a eu le déclic qui l’a poussé à lancer un mouvement de contestation. Il avait roulé sur une route de son île de plus en plus menacée par l’érosion. Puis un pêcheur lui a confié ses inquiétudes, provoquées par la migration des homards vers le nord à cause du réchauffement climatique. « J’avais un sentiment d’urgence », raconte Mathieu. Il crée LPSU le 16 janvier dernier, en collaboration avec ses collègues les plus motivés.
Un groupe de cinq étudiants en forment avec lui le comité exécutif. « Une grosse gang de crinqués capables de tout laisser tomber », décrit le jeune homme. Il abandonne lui-même ses études pendant cinq semaines pour organiser du matin au soir les mouvements du 15 mars. « Il est assez courageux et inspirant, commente la militante Aurélia Menghini. Les gens ont peur des sacrifices. »
Le contexte politique et social est favorable à l’ascension de LPSU. La Presse canadienne écrit un article à son propos le 4 février, soit trois semaines après sa fondation. Radio-Canada parle du regroupement le lendemain dans un reportage. « Les médias nous ont pris de court, on n’était pas prêts », témoigne une de ses porte-parole, Léa Ilardo.
Mais LPSU prépare rapidement des solutions clef-en-main pour ceux qui veulent créer des branches du mouvement à l’extérieur de l’UdeM. Elle les envoie par courriel aux associations étudiantes québécoises dès le 11 février. Mathieu entreprend une tournée dans de nombreux établissements d’enseignement de la Belle Province avec quelques autres militants. Il répond aussi à tous les messages reçus sur la page Facebook de LPSU. Le regroupement devient ainsi vite national. « On a joué le rôle d’étincelle auprès de plein d’équipes très motivées », résume Mathieu.
Paul-Emile Auger, qui était le secrétaire général de la Table de concertation étudiante du Québec (TaCEQ) pendant le Printemps érable, a observé les mouvements étudiants pour la protection de l’environnement. « J’ai été fondamentalement étonné par la grande rapidité et la spontanéité de la mobilisation, raconte-t-il. Les mouvements de 2012 venaient au contraire d’un travail de fond de deux ans. » L’agent de programme en gestion des urgences à Affaire autochtones et Développement du Nord Canada, croit néanmoins que le combat qu’il a mené il y a sept ans a influencé celui des étudiants d’aujourd’hui pour l’environnement.
Ce n’est pas un marathon mais un sprint que le CE de LPSU a couru pour répondre à l’appel de Greta Thunberg. « Après le 15 mars, on s’est tous effondrés, car nous étions seulement six à avoir fait tout ça », témoigne Mathieu. Il confesse par ailleurs que des membres de LPSU en région ont critiqué la domination du mouvement par sa poignée de fondateurs montréalais. « On ne voulait pas être un [maudit]politburo », se défend-il.
Aujourd’hui Mathieu prend donc ses distances avec LPSU, que d’autres militants prennent en main. Alors que la mobilisation continue, il se questionne quant au rôle qu’il y tiendra, reprenant ses études, pensant déménager en Gaspésie, rêvant de nature et de potager… mais gardant un œil sur la progression du regroupement vers un congrès national cet été et de nouveaux mouvements de contestation en septembre prochain.
« L’important est qu’ils gardent leur idéal et s’accrochent au contexte international mais qu’ils fassent aussi des propositions concrètes, qui pourraient s’appliquer au Canada et au Québec, conseille Paul-Emile Auger. Même avec des convictions profondes, les gens veulent sentir qu’ils se dirigent vers un but atteignable et qu’ils feront la différence. »
À propos de l’auteur : Cédric Thévenin est journaliste indépendant, scénariste et musicien d’origine française. Il aime raconter des histoires, brosser des portraits inspirants et voir à travers les yeux des autres.
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