Par Annie MATUNDU MBAMBI, Présidente Women’s International League for Peace and Freedom /DRC-Group, membre du bureau de Genre en Action, vice-présidente de l’AFEBAF, République démocratique du Congo (RDC) - Intervention lors du séminaire de janvier 2011 organisé par l'OIF/IEPF sur "Genre et changement climatique"
La RDC abrite la plus grande forêt d’Afrique et la deuxième forêt tropicale du monde au titre de sa grande biodiversité. L’étude la plus récente sur l’état des forêts de la RDC date de 2006 et estime la superficie des zones forestières à 62% (Etat des forêts du Congo, 2006).
Pourtant, depuis quelques décennies, la RDC subit une dégradation de ses ressources naturelles. Les causes de cette dégradation sont la guerre, l’anarchie, les déplacements des populations, l’effondrement des institutions, la pollution, la déforestation, les variations climatiques, toutes ces causes ont eu un impact dévastateur sur les forêts.
Un phénomène qui prend une dimension particulière est la déforestation.
La protection de l’environnement et la conservation de la nature relèvent des attributions du ministère de l’Environnement, Conservation de la Nature et Tourisme. L’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature est la seule institution chargée de la gestion du secteur de la conservation avec le statut d’établissement public. Malgré ces mécanismes, les politiques publiques tardent à faire leurs preuves.
Aujourd’hui, les paysans et les autorités occupent et déboisent illégalement une partie de la réserve forestière de la RDC. Les coupeurs de bois envahissent très souvent la concession pour y chercher les espaces les plus prisés soit pour la fabrication de braise soit encore pour les grumes. Dans la région du Bas Congo, au cœur de la forêt du Mayombe regorgent des espèces comme le Tola, le Limba, le Lifaki, le bois rouge, le Kambala, le bois noir, le Wenge, etc. Les entreprises forestières procèdent parfois par la méthode de la coupe à blanc, ce qui mène à une surexploitation de la forêt. Comme si cela ne suffisait pas, les scieries artisanales, sans être inquiétées, opèrent à cœur joie dans toutes les forêts de la RDC.
Dans ce contexte, les femmes congolaises ont décidé d'agir afin d'améliorer leur environnement en se regroupant en associations. Plusieurs associations féminines travaillent sur la problématique de la gestion des déchets, de l'assainissement, de l'accès à l'eau, de la prise en compte des impacts du changement climatique dans les stratégies de développement.
L’Action Femmes du Bas Fleuve ‘’AFEBAF’’ a choisi de travailler dans la lutte contre la déforestation dans la province du Bas Congo.
L’approche utilisée par l’AFEBAF est la sensibilisation de la population en général avec un accent particulier porté auprès des femmes et jeunes filles. Elle tente de faire prendre conscience à la population qu'il y a un terrible problème de déforestation en RDC et particulièrement dans la province du Bas Congo. Cette prise de conscience, les femmes de l’AFEBAF l’ont elles-mêmes progressivement eu en observant les forêts ancestrales en train d’être détruites. Même les arbres fruitiers ne sont pas épargnés.
L’approche favorisant l’implication des populations locales a pour but de lutter contre la déforestation en les informant sur les méfaits contre l’environnement et d'aider au développement des communautés.
Lorsque la question du pourquoi de ces déboisements accrus d’hectares est posée à la population locale, la réponse est souvent c’est du ‘’vite-fait’’ ; ce qui signifie, on coupe les arbres on obtient directement l’argent.
L’AFEBAF essaie d’impliquer les femmes tout en leur montrant l'intérêt de la préservation des forêts et de la nature. Parmi les sujets abordés :
- la lutte contre la sécheresse et la désertification ; c’est un moyen efficace de lutte contre la pauvreté, de préservation des feux de forêt, d’évitement des inondations, des érosions, des chaleurs intenses ;
- la lutte contre la chute de rendements agricoles qui amène la malnutrition par manque de nourriture et d’approvisionnement en eau ;
- la prévention des menaces d’extinction des espèces et de migrations des personnes ;
- la préservation de la beauté des paysages du pays, avec les forêts, beauté qui peut attirer les touristes.
Un autre prisme d’intérêt est la vente des fruits qui conduit à l’autonomisation des femmes.
Dans le cas de la déforestation, la division du travail est installée : la femme est confinée à ramasser le charbon, à remplir des sacs de 20 kg qui coûtent 18000 FC, l’équivalent de 13 Euros ; les hommes vendent le charbon et parfois ne remettent aux femmes que l’équivalent de 3 Euros pour le travail fourni. Dans le cas contraire, si la femme fait la cueillette des mangues ou des oranges, c’est elle qui ira vendre ces fruits au marché et au moment où les revenus de l’ensemble de la famille s’améliorera, les femmes connaîtront des bénéfiques accrus.
L’AFEBAF, en partenariat avec les femmes du village, met en place la culture de pépinières des certaines arbres et plantes qui poussent facilement et qui ont des valeurs nutritives certaines. C’est le cas de l’Acajou et du Moringa.
Le Moringa est connu en RDC. C'est un arbuste épineux et sarmenteux à usages multiples particulièrement apprécié pour son fruit, son huile et ses tourteaux. Il est très efficace pour le nettoyage biologique de toutes les eaux stagnantes. Il peut être transformé en farine pour diverses utilisations alimentaires : pâte, gâteau, boissons, bouillie. La racine, l'écorce et les feuilles sont utilisées dans diverses préparations médicinales afin de soigner les hémorroïdes, diarrhées, vomissements, maux de ventre, plaies.
Petit à petit, les reboisements font place à la plantation de "bois de village". Cette participation devrait conduire à une rationalisation effective de l'utilisation des ressources naturelles, assurant le renouvellement des forêts.
Défis et opportunités
Les défis sont apparus comme de vrais obstacles à la lutte contre la déforestation. Il y a lieu d’imaginer combien de vastes hectares seront déboisés pour la production des braises, du bois de chauffe, du bois de construction et autres afin de réaliser combien les forêts de la RDC courent vers leur disparition.
Le plus grand défi est d’étendre cette sensibilisation à différentes zones rurales de la RDC, partout où les femmes sont privées d’information, et où l’infrastructure routière fait défaut. Nous aimerions aussi sensibiliser les communautés autochtones (Pygmées) mais le manque des moyens financiers exacerbe le défi.
Toutefois les défis des femmes ne sont pas des problèmes sans solutions car la lutte contre la déforestation à elle seule a créé de nouvelles opportunités. C’est le cas de ce colloque “Genre et Changement climatique’’ qui va nous permettre d’analyser, d’écouter les expériences et témoignages de terrain, d’initier de bonnes pratiques et d’approfondir des leçons apprises en matière de genre et politiques de lutte contre les changements climatiques dans les pays francophones, dont la République Démocratique du Congo occupe une place de choix.
Les femmes doivent être plus audacieuses et plus novatrices et tirer partie de toutes les opportunités qui se présentent à elles.
Perspectives
L’information sur le changement climatique doit être diffusée et atteindre toutes les parties concernées sans oublier les femmes à la base car celles-ci seront une source d’information pour continuer le processus de lutte contre la déforestation.
Le résultat sera spécialement bénéfique pour tous ceux qui travaillent dans le domaine des droits des femmes et de lutte contre le changement climatique.
Les organisations féminines doivent envoyer un message clair aux décideurs pour qu’ils incluent dans leur politique les questions de genre et changement climatique.
Les efforts internationaux effectués pendant des décennies doivent être maintenus et consolidés.
Nous souhaitons conclure notre communication en faisant les suggestions et recommandations suivantes :
- Informer la population sur les effets dévastateurs de l’environnement ;
- Renforcer les capacités des associations impliquées dans la lutte contre le changement climatique ;
- Mobiliser la population pour défendre leur environnement ;
- Coordonner l’appui des partenaires dans les domaines de la gestion forestière ;
- Mener le plaidoyer auprès des décideurs pour la mise en œuvre des textes et lois et aussi les pousser à participer à des campagnes à caractère international.
Pour conclure
La République Démocratique du Congo est un pays en situation de post-conflit. Elle sort d’une longue période de crise armée dont les conséquences négatives dans les différents domaines de la vie nationale, en particulier dans le domaine du changement climatique, restent présentes.
La déforestation se produit parce que la pauvreté et une série de politiques nationales et internationales ouvrent la voie. C'est à ce niveau que les solutions doivent être trouvées.
En améliorant les conditions de vie de la population et la prise en compte des impacts du changement climatique dans les stratégies de développement, nous irons vers un monde meilleur où les effets du changement climatique seront en partie neutralisés et où la malnutrition et la famine marqueront un recul.
Pour que la lutte contre la déforestation puisse avoir des effets positifs, la femme doit être impliquée et autonomisée. Lentement, mais sûrement les femmes contribuent à l’adaptation et à la lutte contre le changement climatique.
C’est pour cela que nous disons ‘’la reforestation, Un arbre, Une femme’’.
07/10/24 à 12h30 GMT