La crise politique au Burundi, pays d’Afrique de l’Est, a conduit à une vague de manifestations et de violences dans le pays, aux conséquences très inquiétantes. L’AWID s’est entretenue avec Nelly Kandatwa, Présidente de la Ligue Burundaise pour les Droits de la Femme « Mwubahirize », et le réseau SOS Femmes En Détresse/Section de la République du Burundi (SOS FED), pour mieux comprendre la situation actuelle du pays au prisme des droits des femmes.
Par Mégane Ghorbani
Le 25 avril 2015, le parti burundais au pouvoir CNDD-FDD (Conseil National pour la Défense de la Démocratie - Forces pour Défense de la Démocratie) a annoncé la désignation du Président Pierre Nkurunziza comme candidat aux élections présidentielles de l’été 2015, briguant ainsi un troisième mandat. Cela constituait alors une violation des Accords d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi et de l’article 96 de la Constitution du pays qui stipule que le-la Président-e ne peut renouveler son mandat qu’une seule fois.
Depuis, divers événements[1] ont déclenché des troubles politiques au Burundi, avec des conséquences multiples qui mettent en péril les droits des femmes. Suite à l’annonce de la candidature du Président Pierre Nkurunziza aux nouvelles élections présidentielles, l’opposition et une large partie de la société civile ont manifesté contre l’inconstitutionnalité de cette annonce. S’en est suivi un cycle de répression et de violence de la part des forces de l’ordre du pays, ainsi que la tentative de coup d’état par l'ancien chef du service des renseignements, Godefroid Niyombare, le 13 mai 2015, alors que Pierre Nkurunziza était à l’étranger. Une période d’incertitudes et d’affrontements entre pustchistes et loyalistes suivit jusqu’au retour du Président. L’utilisation de la force policière contre les manifestant-e-s et les opposant-e-s à la légitimité du mandat brigué par le Président Pierre Nkurunziza est malheureusement devenue depuis une source de préoccupation générale.
Les élections du 21 juillet 2015, boycottées par l’opposition, ont menées le Président sortant à la victoire, malgré les multiples critiques vis-à-vis des conditions dans lesquelles ont eu lieu ces élections[2]. Le 2 août 2015, le bras droit du Président, le général Adolphe Nshimirimana, fût la cible d’un assassinat. Son meurtre a alors engendré d’autres représailles violentes, assassinats et abus de droits humains.
Mobilisations de femmes
SOS FED raconte que « depuis mai 2015, la situation politique au Burundi a été couverte par des faits catastrophiques, notamment une chaine de manifestations contestant le troisième mandat du Président sortant Pierre Nkurunziza à sa propre succession suivie de plusieurs arrestations arbitraires et meurtres des manifestant-e-s s’opposant à ce 3ème mandat. Le cas le plus grave est le coup d’état manqué du 13 mai 2015 suivi de la destruction des chaines de radios privées, notamment Radio Publique Africaine - RPA, RSF - Bonesha FM, Radio REMA - FM, Radio - Télévision la Renaissance, et la fermeture de la Radio Isanganiro à laquelle le prétendu putschiste Godefroid Niyombare a fait ses déclarations de coup d’état. Jusqu’aujourd’hui, ces radios restent fermées et la situation politique reste tendue jusqu’à occasionner la fuite massive de journalistes vers les pays étrangers, et la mort de différentes hautes autorités du pays qui s’observe au jour le jour. La sécurité est incertaine car les coups de feu et des grenades se font entendre par-ci par-là et des arrestations de jeunes se multiplient. »
Dans ce contexte, SOS FED et Nelly Kandatwa soulignent le dynamisme des mouvements de femmes, non seulement pour exprimer leur contestation vis-à-vis du 3ème mandat du Président Nkurunziza, mais aussi pour dénoncer les exactions commises à l’encontre des femmes dans cette période de crise. « Les mouvements des femmes n’ont pas fermé les yeux ni croisé les bras face à ce contexte de violences, ils se sont levés debout face à la crise qui secoue le Burundi depuis avril 2015. D’ailleurs, les femmes ont organisé une marche pacifique contestant le 3ème mandat de Nkurunziza jusqu’au centre-ville de Bujumbura le 10 mai 2015, qui a été vite dispersée par les policiers et les agents de l’ordre », souligne SOS FED. A ce titre, Nelly Kandatwa précise que « les mouvements de femmes ont été les seuls à pouvoir réaliser une manifestation en pleine ville alors que la police avait empêché les manifestant-e-s d’y arriver. Les mouvements de femmes ont fait un appel au dialogue et ont supplié le Président de la République de ne pas se porter candidat aux élections présidentielles de 2015. »
SOS FED ajoute que les mouvements de femmes se sont mobilisés dans des associations et des groupements féminins, parallèlement aux négociations et débats politiciens, dans le but de réfléchir aux causes profondes de la crise que traverse le Burundi et de toutes les violations de droits des femmes, et plus généralement de droits humains, qui s’en suivent. Ces mouvements cherchent également à « voir comment soutenir les victimes, surtout les femmes et les enfants. Ils sont parvenus à briser le silence et se mobilisent pour dénoncer les violences faites aux femmes, notamment les violences sexuelles et les viols, pour contribuer au rétablissement de la paix et de la cohésion pacifique et améliorer la position des femmes dans les instances de prise de décision. »
De nouveaux défis pour les femmes
« Le contexte a sérieusement menacé le travail des activistes des droits des femmes et des défenseur-e-s des droits humains car il y a eu une paralysie générale de leurs activités. Il était difficile d’atteindre les victimes et de les secourir. », explique Nelly Kandatwa. SOS FED précise que dans ce contexte, les défenseur-e-s des droits humains ne travaillent pas en toute liberté et risquent leur vie au quotidien[3] pour pouvoir mener leur activisme en raison des nombreuses menaces, intimidations, arrestations, extraditions voire de meurtres exercés à leur encontre. Le 23 juillet 2015, Amnesty International a d’ailleurs rendu public un rapport soulignant le recours à la force létale de manière excessive par la police burundaise à l’encontre des manifestant-e-s, y compris des femmes et des enfants. « Cette situation pousse beaucoup d’activistes burundais des droits humains à fuir le pays », ajoute SOS FED.
D’une manière générale, la crise politique burundaise a été également à l’origine d’un déplacement massif de personnes vers des pays voisins[4], avec plus de 192 000 réfugié-e-s entre avril et fin août 2015, selon les données fournies l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Nelly Kandatwa souligne que « la majorité sont des femmes et des enfants, les hommes restant près des biens de la famille pour les garder ». Une épidémie de choléra a sévi en mai dernier parmi la population réfugiée burundaise en Tanzanie, pays qui compte le nombre le plus important de réfugié-e-s burundais depuis le début de crise. Cette épidémie a ainsi entraîné la mort de plusieurs dizaines de personnes et révèle un défi de plus pour ces réfugié-e-s dont les conditions de vie dans les camps sont marquées par une insuffisance d’accès à l’eau potable et à l’hygiène. SOS FED précise que « des cas de malnutritions aigues sévères et d’enfants non accompagnés sont fréquemment signalés dans tous ces pays de refuge ». Les femmes et les filles burundaises réfugiées sont en outre confrontées à une violence basée sur le genre, comme on peut le constater notamment dans le camp de Nyarugusu au nord-ouest de la Tanzanie, où le nombre de cas de violence sexuelle et sexiste, d’exploitation sexuelle et d’abus reste élevé « principalement en raison de pratiques traditionnelles néfastes touchant les femmes et les jeunes filles », selon le HCR. En République Démocratique du Congo, SOS FED explique que les réfugié-e-s craignent pour leur sécurité par peur de représailles du massacre perpétré à l’encontre de réfugié-e-s congolais Banyamulenge au camp de Gatumba au Burundi en 2004 où plus de 160 personnes avaient trouvé la mort, la plupart des femmes et des enfants. « Pour répondre à cette problématique, toutes les parties prenantes doivent prendre en considération la place de la femme dans tous les processus de maintien de la paix et de la cohabitation pacifique », souligne SOS FED.
Faire preuve de solidarité selon une perspective de genre
Nelly Kandatwa et SOS FED s’accordent à dire qu’une certaine solidarité internationale visant l’amélioration de la situation au Burundi se fait ressentir, à travers notamment diverses initiatives régionales, telles que la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs ou encore la Plateforme des Femmes pour l’Accord-cadre pour la Paix, la Sécurité et la Coopération. « Les pays africains se débattent de toutes les façons à remettre la paix au Burundi en particulier et dans la région des grands lacs en général, mais rien ne tient jusqu’à présent. Différentes rencontres sont organisées aux niveaux de la Communauté est-africaine, de la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs, et même au niveau de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) mais sans succès. De la part de la société civile burundaise, les efforts sont fournis, les plaidoyers et lobbying sont organisés mais demeurent encore moins convaincants. Le chemin est encore long à parcourir », confie SOS FED.
Nelly Kandatwa souligne dès lors que l’enjeu actuellement consiste à faire preuve de solidarité internationale dans une perspective de genre répondant aux besoins spécifiques des femmes et des filles. « Pour faire preuve de solidarité internationale à partir d’une perspective du genre, il faut que la promotion d’égalité de genre et des droits des femmes au Burundi mérite une attention tout à fait particulière : beaucoup d’efforts doivent encore être entrepris. Pour cela, certaines barrières liées aux coutumes anciennes doivent être brisées. De même, certaines lois nationales défavorisant les femmes doivent être modifiées. Un autre défi à relever est la pauvreté qui frappe durement les femmes. Pour mener une lutte efficace, les femmes doivent bénéficier d’un niveau de vie acceptable. Elles doivent se mobiliser pour lutter ensemble contre toutes les formes de violences sexuelles et viols dont elles sont victimes tous les jours; elles doivent réclamer que les auteurs de ces crimes soient traduits devant la justice. Elles doivent exiger une application stricte de la loi, car il a été constaté que l’impunité est la cause principale de la recrudescence de ces crimes. En un mot, il faut que les résolutions 1325 et 1820 du Conseil de sécurité des Nations Unies[5] soient mises en application au Burundi », conclut SOS FED.
[1] Pour un aperçu sur les divers événements survenus, voir : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/burundi_1679896.html
[2] Les élections législatives et communales qui se sont déroulées fin juin 2015 ont également été critiquées par les observateurs-rices de l’ONU pour leur manque de liberté et de crédibilité.
[3] Voir à ce titre la campagne menée par Amnesty International sur les défenseur-e-s burundais en danger : http://www.amnesty.be/doc/agir-2099/nos-campagnes/liberte-d-expression-2128/article/burundi-des-defenseurs-en-danger
[4] A savoir la Tanzanie, le Rwanda, la République Démocratique du Congo, l’Ouganda et la Zambie.
[5] D’autres résolutions relatives aux femmes, à la paix et à la sécurité ont été adoptées par le Conseil de sécurité des Nations Unies pour proposer un « cadre pour la mise en œuvre et le suivi du programme de l'ONU sur les femmes, la paix et la sécurité. »
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