D’ici 2050, le nombre d'habitants sur la planète devrait atteindre les 10 milliards, soit 2 milliards de personnes de plus qu’aujourd’hui. Comment nourrir tout le monde, et nourrir mieux ? Entretien avec Maxime de Rostolan, fondateur de l’association « Fermes d’Avenir », qui se bat pour un modèle de production agricole plus durable, celui de l’agroécologie.
Source majeure de la dégradation de sols sous l’effet des pressions croissantes et combinées de la production agricole et de l’élevage, l’actuel système agroalimentaire mondial fait débat. Production, formation, financement et lobbying, l’association « Fermes d’Avenir », qui rassemble aujourd’hui près de 700 membres en France, s’est engagée depuis 5 ans à promouvoir des valeurs, des pratiques et de nouveaux modes de production agricoles qui respectent la nature.
UNRIC : Qu’est-ce qu’une « Ferme d’Avenir » ?
Maxime de Rostolan : « Fermes d’Avenir » promeut l’agroécologie, ce sont des fermes qui travaillent avec la nature et non pas contre elle. Elles s’inspirent de la permaculture et l’idée c’est d’être beaucoup plus résilient, fertile et surtout beaucoup moins dépendant du pétrole. Ce sont des fermes généralement à taille humaine. Nous avons démarré avec des fermes qui faisaient du maraîchage et l’idée maintenant est de faire de la polyculture et de l’élevage sur des plus grandes surfaces. Les 700 fermes font partie d’un écosystème au sein duquel nous avons des échanges.
UNRIC : Qu’est-ce que la permaculture ?
Maxime de Rostolan : Il y a autant de définition de la permaculture qu’il y a de permaculteurs. Il s’agit d’une méthode de conception d’écosystèmes humains et équilibrés. C’est l’objectif de l’harmonie, d’être autonome sans ponctionner plus de ressources qu’il y en a. On peut faire de la permaculture en gérant son entreprise. On aimerait d’ailleurs que les politiques puissent faire également de la permaculture afin que les territoires qu’ils administrent deviennent des écosystèmes humains et équilibrés.
UNRIC : Pourquoi vous êtes-vous engagé dans ce secteur ?
Maxime de Rostolan : De fil en aiguille, grâce à mes expériences professionnelles, j’ai découvert le biomimétisme (innover en s’inspirant de la nature) puis la permaculture. On pense que la société va mal parce que, depuis trop longtemps, l’argent a pris une place prépondérante dans notre quotidien alors qu’il faut comptabiliser au moins deux autres capitaux : le capital naturel et le capital humain.
L’enjeu c’était, et c’est toujours de prouver que l’agriculture « naturelle », que l’agroécologie est plus viable, plus rentable, plus résiliente que l’agriculture chimique. L’agriculture chimique n’est pas rentable car elle est très subventionnée et surtout elle a externalisé tous ses impacts. Nous devons nous battre contre ça et l’on doit réussir à prouver qu’un modèle traditionnel agricole qui travaille avec la nature et qui a énormément d’impacts positifs pour la société se doit d’être encouragé et soutenu, même privilégié à l’avenir pour le bien-être des générations futures.
UNRIC : Quelles sont les plus grandes difficultés liées à la permaculture et à la mise en place de votre projet ?
Maxime de Rostolan : La permaculture n’est pas une recette miracle qui va faire que les tomates vont pousser deux fois plus vite. C’est simplement une agriculture qui travaille davantage avec les ressources locales et surtout qui est autonome. Si ce n’est pas une formule magique, il n’en demeure pas moins que c’est absolument nécessaire de voir ces fermes émerger. […] Il va falloir trouver les moyens de lobbying pour changer l’agriculture. Une de nos activités est de pousser l’Etat à considérer qu’il est de l’intérêt général de promouvoir ces fermes.
Les limites sont toujours les mêmes. Travailler avec la nature prend plus de temps et surtout il y a toujours un aspect financier quant à la transition d’un modèle industriel et chimique à un modèle agroécologique. En réalisant cette transition, il est certain que les agriculteurs ont moins de charges mais aussi moins de rendements, entre 15 à 30% de moins en fonction des cultures. Comme les produits sont vendus plus chers, ils s’y retrouvent et finalement, très peu d’agriculteurs décident de faire marche arrière. Il faut simplement trouver les structures financières pour accompagner cette transition afin de faire en sorte que les coûts ne soient pas à la seule charge des agriculteurs.
UNRIC : Pensez-vous que l’agroécologie puisse nourrir des centaines de milliers de personnes ?
Maxime de Rostolan : Elle le peut. « L’agroécologie n’est pas une solution, c’est la seule ». La phrase n’est pas de moi mais d’Olivier De Chutter, ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation (2008-2014). On peut le voir dès aujourd’hui, car l’agriculture chimique ne peut pas nourrir la planète. Quelque 18 000 enfants meurent de faim chaque jour dans le monde. On ne répond pas du tout aux objectifs, aux ambitions affichées de nourrir le monde. Si l’on continue à avoir une agriculture industrielle et chimique qui est sous perfusion du pétrole, on ira dans le mur. Le problème c’est qu’il nous faut aujourd’hui 15 calories d’énergie fossile pour faire 1 calorie alimentaire. C’est absolument indispensable de sortir de ce cercle vicieux et de proposer des alternatives.
UNRIC : Vous venez de sortir un documentaire, quel est son sujet ?
Maxime de Rostolan : Caméra au poing, la journaliste Hélène Médigue a suivi dans l’aventure « Fermes d’Avenir » pendant un an et en a fait un documentaire intitulé « On a 20 ans pour changer le monde ». Il ne montre pas en détails la permaculture mais plutôt comment des citoyens lambda peuvent ouvrir toutes les portes et essayer de faire bouger les choses. C’était important pour nous de montrer que l’on peut rassembler les citoyens sur des projets communs et en particulier autour de l’écosystème paysan. Il existe des alternatives et l’on peut tous agir pour enclencher la transition agricole en France.
Retrouver l'entretien sur le site de l'ONU (1078 hits)
09/12/24 à 11h08 GMT