L’union fait la force. C’est le principe même de la réunion en association, syndicats, groupements d’intérêts, ou en coopératives. Mais même des coopératives, susceptibles de réunir des milliers de sociétaires pour des chiffres d’affaires dépassant parfois le milliard d’euros, peuvent voir leur pouvoir de négociation diminuer face à certains interlocuteurs.
Notoriété et négociation
Pour un entrepreneur individuel, retrouver une certaine force de négociation impose bien souvent de « passer sous enseigne ». Avoir le pouvoir de négociation et l’image de marque d’une grande enseigne avec soi : telle est la motivation première de la majorité des indépendants qui sautent le pas. La démarche permet en outre dans certains cas de bénéficier d’un effet de taille, tout en conservant une autonomie politique. Les opportunités de développement et de croissance qui en découlent semblent valoir le coup : « Le premier avantage d’adhérer à une enseigne est sa notoriété qui permet, en règle générale, d’augmenter le trafic en magasin et donc le chiffre d’affaires. Mais bien d’autres éléments peuvent générer du chiffre d’affaires supplémentaire : centrale d’achat avec conditions tarifaires négociées, partenariats privilégiés avec des fournisseurs, produits et marques en exclusivité… », écrivait en 2010 Eric Peschel, alors Directeur Expansion Atol, sur le blog des anciens de Sup d’Optic. Le constat est tout aussi vrai aujourd’hui et reste partagé par les opticiens de l’enseigne : « grâce à notre centrale d’achat nous avons une vraie force de négociation, gage du meilleur rapport qualité/prix pour nos clients », témoigne ainsi Jean-Michel Baud, opticien Atol à Vichy. Difficile en effet de négocier avantageusement avec les géants Essilor ou Luxottica en tant qu’opticien indépendant et isolé. Mais, de manière peut-être plus surprenante, ce qui est valable pour un entrepreneur indépendant l’est aussi pour les chaînes coopératives, qui constatent une érosion de leur pouvoir de négociation face à certains géants industriels internationalisés.
La coopérative Atol est consciente de longue date de la nécessité d’atteindre une certaine masse critique dans les négociations. C’est d’ailleurs entre autres pour cette raison qu’elle s’est rapprochée de Visual en 1995 au sein du GIE Visatol, signant à l’époque le premier rapprochement dans le monde de l’optique : parmi les objectifs d’alors, « optimiser la puissance de négociation auprès des fournisseurs de verres et de lentilles » relate les Echos. Car derrière la problématique du rapport de force en négociation des coopératives, il y a nécessairement celle des prix, et donc des marges. La pérennité d’un business model se joue essentiellement ici, coopérative ou non.
Des stratégies d’alliance pour voir plus loin
Lorsque l’on parle de regroupements d’entreprises quelles qu’elles soient, l’une des premières raisons qui vient à l’esprit est celle de la mutualisation des moyens et donc des économies d’échelle : mutualisation de certaines fonctions support, regroupement des centrales d’achat… Il s’agit d’optimiser les dépenses et de limiter les doublons. Les opportunités en la matière sont nombreuses et n’ont pas échappées au secteur des coopératives.
Lorsque la chaîne de distribution coopérative Système U décide en 2014 de s’allier, entre autres, à Coop Suisse (deuxième enseigne de distribution en suisse avec Migros), c’est bien pour grossir le volume d’affaires de la centrale d’achats CORE (regroupant jusqu’à les centrales d’achat des enseignes européennes Coop Suisse, Conad, Colruyt et Rewe), et donc son pouvoir de négociation avec les distributeurs. « L'adhésion de Système U à cette entité nous permettra de renforcer nos moyens afin d'offrir les meilleurs prix à nos clients, notamment dans le domaine des marques nationales », se justifie sans surprise Serge Papin, Président du groupement coopératif Système U.
Dans un contexte de très forte concurrence, les coopératives de la grande distribution sont tenues de faire comme les autres acteurs du secteur : négocier les prix à la baisse. Mais pas seulement. « Avec Core, nous voulons aller encore plus loin. Il ne s'agit pas de faire uniquement des achats en commun. Nous pouvons aller jusqu'à travailler des concepts ensemble », précise Serge Papin. Parce que la seule finalité économique ne convient pas aux coopératives, par essence à lucrativité limitée, le regroupement répond aussi à des finalités stratégiques. Derrière les rapprochements de coopératives, il y a aussi un projet et une certaine vision sociale de l’activité économique à partager.
Avancer dans la même direction
Parmi les objectifs des regroupements, il y a la volonté de donner une stratégie et des objectifs communs à un ensemble d’acteurs qui pouvaient auparavant s’opposer comme concurrents. « Les organisations de producteurs regroupent les structures qui ont une stratégie commune et des valeurs communes », explique Jacques Crolais, directeur de l’UGPVB (union des groupements de producteurs de viande de Bretagne). Dans le cas particuliers des coopératives agricoles, les stratégies peuvent être différentes, mais la finalité est généralement la même selon Jacques Crolais : optimiser la production. Pas étonnant dès lors que les coopératives agricoles fusionnent. Elles seraient ainsi passées de 18 à 10, rien qu’en Bretagne, et quasiment la moitié de la production nationale de porcs est assurée par quatre groupements coopératifs, qui ont donc vu croître la taille des assemblée de sociétaires.
Cette assemblée, ainsi élargie, confie à une direction élue et généralement centralisée la définition des objectifs et de moyens pour les atteindre. Le rôle de cette structure est fondamental et sa position « au-dessus de la mêlée » est cruciale pour le bon fonctionnement de l’ensemble. « Le système coopératif ne fonctionne que si la direction centrale insuffle une vraie dynamique au réseau », explique Olivier Deschamps, avocat et membre du collège des experts de la FFF (Fédération française de la franchise). Ce n’est qu’au prix de cette cohérence stratégique que les regroupements fonctionneront. Et dans le cas des coopératives agricoles, l’enjeu est de taille : il ne s’agit ni plus ni plus moins que de la simple survie économique de dizaines d’exploitations, étranglées entre les demandes des intermédiaires et la pression baissière de la grande distribution. Dans un tel contexte, il est fort probable que les mouvements de concentration coopérative se poursuivent, tant la notion de taille critique semble prépondérante sur des marchés de plus en plus nombreux.