Par Mégane Ghorbani, Awid
Le 1er septembre 2014 marque le premier anniversaire de la création du poste d’Envoyé-e Spécial-e au Genre à la Banque Africaine de Développement[i] (BAD). L’AWID s’est entretenue avec Geraldine Fraser-Moleketi, première Envoyée Spéciale aux questions de genre au sein de la BAD afin d’en savoir plus sur les principaux objectifs et défis de la Banque en matière d’égalité entre les genres.
AWID : La division genre au sein de la BAD existe depuis 2010. Pourquoi avoir créé une unité spéciale au genre trois ans plus tard ?
Geraldine Fraser-Moleketi (GFM) : Durant l’une de nos grandes réunions du Fonds Africain de Développement, la nécessité d’avoir un-e envoyé-e spécial-e au genre a été évoquée puisque la diplomatie traditionnelle ne fonctionnait pas de la manière attendue. L’objectif de cette unité spéciale est né de la nécessité d’assurer le travail de la Banque Africaine de Développement sur le genre en le rendant plus visible. Deuxièmement, elle cherche à produire une plus grande et une meilleure coordination des portefeuilles de la Banque. Ainsi, nous cherchons à créer une plateforme de coordination actuellement, afin d’intégrer l’approche genre dans les opérations de la Banque tout en ciblant les ressources nécessaires pour cela. Troisièmement, nous travaillons sur le développement de priorités de référence pour le genre.
AWID : Quelles sont les enjeux principaux pour vous en tant qu’Envoyée Spéciale au Genre ?
GFM : Tout d’abord, je suis la porte-parole sur le genre de la Banque Africaine de Développement. Deuxièmement, je dois développer une plateforme de coordination. Troisièmement, on attend de moi un travail de plaidoyer envers les pays membres de la Banque. Quatrièmement, je prête également attention au travail interne de la Banque, à savoir comment la Banque est structurée, et j’essaie ainsi de contribuer au changement de la culture interne de la Banque. Enfin, je travaille sur des thématiques spécifiques au genre telles que les femmes dans les Etats fragiles ainsi que les femmes dans la gouvernance.
AWID : Un document d’orientation sur le genre a été élaboré en 2001. La stratégie genre 2014-2018 s’inscrit-elle dans la continuité de celui-ci ?
GFM : Il y avait en effet un document d’orientation sur le genre mais la première stratégie de genre a été adoptée le 21 janvier 2014. Nous avons travaillé sur la continuité entre cette stratégie et le document d’orientation. Il y a eu beaucoup de travail effectué car en plus de cette orientation sur le genre, il existait un plan d’action genre qui était essentiel à l’appréhension du travail de la Banque de manière externe. La stratégie externe se constitue ainsi de trois piliers dont le statut légal et les droits de propriété, l’autonomisation économique ainsi que la gestion du savoir et le renforcement de compétences des femmes. Mais nous avons également adopté une approche qui ne s’attache pas exclusivement au travail de plaidoyer externe. Je pense que la différence majeure se situe dans le fait que ce plan stratégique adopte un regard à la fois interne et externe, ce qui inclut un travail sur l’architecture interne de la banque.
La question majeure à laquelle il est crucial de répondre est la suivante : la Banque est-elle réellement un employeur de choix pour les femmes, c’est-à-dire un environnement qui maintienne les femmes ayant des enfants au travail afin de concilier sa carrière professionnelle au fait d’être une mère et une épouse ? Ces stratégies viennent notamment des leçons apprises et des expériences. Le plus important défi que j’observe est d’employer cette large approche afin d’avoir un impact sur des projets spécifiques de la Banque.
AWID : Quel processus a permis l’adoption de cette nouvelle stratégie?
GFM : La stratégie a inclut différentes personnes de la Banque et lorsque je suis arrivée, j’ai travaillé en collaboration avec les personnes qui avaient contribué à la première version de la stratégie. Mais cette première version n’incluait pas l’aspect interne. Nous avons alors constaté que cela pouvait devenir problématique. Nous avons également identifié des projets « phares » spécifiques car nous savions que nous travaillions dans un environnement où le genre n’était pas une priorité. Je n’irais pas jusqu’à dire que les questions de genre étaient perçues de manière hostile, mais elles n’étaient pas inscrites dans la culture organisationnelle. Ainsi, les consultations s’appuyaient principalement sur cet axe de stratégie.
AWID : L’une de vos stratégies internes consiste à augmenter le personnel féminin de la BAD. Quelle est votre cible et quelles sont les améliorations perceptibles en 2014 ?
GFM : Pour le moment, le Président a ciblé particulièrement les postes de direction dans leur ensemble. Actuellement, il y a 38% de femmes au sein de notre personnel, ce qui semble être un assez bon chiffre. Cependant, il est nécessaire de décomposer le type d’employé-e-s et d’observer le nombre de femmes à différents niveaux. Nous aimerions que les postes de direction soit composés d’un seuil minimum de 30% de femmes. En 2002, la cible évoquée par l’Union Africaine pour toutes les institutions africaines était de 50% de femmes aux postes de directions mais la BAD a encore beaucoup à faire avant d’atteindre cette cible.
Nous devons aussi regarder comment s’effectue le recrutement des femmes, en observant attentivement les listes de candidat-e-s et les listes de présélection. S’il y a des listes de présélection sans au moins deux femmes, cette liste doit être refaite. Nous travaillons sur cet aspect avec le département des ressources humaines. Nous analysons également les pratiques pour comprendre comment résoudre ce problème. Nous regardons également les approches et réfléchissons par conséquent aux possibilités pour la BAD pour devenir un environnement adapté aux enfants. Ceci répond notamment au besoin de garde d’enfants. En outre, nous réfléchissons à des salles d’allaitement pour nourrissons. Finalement, nous souhaitons changer l’environnement de la BAD.
AWID : Quels sont les défis pour mettre en œuvre vos stratégies de genre internes et externes ?
GFM : Le premier réside dans le changement de culture. Je pense que nous avons besoins que les gens changent de mode de pensée afin que l’approche genre devienne presque un réflexe, une lentille de vue pour les personnes qui s’engagent dans un projet. Cela ne doit pas être considéré comme un fléau mais plutôt comme un renouvellement des idées. Le second réside dans les ressources employées. Les ressources humaines et financières constituent ainsi une forte problématique.
AWID : Comment affrontez-vous ces défis?
GFM : Nous avons des discussions et cherchons également des moyens innovants pour instituer l’approche genre en intégrant le personnel et non exclusivement des spécialistes du genre. Nous avons également impulsé le concept de « champions » avec des champions du genre à travers la BAD. Nous souhaitons que ces champions interviennent dans les stratégies du personnel. De plus, nous avons mis en place des initiatives phares. En outre, nous prenons en compte des ressources non financières et agissons sur la reconnaissance des gens. Enfin, la Vice-Présidente évoque régulièrement les enjeux liés au genre au personnel, ce qui permet d’avoir un plus grand impact sur l’institutionnalisation du genre.
AWID : Y a-t-il un processus de suivi-évaluation en place ?
GFM : La Banque suit avec soin ses opérations et collecte les résultats en matière d’égalité des genres dans tous les secteurs opérationnels et au niveau des pays, de façon à mesurer les progrès dans le nombre de projets intégrant la dimension genre et les résultats en matière d’égalité des genres. Le cadre de résultats précise les activités, les résultats et les indicateurs de performance tout en recensant les résultats des projets au niveau des pays et dans les différents secteurs. Ces résultats sont consolidés pour tous les secteurs, afin de mesurer les progrès accomplis au niveau de chacun des trois piliers relatifs au genre.
La mise en œuvre est suivie à l’aide d’indicateurs ventilés par genre dans le cadre habituel de mesure des résultats de la Banque. Les indicateurs qui ne sont pas collectés régulièrement dans le Cadre de mesure des résultats seront recueillis durant les revues à mi-parcours (décembre 2016) et au terme de la période de mise en œuvre de la stratégie. Lorsque des données de référence ne sont pas disponibles, elles sont fournies par des études qui sont prévues dans le cadre de résultats. En outre, la Banque rend compte chaque année de la dimension genre de la qualité à l’entrée et des rapports sur les résultats en matière d’égalité entre les genres au stade de l’achèvement du projet/programme.
AWID : Quel est le type d’influence que vous souhaiteriez pouvoir exercer sur les acteurs-rices africain-e-s et internationaux ?
GFM : Je pense que nous ne devrions pas chercher une influence directe mais plutôt à voir l’influence de la BAD au sein de l’Union Africaine et les mises en œuvre qu’elles arrivent à exercer ensemble. Ainsi, l’établissement et le maintien de partenariats stratégiques à l’intérieur et à l’extérieur de l’Afrique est un des points fondamentaux pour garantir l’institutionnalisation des questions de genre dans les politiques de développement. A ce titre, les partenariats déjà existants sont consolidés et de nouveaux partenariats devraient s’intensifier à partir de 2015 dans les domaines du plaidoyer et du dialogue sur les politiques, de la gestion du savoir et de la communication, du renforcement de capacités, de la mobilisation de la société civile, du programme d’action à l’échelle de l’Afrique ainsi que du programme mondial pour l’égalité entre les genres.
AWID : Les ONG de femmes sont-elles inclues dans les projets de développement de la BAD ? Quelle est la proportion de bénéficiaires femmes par rapport aux hommes ? Y a-t-il des politiques particulières mises en place pour assurer une participation ainsi que des financements égaux entre les femmes et les hommes ?
GFM : Nous ne travaillons pas nécessairement avec des ONG de femmes bien qu’il y ait des projets avec la société civile dans la division genre afin d’assurer que nous atteignons un certain impact. A l’occasion du 50e anniversaire de la BAD en novembre 2014, nous aurons un index de genre qui permettra de rendre compte de l’égalité entre les sexes des bénéficiaires de la BAD. Il est également nécessaire d’assurer une approche genre dans les marchés dans le cadre de la stratégie de la BAD.
[i] Le groupe de la Banque Africaine de Développement est la première institution financière africaine. Fondée en 1964, elle est constituée de la Banque africaine de développement, le Fonds africain de développement et le Fonds spécial du Nigeria. Ses actionnaires sont composés de 53 pays africains (membres régionaux) et 25 pays européens (membres non régionaux). Son capital autorisé au 31 décembre 2013 est 66,98 milliards d'Unité de Compte. Sa mission est de promouvoir une croissance économique et une réduction de la pauvreté durables en Afrique.
[FMFFpouv]
09/12/24 à 11h08 GMT