Ils sont nombreux à travers les grandes villes d’Haïti, comme il est mentionné dans notre travail de recherche de 2016[1], ces enfants de rue qui ne pouvaient pas rester à s’ancrer dans le processus d’intégration scolaire. Dans le cadre d’un programme d’intégration scolaire, une telle situation montre que les enfants ne se sont pas pa impliqués dans les activités scolaires. Ainsi, comprenons-nous, dans ce contexte-là, que l’on est en face d’un système social et éducatif qui s’assoit sur l’exclusion et non des principes d’inclusion. Par ailleurs, aucune bonne politique ne s’aurait s’inscrire dans une démarche de production d’une catégorie sociale exclue pour partir des années plus tard à la quête d’une intégration de ces personnes. Se serait nul en terme de « diriger un pays » où l’on aurait dû, dans le moment présent, utilisé les données du passé pour penser un futur beaucoup plus organisé pour les générations avenir. Penser aujourd’hui dans l’intérêt de toutes les générations devrait être un schéma paradigmatique transversal à toutes les sociétés humaines car, cela s’inscrit dans une perspective de développement durable.
En effet, l’analyse faite sur le programme d’intégration étudié dans notre recherche sur des enfants de rues en Haïti, on pourrait questionner le mécanisme de fonctionnement et d’organisation de ces activités d’intégration scolaire et même arriver à questionner la vision des institutions qui s’adonnent à ces activités sans mettre de côté le problème de cadres pouvant élaborer de meilleurs plans d’intervention. Mais, de telles questions, dans leur spécificité, font objet d’une autre recherche. Par contre, on s’était plutôt focaliser sur la compréhension, dans le cadre des activités scolaires, des problèmes liés à la participation des enfants des rues qui ont bénéficiés d’une intégration scolaire. De ce fait, l’expérience de rue développée par ces enfants a été considérée comme un facteur de base qui peut nous aider à expliquer le problème de la non-participation des enfants de rue dans les activités scolaires du processus de l’intégration.
Cette étude nous a, en effet, montré que les interventions n’arrivent pas à pénétrer et prendre en compte la dimension de l’expérience des enfants à travers la rue. Ce qui fait que le mode d’organisation des activités d’intégration ne permettent pas une implication, un ancrage voire la full participation (la pleine participation) des enfants de rues. Car, voir l’enfant comme étant acteur dans le processus pourrait faciliter leur intégration. C’est même une condition fondamentale à leur intégration scolaire. En plus, si diverses études, comme c’est le cas de la thèse doctorale de Pierre Enocque FRANÇOIS (2009)[2], les recherches de Marie Paule PIERRE (2003)[3] montrent que l’on se retrouve en face d’une école[4] qui se structure autour d’une pratique d’exclusion, dans une certaine mesure on est aussi en face d’une école qui ne donne pas la possibilité au plein exercice des droits à la participation de tous et à tous les niveaux. Donc, une telle structure scolaire peut ouvrir la porte à une certaine quantité d’enfants qu’elle va, par la suite, mettre à la porte.
En effet, les différentes données analysées dans le cadre de la recherche montrent qu’ils ne sont pas peu nombreux les facteurs qui peuvent avoir une influence sur l’implication ou la participation des enfants de rue dans les activités du processus d’intégration sociale et scolaire. Les conditions économiques de vie, les conditions sociales et culturelles de vie des enfants pourraient constituer, dans une dimension ou dans une autre, comme étant des situations importantes permettant d’arriver à une certaine explication du problème de la non-implication des enfants dans les activités scolaires. Par contre, on pourrait aussi se demander « est-ce que l’on va pouvoir atteindre l’objectif d’intégrer ces enfants si l’on ne fait qu’intervenir sur ces dimensions précitées ? ». Bref, elles sont très importante mais, permettez que l’on regarde le social sur un angle beaucoup plus soutenable, autrement dire un angle beaucoup plus durable. Certainement, dans son contexte de vie délicate à travers la rue, l’enfant développe tout un ensemble de mécanismes de survie qui lui confèrent une expérience de vie propre. Cette forme d’expérience que l’on appelle « expérience de rue » se traduit par un ensemble de principes de vie qui se stabilisent dans le quotidien des enfants. Cette expérience de rue acquise par les enfants à partir des pratiques de vie au niveau de leur espace de fonctionnement représente un facteur déterminant qui doit être pris en considération afin de retrouver l’implication des enfants dans les activités scolaires du processus d’intégration. En plus, cette expérience de rue structure une sorte d’identité pour l’enfant dans son espace de vie marginalisée. Par ailleurs, cette forme d’expérience constitue la base de la reproduction sociale chez l’enfant de rue. Autrement dit, l’expérience de rue de l’enfant lui fournit des stratégies lui permettant d’affronter les difficultés liées au processus de la réalisation de soi dans son environnement de vie. L’enfant de rue a, en effet, une pratique de vie qui lui est propre. Son expérience lui fournit tout un ensemble de principes de vie qui se structurent dans son quotidien. Quelque part, cette expérience de l’enfant imprègne toute sa pratique vitale et s’installe tout au long de sa vie à travers la rue à partir ses différentes activités et stratégies de survie. Donc, se retrouvant dans un milieu d’intégration scolaire, avec tout ce qui tourne autour de sa vie comme expérience et principes de vie, divers problèmes se présentent quant à l’implication, la participation de l’enfant dans les activités scolaires dans le processus d’intégration.
Les données de cette recherche sur les enfants de rue ont bien montré que cette expérience de rue structure chez les enfants un ensemble de comportements qui leur sont tout à fait propres et qui participent dans le processus de leur reproduction sociale. Ces comportements ou façons d’être, de vivre des enfants leur apportent divers principes ou éléments de valeurs dans leur pratique de vie quotidienne dans la rue et qui, par conséquent, vont avoir de influences considérables sur leur implication dans les activités scolaires tout au long du processus d’intégration. Entre autres, dans leur pratique de vie dans la rue les enfants développe un principe d’organisation en clan. C’est ce que l’on appelle dans le jargon de la rue baz, cartel ou klenng. C’est une forme d’organisation qui structure la vie de ces enfants. Il y a, en plus, le principe de la solidarité entre les enfants qui inscrit leurs actions, au niveau des centres, dans cette même logique découlant de leur expérience au niveau de la rue. Il se développe, de plus, chez les enfants de rue un principe de non stabilité qui structure les mécanismes de protection et les différentes activités du processus de la reproduction sociale. Donc, en ignorant l’existence de cette expérience de rue chez les enfants qui se traduit par différents principes de vie de rue, on ne fait qu’encourager la non-implication ou la non-participation de ces derniers dans les activités en situation d’intégration scolaire. Quelque part, cela correspond à acte qui encourage une mauvaise utilisation des ressources du pays. Car, il nous faut beaucoup de ressources et ce, de toutes les catégories, pour mettre sur pied un programme d’intégration scolaire durable pour enfants de rue dans un pays qui n’a pas une bonne configuration économique. En effet, les différents principes de vie des enfants ont des conséquences tout au long du processus d’intégration scolaire au niveau des centres. En plus de tout cela, cette étude nous a bien montré que l’enfant ne peut se construire de façon satisfaisante s’il est envisagé seulement comme sujet et non comme acteur à même d’agir et d’influencer son environnement.
Il est nécessaire et même obligatoire, dans le cas où l’idée est d’arriver à une intégration durable de l’enfant, de placer lui au cœur du processus d’intégration. C’est à cette dimension que la recherche nous a amené à l’importance de la question de l’intérêt de l’enfant dans le processus de l’intégration scolaire. Car, l’intérêt de l’enfant peut être aussi une condition à sa participation ou à son implication dans le processus de l’intégration scolaire. Donc, la question de l’intérêt de l’enfant comme un élément incontournable dans les démarches de planifications des programmes d’intervention. En effet, en tenant compte de l’intérêt de l’enfant, on lui accorde sa place dans le processus. Autrement dit, on lui considère déjà comme un acteur du processus de son intégration en lui reconnaissant sa liberté d’agir par parole et par action afin arriver à retrouver sa place dans le système éducatif et social. Par ailleurs, les données de notre recherche nous ont montré l’existence de deux (2) orientations contradictoires manifestées par les enfants. La majorité des entretiens avec les enfants sont complémentaires à monter un intérêt pour l’intégration professionnelle alors qu’ils se sont retrouvés dans un centre d’intégration scolaire. Donc, cette situation montre à clair que l’enfant n’a pas été au cœur des initiatives d’intégration scolaire. Ainsi, on comprend que la participation et l’intérêt de l’enfant, soit pour une intégration scolaire ou professionnelle, sont en parfaite relation. Autrement dit, l’intérêt de l’enfant peut influencer fortement sa participation. Donc, quand on a un enfant de rue qui manifeste son intérêt pour une profession alors qu’il se retrouve dans un centre d’intégration scolaire son niveau de participation dans les activités intrascolaires classique ou parascolaires ne se trouvera pas exprimé au même niveau que si ce dernier s’était retrouvé dans un centre pour apprendre une profession. Par ailleurs, cette situation redonne la place au Travail Social Scolaire (TSS) et montre aussi combien il est important d’approfondir les recherches et les réflexions sur la problématique de l’intégration scolaire dans le pays. Donc, cela peut aider à une meilleure orientation des programmes à l’endroit de ces enfants de rue.
Ainsi, en réfléchissant sur l’avenir de ces milliers d’enfants de rue en Haïti, on comprend qu’il est nécessaire d’encourager une forme d’intégration scolaire durable de ces derniers à différents niveaux. Car, de nombreuses dispositions se sont prises pour lutter contre toute forme de risque que concourt le développement des enfants mais, en termes de résultat, on est encore au point mort parce que le système éducation est en situation de déséquilibre. C’est, en effet, son caractéristique élitiste qui le prédomine. Cependant, dans cette situation des enfants de rue, de meilleures interventions sont donc possibles. Comme le montre JEAN-PIERRE Rosenczveig (2013)[5], le Tribunal pour Enfant[6] est né de l’idée d’épargner l’enfant de la voie de la délinquance. L’auteur poursuit pour dire que : le comportement de l’enfant peut s’expliquer par sa faible maturité mais, beaucoup plus par une carence éducative. Il poursuit pour nous montrer que : même si l’on sait répondre à cette carence, rien n’est définitivement joué. Donc, c’est même l’intérêt de la société de joué cette carte éducative quand les prisons sont criminogènes. Par conséquent, dans l’intérêt d’encourager l’intégration scolaire durable des enfants de rue et de les mettre dans un contexte de développer leur participation dans les différentes activités, nous formulons les recommandations suivantes :
1) Comprendre l’enfant dans son contexte de vie : Cela veut dire de saisir l’enfant dans ses différentes dimensions (économique, sociale, culturelle, expérimentale, etc.) dans leur environnement de vie. Car, dans la rue, l’enfant développe un ensemble de mécanismes de survie qui lui confèrent une expérience de vie propre. C’est ce que l’on appelle expérience de rue. Cette expérience de rue tourne autour d’un ensemble de principes de vie qui se stabilisent dans le quotidien de l’enfant. Ajoutée aux attributions sociales, l’expérience de rue définit à l’enfant une identité qui lui maintient toujours en marge de la société.
2) Placer l’enfant au cœur du processus de l’intégration scolaire. Cela veut dire que l’enfant doit être partie prenante du processus d’intégration. Son implication est important à tous les niveaux, depuis les démarches de la planification du point de départ jusqu’au déroulement du processus d’intégration dans les centres. Donc, le TSS qui, dans son rôle d’accompagnement de l’enfant depuis l’espace de la rue jusqu’au niveau du centre, a un important travail à faire dans le processus. Cela nous porte à considérer la question de l’intérêt de l’enfant, puisque sa participation en dépendre.
3) Prendre en compte l’intérêt manifesté par l’enfant. La recherche nous a bien montré que l’intérêt de l’enfant reste un élément qui peut conditionner sa participation dans le processus de l’intégration. Donc, il faut prendre en compte cette dimension chez l’enfant si l’on veut retrouver sa pleine participation dans le processus.
4) Gérer les enfants en prenant en compte leur mode d’organisation dans leur espace de vie. Le mode d’organisation de l’enfant de rue lui confère une dimension d’expérience axée sur la vie en clan. Donc, prendre en compte cette dimension de la vie de ces enfants permettra de retrouver une participation plus performante de chaque enfant en faisant une bonne gestion et/ou répartition des baz. Car, les baz se sont toujours en conflit. Donc, en ignorant cela, on peut assister à de grands conflits au niveau des centres.
Frantzso ALEXANDRE
Éducateur et Travailleur Social
N.B.- Cet article est tiré de ma recherche réalisée à l’Université d’État d’Haïti sous la direction du Professeur Alain JEAN, Sociologue. Cette recherche a pour titre «L’expérience de rue des enfants au regard de leur participation à l’intégration scolaire à Port-au-Prince : Des enfants de rue du Champ de Mars ayant bénéficié l’intégration scolaire au PSUGO ». Réalisée en 2016, cette recherche m’a conféré le grade licencié en Travail Social. (Bibliothèque faculté des sciences humaines /FASCH, Université d’État d’Haïti /UEH)
[1] Réalisé sur la direction du Sociologue Prof. Alain JEAN en 2016, ce travail de recherche se portait sur l’expérience de rue et l’intégration scolaire des enfants des rues avec pour titre «L’expérience de rue des enfants au regard de leur participation à l’intégration scolaire à Port-au-Prince : Des enfants de rue du Champ de Mars ayant bénéficié l’intégration scolaire au PSUGO ».
[2] FRANÇOIS, Pierre Enocque (2009). Système éducatif et abandon social en Haïti : Cas des enfants et des jeunes de la rue (Thèse de doctorat), Éditions Université Paris 10 Nanterre.
[3] PIERRE, Marie Paule (2003). Réalité de l’école publique haïtienne au regard de la situation socio-économique des classes populaires, Université d’Etat d’Haïti, Faculté des Sciences Humaines.
[4] Ici l’école est prise dans son sens le plus général.
[5] JEAN-PIERRE, Rosenczveig (2013). La justice et les enfants, Éditions DALLOZ, Paris, France.
[6] Le tribunal pour enfants date de 1912, mais c’est bien dans les années 1945, à la Libération, en reprenant un texte rédiger par le gouvernement Pétain qui a été consacré le droit à l’éducation de l’enfant « en conflit avec la loi » avec la fameuse ordonnance du 2 février sur l’enfance délinquante instituant le juge des enfants, magistrat spécialisé.