Quand on évoque les déchets nucléaires, l’imaginaire collectif a vite fait d’y associer l’ensemble des combustibles usés d’une centrale. Pourtant, les véritables déchets ultimes, ceux non-réutilisables, ne constituent qu’une part infime des résidus d’exploitation.
En matière de nucléaire, les déchets ne désignent pas tout ce qui reste des fissions en chaîne de l’atome pour produire de l’énergie. Contrairement à une conception largement répandue, le terme de « déchet » s’applique seulement à 4 % des matériaux issus de l’exploitation d’une centrale nucléaire, qui sont devenus non-réutilisables. À l’inverse, 96 % d’entre eux sont traités pour être ensuite recyclés en nouveau combustible. La confusion entre déchets nucléaires et matières valorisables résulte donc d’une erreur de langage, les deux étant à l’opposé l’un de l’autre, comme le précise un article universitaire publié dans la revue Écologie et politique. « La notion de déchet nucléaire ne fait par conséquent référence ni à la dangerosité des matières en question, ni au temps de présence de ces matières sur le sol national, mais uniquement à leur caractère recyclable ou non ». Car depuis plus de 40 ans, l’industrie nucléaire française se distingue de l’immense majorité des autres pays disposant d’un parc nucléaire (États-Unis, Allemagne, Suède, Corée du Sud, etc.), qui laissent l’ensemble des résidus atomiques en l’état dans des piscines ou des installations de stockage. Sur son site de Orano la Hague (Manche), la France retraite en effet la plus grande partie de ses combustibles usés, principalement l’uranium et le plutonium, pour les transformer en nouvelle matière première. À l’autre extrémité, le sort des déchets nucléaires s’est lui aussi amélioré au fil des années. Depuis le début du programme nucléaire français, le volume des déchets ultimes a été réduit par cinq et leur radiotoxicité par dix. Chaque année, cela représente cinq grammes par citoyen français, soit le poids d’une pièce d’un euro.
Matières valorisables : des réserves considérables en stock
Parmi les réserves de combustibles usés issus des centrales nucléaires, l’uranium et le plutonium recèlent encore une valeur énergétique considérable. Avec un volume estimé à 345 275 tonnes d’ici 2020 (contre 271 481 tonnes en 2010), l’uranium appauvri constitue le plus gros du stock, tout en étant l’un des matériaux les moins radioactifs. Cette quantité pourrait même se révéler inépuisable en cas d’utilisation future dans des réacteurs surgénérateurs. Les réserves d’uranium issu du retraitement (40 020 tonnes en 2020 contre 24 100 tonnes en 2010) et d’uranium enrichi (2 344 tonnes en 2020 contre 2 954 tonnes en 2010) sont également importantes en vue de fabriquer du combustible neuf. Quant au plutonium extrait du retraitement, il est présent en quantité bien moindre (55 tonnes en 2020 contre 80 tonnes en 2010), mais seule une très faible portion de cette matière est nécessaire pour fabriquer du combustible MOX. La filière nucléaire dispose aussi de plus de 9 000 tonnes de thorium, qui pourraient être utilisées en cas de développement de réacteurs dédiés. D’une manière générale, les réserves françaises ont globalement augmenté ces dix dernières années, notamment en ce qui concerne les stocks d’uranium naturel (25 013 tonnes en 2020 contre 15 913 tonnes en 2010) et de combustibles usés (15 252 tonnes en 2020 contre 13 929 tonnes en 2010).
Le cycle fermé du nucléaire dans l’air du temps
Depuis 1976, la filière nucléaire française fait figure de pionnière de l’économie circulaire en traitant et recyclant ses combustibles usés. C’est ce qu’on appelle le cycle fermé du nucléaire. Après leur traitement, la réutilisation des matières valorisables permet de fabriquer du combustible standard (UOX) et du combustible mêlant uranium et plutonium (MOX). Grâce à la technologie MOX, 25 % d’uranium naturel sont économisés sur la matière première. En outre, un gramme de plutonium (ou 100 grammes d’uranium) permet de produire autant d’électricité qu’une tonne de pétrole, deux tonnes de charbon et deux tonnes et demie de bois. Aujourd’hui, 10 % de la production d’électricité issue du nucléaire provient de combustible MOX, soit 7 % de la consommation électrique des Français. En cette période de prise de conscience mondiale de l’épuisement des réserves naturelles d’énergie et du réchauffement de la planète, ce modèle de fonctionnement est d’autant plus vertueux que l’électricité issue du nucléaire est décarbonée à plus de 95 %... De quoi convaincre de plus en plus d’experts jusque-là sceptiques sur l’intérêt de l’énergie atomique. Après la lettre ouverte en faveur du nucléaire signée par quatre scientifiques américains spécialistes du climat et de l’environnement, une nouvelle tribune publiée dans le Wall Street Journal vient tout juste d’accréditer de nouveau une filière à l’image de moins en moins confuse...
Par Benoit Boulard
01/10/24 à 07h35 GMT