Espèces exotiques envahissantes : une menace pour la biodiversité caribéenne
Les invasions biologiques constituent l’une des plus importantes menaces pour la biodiversité. Certaines espèces, introduites volontairement ou par accident dans un territoire où elles sont normalement absentes, se reproduisent et envahissent progressivement le milieu au détriment des espèces locales. Ces dernières subissent en effet la compétition, ou encore la prédation de ces espèces dites exotiques envahissantes.
Les écosystèmes insulaires sont particulièrement vulnérables aux espèces exotiques envahissantes. Dans la Caraïbe, les mammifères introduits par l’homme (rats, mangoustes, etc.) et certaines espèces spectaculaires, comme le poisson lion, ont reçu une attention particulière de la part des scientifiques. Cependant, d’autres espèces moins étudiées sont tout autant susceptibles de perturber l’équilibre des écosystèmes. C’est le cas de plusieurs reptiles dotés de caractéristiques leur permettant d’envahir facilement de nouveaux milieux, telles qu’un régime alimentaire généraliste et une fécondité élevée. Le commerce de reptiles exotiques, l'important trafic aérien et maritime entre les îles et avec le continent, et le tourisme de masse sont autant de facteurs favorisant l’introduction de ces espèces dans de nouveaux territoires.
L’impact des reptiles exotiques envahissants sur la biodiversité locale de la Caraïbe est mal connu, et les données actuelles ne permettent pas de prédire et de prévenir leur expansion. Pourtant, au cours des dernières années, plusieurs nouvelles espèces de reptiles exotiques ont été signalées dans différents territoires de la région. Depuis deux ans, ces espèces sont étudiées dans le cadre d’un projet scientifique regroupant plusieurs territoires de la Caraïbe insulaire, afin de mieux les connaitre, pouvoir prédire leur expansion et adapter les mesures de prévention et de conservation.
Un projet, des objectifs variés
Le projet MERCI, acronyme pour « Maîtrise des Espèces de Reptiles exotiques de la Caraïbe Insulaire », a pour objectif principal de compléter les connaissances scientifiques relatives à plusieurs espèces de reptiles exotiques envahissants, mais également de mettre en place des actions concrètes permettant la surveillance de ces espèces, leur gestion sur le terrain, et la mise en place de mesures préventives. Le projet regroupe plusieurs partenaires répartis dans les Petites Antilles, notamment en Guadeloupe, en Martinique, à Sainte-Lucie, et à la Dominique.
Les espèces concernées sont variées, et le projet se décline en plusieurs axes. Au total, quatre groupes d’espèces sont étudiés : des geckos, des lézards anoles, des tortues d’eau douce et des iguanes. Sur le terrain, plusieurs techniques sont mises en œuvre. Des captures d’individus permettent aux scientifiques de marquer les animaux pour pouvoir les reconnaitre sur le terrain et pouvoir mesurer leur survie. Les animaux capturés sont également mesurés, pesés, sexés. Le comportement de certaines espèces comme les lézards anoles est étudié afin de comprendre comment la présence d’espèces invasives influence le comportement des espèces locales. Enfin, le prélèvement d’échantillons biologiques, et notamment des fèces ou tractus digestifs, permet de procéder à des analyses en laboratoire pour déterminer le régime alimentaire des espèces invasives, et mieux comprendre leur impact sur la faune locale.
En plus des données scientifiques récoltées, la collaboration entre des entités multiples permet un partage des connaissances et des compétences. Des scientifiques experts dans certaines techniques de suivi des reptiles se rendent ainsi régulièrement sur d’autres territoires de la zone concernée pour transmettre leurs connaissances, permettant aux équipes locales d’être par la suite autonomes dans le suivi des reptiles. En outre, plusieurs étudiants de master et de doctorat ont rejoint le projet pour mener des travaux de recherche sur des thématiques spécifiques, leur permettant de poursuivre leur formation scientifique. Le projet est donc une opportunité de développer la recherche via la formation des locaux dans plusieurs îles de la Caraïbe, mais aussi de favoriser l’échange scientifique entre ces îles.
Au-delà de la récolte de données, il s’agit également d’appliquer des mesures concrètes de lutte contre les reptiles exotiques envahissants. D’une part, il est primordial d’apporter des outils de reconnaissances des espèces problématiques, permettant aux agents (douane, police de l’environnement, etc.) de distinguer les espèces locales et les espèces exotiques. Des supports variés, comme un site web ou encore une application mobile, ont été créés en ce sens. D’autre part, le projet permettra d’apporter des recommandations quant aux mesures de gestion les plus pertinentes pour limiter les risques d’invasion, ou, dans le cas d’espèces déjà installées, pour réduire leur impact.
Après deux ans d’étude, les résultats s’accumulent
Le suivi des individus en milieu sauvage et la récolte d’échantillons sont toujours en cours dans les différentes îles de la région concernée. Cependant, le projet a déjà permis de mettre en lumière de nouveaux résultats, et d’aboutir à des avancées concrètes dans la lutte contre les espèces invasives.
Le gecko nain, Lepidodactylus lugubris, est une espèce originaire des îles Indo-Pacifique qui a été introduit dans de nombreuses régions tropicales à travers le monde. Sur l’archipel de Guadeloupe, une étudiante de master s’est penchée sur la dynamique d’invasion de cette espèce. Des dizaines de sites ont été prospectés pour détecter sa présence, à la fois dans des milieux naturels, urbains et péri-urbains. L’étude confirme que l’animal occupe une large gamme d’habitats. Elle montre également que Grande-Terre semble être la partie de l’archipel la plus propice à sa colonisation, et que celle-ci s’étend vers Basse-Terre.
En parallèle, plusieurs espèces d’anoles ont été étudiées à la Dominique et à Sainte-Lucie. Il existe plus de 400 espèces de ces petits lézards diurnes en Amérique et dans les îles caribéennes. Certaines sont endémiques, c’est-à-dire qu’on ne les trouve que sur une seule île de la Caraïbe, tandis que d’autres ont une répartition plus vaste et peuvent être envahissantes. Une étude menée conjointement sur l’espèce Anolis oculatus, native de la Dominique, et Anolis cristatellus, invasive dans ce territoire, a permis de mieux comprendre l’interaction entre ces deux espèces, et a également montré que l’urbanisation favorise l’expansion de l’espèce invasive.
Du côté des mesures concrètes, l’équipe du projet s’est récemment chargée de réhabiliter un écosystème de l’île des Saintes : une mare abritant plus d’une centaine de tortues d’eau douce du genre Trachemys. Aux dires des spécialistes sur place, ces tortues invasives auraient provoqué une modification de la végétation, ainsi qu’une dégradation de la qualité de l’eau via leurs déjections. Des pièges spécifiques ont donc été déployés permettant une double action : débarrasser l’écosystème de l’espèce problématique tout en donnant l’opportunité aux chercheurs d’étudier son impact. Plusieurs dizaines d’individus ont en effet été capturés et étudiés. L’analyse de leur tractus digestif donnera un aperçu de leur régime alimentaire, et donc de leur impact sur la biodiversité locale.
La récolte et l’analyse des données continuent. Les résultats devraient être publiés dans des revues scientifiques spécialisées, tandis que d’autres supports seront distribués à des publics variés. Alors que le projet doit se terminer au cours de l’année, les recherches se poursuivront de manière indépendante au sein de chaque territoire. L’ONG Caribaea Initiative, porteuse du projet, continue quant à elle de développer des programmes de recherche sur d’autres espèces exotiques envahissantes.
A propos du projet
Le projet MERCI est porté par l’ONG Caribaea Initiative, en partenariat avec de nombreux territoires et institutions. Il est cofinancé par le programme INTERREG Caraïbes au titre du Fonds Européen de Développement Régional.
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