La coalition Forests & Finance a publié le 4 décembre dernier un rapport mettant en relief l’impact du soutien apporté par les institutions bancaires et les investisseurs aux agro-industries sur la déforestation. Le rapport : « Miser sur l'effondrement de la biodiversité : suivre les banques et les investisseurs qui sont à l'origine de la destruction des forêts tropicales » révèle que les banques et les investisseurs permettent aux entreprises forestières et agro-industrielles d'étendre leurs opérations dans les derniers écosystèmes forestiers tropicaux de la planète. Les activités de ces entreprises entraînent la destruction des forêts et des tourbières et violent les droits des peuples autochtones et des communautés locales, souligne le document.
Dans sa démarche, Forests & Finance en tant que coalition de huit organisations de campagne, de base et de recherche, dont Profundo (d’origine néerlandaise; ndlr), a cartographié les flux financiers commerciaux en direction de 300 entreprises intervenant directement dans les chaînes d’approvisionnement du bœuf, de l’huile de palme, de la pâte à papier et du papier, du caoutchouc, du soja et du bois. Les activités de ces entreprises constituent une menace pour les forêts tropicales naturelles et les populations qui en dépendent qui en dépendent en Asie du Sud-Est, en Afrique de l’Ouest, en Afrique centrale et dans certaines régions d'Amérique du Sud.
307 milliards de dollars USD de crédits accordés par les banques entre 2016 et 2023
Les analyses produites par le rapport indiquent que, de janvier 2016 à septembre 2023, les banques ont octroyé des crédits d’au moins 307 milliards de dollars USD destinés à financer ces opérations. « Elles ont été soutenues par des investisseurs institutionnels qui détenaient 38 milliards de dollars USD en actions et obligations en septembre 2023 », expliquent les auteurs. Les banques du Brésil mènent le peloton avec une proportion de 127 milliards de dollars, suivies de l’Indonésie (31 milliards de dollars), de la Chine (25 millions de dollars), des Etats-Unis (22 milliards de dollars) et du Japon (20 milliards de dollars). Elles représentent toutes 73% de tous les crédits enregistrés depuis 2016.
Par ailleurs, les investissements enregistrés en septembre 2023 en provenance des Etats-Unis (14 milliards de dollars) et de la Malaisie (11 milliards de dollars) sont de l’ordre de 66%. Malgré qu’il y ait quelques fluctuations dans les totaux annuels de crédit et d’investissement de 2016 à 2023, le rapport précise qu’il ne semble y avoir aucune tendance à la baisse en capitaux facilitant la production des commodités ayant un fort impact sur les forêts.
L’autre critère d’analyse mis en exergue dans le rapport de la coalition Forests & Finance est l’évaluation de politiques prétendument développées par les institutions financières afin d’atténuer les types spécifiques de risques et d’impacts observés dans les financements ou investissements des activités impactant les forêts tropicales. De l’analyse 2023 du secteur des matières premières à risque forestier effectuée à partir des politiques de plus de 100 institutions financières, il ressort que celles-ci sont « dangereusement inadéquates ». Le score moyen était d’à peine 17% et la majorité des institutions financières ont enregistré un score inférieur à 30%. Près de la moitié de l’échantillon a obtenu un score inférieur à 10%.
« Négligence systématique » des institutions financières ?
L’analyse suggère en outre une « négligence systématique » de la part des institutions financières dans la prise en compte de leur rôle dans les crises climatiques et naturelles. Pour soutenir leur argumentaire, les auteurs évoquent quatre exemples des entreprises JBS, Cargill, Royal Golden Eagle and Sinar Mas Group, qui ont chacun « été associés à plusieurs reprises à d’importants dommages sociaux et environnementaux… ». Pourtant, ces groupes continuent d’engranger des milliards de dollars en financement commercial destinés aux activités causant un préjudice sur les terres et les communautés. Les noms de grandes banques de renom comme Bank of America et Blackrock (Etats-Unis), Mizuho (Japon), Santander (Espagne), Bradesco (Brésil) et Bank of China et Bank Panin (Indonésie) reviennent comme étant de principaux bailleurs de fonds de ces groupes susmentionnés. Le rapport enfonce le clou en faisant savoir que les banques et investisseurs semblent ignorer systématiquement les dommages causés à l’environnement, au profit des relations commerciales lucratives.
L’urgence d’une règlementation du secteur financier et des sanctions des prêts et investissements éco-terroristes
Le rapport « Miser sur l'effondrement de la biodiversité : suivre les banques et les investisseurs qui sont à l'origine de la destruction des forêts tropicales » plaide pour l’intervention des pouvoirs publics dans l’élaboration d’une règlementation du secteur financier nécessaire pour sauvegarder les intérêts de la société et des écosystèmes dont nous dépendons, conformément aux objectifs de politique publique internationale. « Il s’agit d’un problème systémique qui, en fin de compte, exige des efforts plus importants, des interventions plus systématiques », lance le rapport. Ce qui, par exemple, pourrait intégrer l’interdiction de l’allocation des capitaux à certains secteurs ou entreprises qui sont des moteurs de destruction des écosystèmes. Ou légiférer pour des sanctions plus significatives à l’encontre des institutions financières qui n’alignent pas leurs prêts et investissements aux activités durables.
Les attentes vis-à-vis du secteur financier
En perspective, le rapport intime les gouvernements et institutions financières à agir maintenant pour lutter contre les crises climatiques et la destruction de la biodiversité. Le secteur financier est surtout attendu sur cinq fronts :
1) Arrêter et inverser la perte de biodiversité en interdisant le financement des activités et des secteurs considérés comme des moteurs de destruction de la nature ;
2) Respecter et accorder de la priorité aux droits des peuples autochtones et des communautés locales, en veillant à ce que les politiques et pratiques protègent et priorisent les droits humains des communautés impactées ;
3) Favoriser une transition juste en donnant la priorité au bien-être écologique et social des communautés et en engageant les travailleurs et communautés affectées à militer en faveur des projets durables ;
4) Garantir l’intégrité des écosystèmes en évaluent les impacts à l’échelle de l’écosystème avant tout financement et interdire le financement des activités qui influencent négativement l’intégrité des écosystèmes et
5) Créer et faciliter une cohérence entre les objectifs institutionnels et les cibles liées au climat et à la nature.
Forests & Finance est une initiative menée par une coalition d’organisations militantes et de recherche, parmi lesquelles Rainforest Action Network, TuK Indonesia, Profundo, Amazon Watch, Repórter Brasil, BankTrack, Sahabat Alam Malaysia et Friends of the Earth US. Ensemble, ces organisations cherchent à renforcer la transparence, les politiques, le fonctionnement et la règlementation du secteur financier, pour éviter que les institutions financières ne financent les atteintes aux droits des individus et les dégradations de l’environnement. Ce d’autant plus que nombre de leurs clients sont potentiellement impliqués dans les faits et/ou actes de déforestation.