Le concept de « muraille » est une métaphore souvent mal comprise et réduite à la plantation d’arbres. En réalité, l’initiative vise à lancer un ensemble de projets comprenant à la fois la préservation et la valorisation des ressources naturelles, le bien-être humain, la lutte contre la pauvreté et la santé environnementale. Début 2021, les institutions et États présents au One Planet Summit se sont engagés à investir 16 milliards d’euros sur cinq ans pour relancer cette action d’envergure continentale. Faut-il croire à ces promesses ? Du côté de l’investissement privé, les annonces se font attendre.
Le recours aux financements privés demeure indispensable pour soutenir les projets de réduction de la dégradation des terres ou de restauration de terres dégradées. À condition que celui-ci soit équilibré entre retours sur investissements et production de bénéfices publics, sans engendrer d’effets délétères, comme l’accaparement de terres au détriment de communautés qui en tirent leur nourriture et leurs revenus.
En cela, la Grande muraille verte suscite en ce moment un regain d’intérêt. Le monde découvre que les zones arides sont des terres d’opportunités. On peut en juger par l’importance que prennent des produits comme la gomme arabique ou le karité. Les zones sèches africaines recèlent de nombreux autres produits naturels de grande valeur et qui constituent des filières qui pourraient être davantage soutenues par le secteur privé. L’Afrique s’urbanise à marche forcée et l’augmentation des standards de consommation exige que les systèmes alimentaires se diversifient à travers le stockage, la transformation et la distribution. Ce sont des sources de création d’entreprises et d’emploi pour la jeunesse africaine.
Les expériences de terrain nous montrent que l’agroécologie et l’agroforesterie induisent des pratiques de restauration des terres dégradées. L’agriculture dans les zones sèches utilise une grande variété de systèmes agroforestiers pour opérer dans des régions aux climats extrêmes. C’est une agriculture familiale durable, performante, à faible intensité de capitaux et faiblement émettrice de gaz à effets de serre. Des faibles montants de capitaux investis peuvent avoir des effets significatifs pour de larges populations, en contribuant au maintien des sols et du climat de la planète.
Quelles conditions pour les nouveaux investissements ?
Du côté de sa disponibilité, la finance verte a de beaux jours devant elle. Selon Novethic, 72 % des investisseurs individuels en France souhaitent que les enjeux de développement durables soient inclus obligatoirement dans les produits d'épargne qui alimentent les fonds d'investissement**. Mais pour que ces investissements soient effectivement levier de développement durable, le temps long est nécessaire. À titre d’exemple, il aura fallu 25 années pour que la station de compostage à base de déchets de palmes de l’oasis de Chenini Gabès en Tunisie trouve une viabilité économique doublée d'une utilité sociale.
Cependant, avant de placer leur argent dans des projets profitables et responsables, les promoteurs examinent la solidité des structures politiques et de gouvernance qui garantissent leur protection. Malheureusement, les crises au Sahel et l’image d’instabilité des pays africains nuisent à cette confiance. Réduire les causes d'instabilité des territoires, c'est aussi investir dans un avenir possible pour leurs populations et l’emploi.
Dans les pays du Sahel, l'agriculture occupe une place centrale avec 35 % du PIB et 60 % de la population active. Cependant, le manque d'aménagements isole plus de 70 % de la population rurale sur tout le continent. Les filières agricoles sont insuffisamment structurées et ne permettent pas toujours la création de valeur ajoutée locale et d'emplois. Pour générer de la plus-value et des emplois tout au long des filières, l’investissement dans les infrastructures routières, informatiques, financières et logistiques est donc primordial.
Concernant les objectifs de développement durable dont la cible 15.3 vise la neutralité en matière de dégradation des terres, un fonds innovant*** a été créé en 2017 en lien avec la Convention des Nations unies pour la lutte contre la désertification. Et ceci pour mobiliser des fonds partiellement garantis afin de financer, par le biais de prêts, des actions permettant de restaurer des terres dégradées et de les valoriser à travers des activités productives. Les modalités de ce fonds, longuement discutées avec une diversité d’acteurs privés, scientifiques et de la société civile, intègrent des garanties d’un retour sur investissement combinées à des garanties sociales et environnementales fortes. Si fin 2020 quelques 220 projets dans le monde entier avaient fait l'objet d'un examen à des fins d'investissement, seuls cinq projets sont actuellement en cours de mise en œuvre, démontrant toute la difficulté de réunir les garanties économiques, sociales et environnementales attendues.
Quelles conditions pour un investissement privé responsable ?
Les retours d’expériences du fonds pour la neutralité en matière de dégradation des terres seront donc précieux pour guider un investissement privé se dotant de hautes attentes en matière de bénéfices écosystémiques et de bénéfices sur les conditions de vie des populations. Cela est d’autant plus crucial pour l’investissement dans la Grande muraille verte qui couvre des zones sahéliennes arides, où la productivité des terres est plus faible que dans des zones où la disponibilité de l’eau est abondante et garantie.
Pour favoriser les investissements privés responsables et profitables aux populations les plus pauvres des pays de la Grande muraille verte, nos organisations préconisent également d’orienter les financements vers l’agriculture familiale et paysanne plutôt que vers quelques acteurs agroindustriels de grande ampleur. Les centaines de milliers de petits et moyens opérateurs locaux forment le véritable tissu économique des territoires ruraux du Sahel. Leurs regroupements sous des formes coopératives, de groupements d’intérêt économique ou d’autres formes d'organisations professionnelles peuvent permettre d’atteindre une taille critique pour stabiliser l’offre comme l’accès à des débouchés économiques.
L’exemple d’actions initiées par nos partenaires pour mobiliser des financements d’opérateurs privés intéressés par l’approvisionnement responsable est à promouvoir à l’échelle des petits producteurs nombreux et disséminés sur les territoires. Ce soutien aux actions productives doit être accompagné par la structuration de filières locales de transformation et de commercialisation des produits, basées sur des formes de contractualisation équitables entre parties prenantes et générant une valeur ajoutée dans les territoires. Dans ce contexte, l’appui aux échelons les plus décentralisés comme les autorités locales et communales est une des clés du succès.
Alors que les projecteurs sont braqués sur la Grande muraille verte, Agrisud International, le CARI et SOS SAHEL appellent les institutions publiques et les gouvernements locaux et nationaux à se saisir du levier des investissements et à veiller à ce qu’il remplisse l’ensemble de ces conditions afin de contribuer véritablement à la lutte contre la désertification et la dégradation des terres.
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* CNULCD, La Grande muraille verte : état de mise en œuvre et perspectives à l’orée 2030, 2020
** Novethic, Les chiffres de l’ISR de conviction, 2017
*** CNULCD, Fonds LDN