Longtemps considéré comme une plante envahissante et sans aucune valeur au Cameroun, le bambou est de plus en plus utilisé pour reboiser les espaces impactés par l’agriculture et l’exploitation forestière illégale. Depuis le 23 mai 2017, l’Ong camerounaise Forêts et Développement rural (Foder) qui lutte contre la déforestation illégale et milite pour la gestion durable des ressources forestières, met en œuvre un mémorandum d’entente signé avec l’Organisation internationale pour le bambou et le rotin (Inbar ; International Bamboo and Rattan Organisation), pour la valorisation de la ressource. D’après François Médard Medjo, observateur indépendant externe à Foder, le projet consiste à reboiser les sites qui ont subi des impacts négatifs de l’exploitation forestière, des feux de brousse, de l’activité minière ou des sites qui sont en voie d’accéder à la déforestation globale comme les régions du Nord et de l’Extrême-Nord.
Dans le cadre de la mise en œuvre de cette MoU, Foder a déjà restauré 15,5 hectares de terres à Mbalmayo, localité située dans la région du Centre-Cameroun, indique le coordonnateur de Foder, Christophe Justin Kamga. Au cours du seul mois de mai 2021, l’organisation a mis en terre plus de 2000 plants de bambous sur une superficie de 10 hectares dans les localités de Mbalmayo, Akomnyada 1 et 2 et Avebe. L’ambition de l’Ong est de contribuer à la restauration de 600 000 hectares de terres dégradées au Cameroun d’ici cinq ans. L’initiative s’inscrit par ailleurs en droite ligne du projet « The Restoration Initiative » (TRI) développé en partenariat avec Inbar, avec le soutien du Fonds mondial pour l’environnement (FEM). Afin de pérenniser la ressource, Foder dispose deux pépinières de 30 000 plants, dont 10 000 plants à Akomnyada et 20 000 plants sur le site de l’Agence nationale d’appui au développement forestier (Anafor) à Mbalmayo.
La promotion du bambou par le gouvernement camerounais est adossée au Plan de gestion du bambou de Chine élaboré et adopté en 2016. Etalé sur une période de cinq ans, le coût d’investissement de ce plan est d’environ 3,35 millions de dollars US, soit 1,9 milliard de F. Le Cameroun, de l’avis de François Médard Medjo, par ailleurs forestier, dispose ainsi d’une occasion de participer à l’Initiative panafricaine de restauration de 100 millions d’hectares de paysages forestiers et terres dégradées en Afrique (AFR100). Le choix de plus en plus porté sur le bambou se justifie par sa forte capacité de séquestration de carbone et une forte capacité d’adaptation au niveau du sol. « Le bambou est une plante à croissance rapide qui absorbe facilement le carbone qu’il fixe dans sa composante. Plus il grandit rapidement, il absorbe également le CO2 qui est dans la nature. Il participe aussi à l’émission de l’oxygène pour purifier l’air », explique Christophe Justin Kamga. « Le bambou séquestre le carbone dix fois plus que le bois. Son taux de régénération est 50 fois plus élevé que le bois. En matière de lutte contre le changement climatique, le bambou est la ressource idéale », soutient Luc Ndebe, président de l’association Terre et Ressources pour le Développement durable (Suhe), basée à Ngwei dans la Sanaga-maritime, région du Littoral.
Contrairement au bois qui met 50 à 100 ans pour arriver à maturité, le bambou pousse de 2 à 20 de mm tous les jours selon les espèces et est mature après deux à cinq ans. Alors que le ministère camerounais des Forêts et de la Faune (Minfof) interdit depuis le 21 avril 2016 l’exploitation du bois de perche [bois de petit volume utilisé dans le secteur de la construction des maisons ; Ndlr], le bambou constitue désormais une alternative pour la régénération naturelle des forêts. Sur plus d’une centaine d’espèces qui existent, le ministère en charge des forêts reconnaît l’existence de quatre qui sont vulgaires au Cameroun, à savoir le Phyllostachys aurea, le Demdrocalamus asper, le Bambusa vulgaris et l’Oxythenanthera abyssinica. La collaboration qui lie le Fonds international de développement agricole (FIDA), INBAR et l’université de Dschang au Cameroun, depuis 2019, a permis d’identifier cinq zones potentiellement adéquates pour la production du bambou : la zone soudano-sahélienne, les hautes savanes, les hauts plateaux, les zones forestières modales et bimodales.
Pression sur la ressource
Depuis le décret de 2016 interdisant l’exploitation des bois de perche, le bambou fait l’objet d’une pression. M. Kamga du Foder fait observer par exemple que les bambous jadis situés le long de la localité d’Ekali sur la route de Nsimalen (région du Centre), ont disparu. Les communautés sont obligées d’aller en forêt pour trouver du bambou. Actuellement, elles ont engagé des actions de protection des tiges de bambou encore disponibles pour leur bien-être et pour celui des générations futures.
A Ngwei, la situation est presque similaire. « Les exploitants achètent 1500 pièces de 4 m à 10 000 F (environ 18 dollars US) et vont revendre dans la ville de Douala à 500 000 F (881,6 dollars US). Ce sont eux qui fixent le prix au détriment des populations qui sont marginalisées dans le deal. En plus, ils chargent dans la nuit, précisément autour de 23h ou minuit, pour échapper aux contrôles des agents des eaux et forêts », détaille Luc Ndebe. Ce qu’il qualifie de « business de dupe » encourage les exploitants à se rabattre vers le bambou très sollicité dans les échafaudages et le coulage des dalles. Les prix de la ressource ont même connu une flambée. Une tige coûterait déjà 1,05 dollar US (600 F) à 1,2 dollar US (700 F) au moins.