Malgré les campagnes de désinsectisation menées depuis plus de 10 ans dans de nombreux pays d'Amérique latine, les punaises du nom de Triatoma infestans, la principale espèce vectrice de la maladie de Chagas, réapparaissent aujourd'hui dans les villages de plusieurs régions. Les chercheurs de l'IRD et leurs partenaires boliviens viennent d'expliquer ce phénomène dans les Andes. Les habitations seraient recolonisées par des populations sauvages de Triatoma infestans. Celles-ci apparaissent très proches sur le plan génétique de leurs congénères domestiques et sont donc capables, comme ces dernières, de s'adapter aux hommes. De plus, de manière surprenante, elles peuvent en milieu naturel s'alimenter sur l'homme, lors de ses activités en extérieur (culture, élevage, bivouac). Ces punaises sauvages représentent ainsi un risque important de ré-émergence de la maladie, car une sur deux se révèle porteuse du parasite responsable de l'infection - un taux extrêmement élevé.
Depuis 10 ans, de vastes campagnes de fumigation dans les villages ont éliminé les punaises qui transmettent la maladie de Chagas dans de nombreux pays d'Amérique latine. Mais, dans plusieurs régions, ces insectes, dont ceux de la principale espèce vectrice appelée Triatoma infestans, persistent ou réapparaissent dans l'habitat humain. Comment expliquer ce phénomène ? Des chercheurs de l'IRD et leurs partenaires viennent de montrer que des populations de cette même espèce qui vivent d'ordinaire dans la nature recolonisent les zones péridomestiques.
Des punaises très répandues
L'étude menée en Bolivie, pays où le taux d'infestation et la prévalence ont été les plus élevés, révèle que ces populations sauvages sont beaucoup plus abondantes dans l'environnement que ce que l'on pensait. Les scientifiques ont passé en revue l'ensemble de la zone d'endémie historiquement touchée par la maladie. Ils ont mis au jour plus de 40 sites infestés et non identifiés jusqu'à présent, et parfois là où ils ne s'attendaient pas à découvrir les insectes sauvages : à proximité des villages, voire dans les habitations, ainsi que dans les basses terres de la région du Gran Chaco. Il y a encore peu ils pensaient que les populations naturelles de Triatoma infestans se cantonnaient à la vallée de Cochabamba, au centre du pays. Ces punaises sauvages occupent ainsi une niche écologique beaucoup plus large qu'initialement décrite.
Un risque de ré-émergence chez l'homme
L'analyse de l'ADN des individus sauvages collectés, comparé à celui des insectes domestiques, montre que les deux types de populations sont très proches génétiquement. Ceci résulte d'un échange de gènes entre elles, du fait du déplacement de ces insectes d'un milieu à l'autre. Les punaises sauvages semblent ainsi capables de s'adapter à l'habitat humain, à l'instar de leurs semblables domestiques. De plus, l'analyse de leur contenu stomacal révèle, de manière surprenante, qu'elles se nourrissent en milieu naturel, en partie, de sang humain. En effet, si les punaises trouvées à proximité des villages piquent en majorité de petits rongeurs, environ 20 % de leurs repas proviennent de l'homme.
Ces travaux soulignent également un taux d'infection des insectes extrêmement élevé. Les chercheurs ont analysé leur tube digestif pour détecter l'ADN du parasite Trypanosoma cruzi, responsable de la maladie. Résultat : une punaise sur deux est porteuse du pathogène. Ce qui laisse craindre un risque important de ré-émergence de la maladie chez l'homme.
L'étude lève le voile sur l'échec des actions de lutte contre la maladie de Chagas dans certaines régions d'Amérique latine. Reste à comprendre quels facteurs poussent les punaises sauvages à migrer vers les villages, pour définir les mesures que peuvent prendre les autorités sanitaires et les habitants pour se protéger de tout contact avec les vecteurs.
Bon à savoir
La maladie de Chagas, connue aussi sous le nom de trypanosomiase américaine, est endémique du sud des Etats-Unis au nord de l'Argentine. Transmise par des punaises, qui vivent en général dans les fentes des murs et des toits des habitations précaires en milieu rural ou suburbain, elle est potentiellement mortelle.
On estime que 8 à 10 millions de personnes dans le monde sont ainsi infectées par le parasite responsable de la maladie de Chagas, Trypanosoma cruzi. Les malades sont principalement contaminés par les déjections infectées des punaises laissées sur la peau ou sur les aliments.
Les personnes infectées de façon chronique peuvent présenter des troubles cardiaques, des troubles digestifs ou neurologiques, ce qui impose un traitement spécifique. La lutte antivectorielle reste la méthode la plus efficace pour prévenir la maladie.
Glossaire
Endémie : persistance d'une maladie dans une région ou une population donnée.
Niche écologique : définit l'habitat d'une espèce, c'est-à-dire l'ensemble des conditions du milieu et des ressources qui lui sont nécessaires.
Photos sur www.indigo.ird.fr
Contacts
Simone Frédérique Brenière, directrice de recherche à l'IRD
T. : 33 (0)4 67 41 64 47
Christian Barnabé, ingénieur de recherche à l'IRD
Philippe Bremond, Chargé de recherche à l'IRD
UMR INTERTRYP (IRD / CIRAD)
Rosio Buitrago, chercheur à l'UMSA
Partenaires
Institut National de Laboratoire de Santé (INLASA), Université Majeure de San Andrés (UMSA), Université Majeure de San Simón (UMSS), Ministère de la Santé et des Sports et Services Départementaux de Santé des départements de La Paz, Santa Cruz et Potosi en Bolivie. Ces recherches ont été financées par l'ANR, l'European Union Seventh program et l'IRD.
Références
Barnabé Christian, Buitrago R., Brémond Philippe, Aliaga C., Salas R., Vidaurre P., Herrera C., Cerqueira F., Bosseno Marie-France, Waleckx E., Brenière Simone Frédérique. Putative panmixia in restricted populations of Trypanosoma cruzi isolated from wild Triatoma infestans in Bolivia. Plos One, 2013, 8 (11), p. e82269. ISSN 1932-6203
Brenière Simone Frédérique, Salas R., Buitrago R., Brémond Philippe, Sosa V., Bosseno Marie-France, Waleckx E., Depickere S., Barnabé Christian. Wild populations of Triatoma infestans are highly connected to intra-peridomestic conspecific populations in the Bolivian Andes. Plos One, 2013, 8 (11), p. e80786. ISSN 1932-6203
Buitrago N. L. R., Bosseno Marie-France, Waleckx E., Brémond Philippe, Vidaurre P., Zoveda F., Brenière Simone Frédérique. Risk of transmission of Trypanosoma cruzi by wild Triatoma infestans (Hemiptera : Reduviidae) in Bolivia supported by the detection of human blood meals. Infection Genetics and Evolution, 2013, 19, p. 141-144. ISSN 1567-1348
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07/10/24 à 12h30 GMT