En février 2022, lors d’une visite à Belfort, le président Emmanuel Macron annonçait « la renaissance du nucléaire français ». Dix-huit mois plus tard, les entreprises du secteur travaillent aussi pour que cette renaissance puisse permettre à la France de prendre le leadership de l’énergie nucléaire sur le Vieux continent.
« La France, par la stratégie dont elle se dote, fait le choix du progrès, de la confiance en la science et en la technologie, revendiquait le président français[1] en 2022 à Belfort. La France fait le choix du climat, en se donnant les moyens d’atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effets de serre, et d’être une des plus grandes nations à sortir de sa dépendance aux énergies fossiles. La France fait le choix de l’industrie et de l’emploi. » Et pour cela, elle réaffirme sa volonté de développer sa filière nucléaire, filière que certains regrettent d’avoir vu s’atrophier ces dernières années. Au point que la France, en plein crise énergétique au printemps 2022, avait dû importer de l’électricité. Une situation encore impensable il y a seulement dix ans.
Le nucléaire, 3000 entreprises en France
Si le parc nucléaire français a besoin d’être relancé, la filière sait qu’elle pourra compter un savoir-faire et une expertise que le monde regarde avec envi. Car en France, on sait y faire tant l’écosystème de la filière nucléaire[2] est vaste : il est constitué de très grands opérateurs comme EDF pour la production d’électricité, mais aussi d’acteurs moins connus du grand public, responsables de la fabrication des matériels, de la construction des installations, de l’enrichissement des combustibles, de leur recyclage, du contrôle de la fabrication… Les domaines sont très nombreux et s’appuient sur l’excellence opérationnelle de centaines d’entreprises. D’après les chiffres du Conseil national de l’industrie, cette filière regroupe ainsi 3000 entreprises dont 85% de PME-TPE, représente en France 220 000 emplois directs et indirects, et 47,5 milliards d’euros de chiffres d’affaires.
Dans la constellation d’entreprises et de sous-traitants qui font la réputation du génie nucléaire français, chaque maillon de la chaîne est important. C’est par exemple le cas du groupe Bertin Technologies, fabricant indépendant de systèmes et d’instruments de mesure, d’observation et de détection, dont EDF est client depuis longtemps. Selon Bruno Vallayer, président de Bertin Technologies, « nous visons à fournir à EDF et à la filière française une réponse de souveraineté à la problématique de la mesure du rayonnement nucléaire, qui est concomitante à la technologie de production d’électricité, car on ne fait pas de réacteur nucléaire si on n’est pas capable de mesurer précisément les rayonnements. Ce sont de petites valeurs, à l’échelle des montants nécessaires à la construction et au fonctionnement, mais ce sont des technologies critiques dans un domaine où la souveraineté n’est pas complètement assurée pour le moment, ce qui semble être pris de plus en plus au sérieux au sein des états-majors d’EDF ». Dans cet écosystème industriel très particulier, les entreprises françaises peuvent faire valoir des compétences très diverses, tel que SPIE Nucléaire qui dispose de trois départements spécialisés (électrique, tuyauterie-chaudronnerie et mécanique machines tournantes-robinetterie) ou encore le groupe Orano (logistique et ingénierie, démantèlement d’installations nucléaires et maintenance…). La filière française est donc armée, à tous les niveaux, pour exporter ses compétences. Et d’abord en Europe.
Le nucléaire européen, une énergie décarbonée
En Europe, les besoins en énergie – et la guerre en Ukraine a pu montrer les faiblesses du continent – sont devenus une enjeu stratégique : l’Union européenne ne retrouvera sa souveraineté énergétique qu’aux prix d’investissements à la fois dans les énergies renouvelables et dans l’énergie nucléaire. La décarbonation des économies, cruciale à l’horizon 2050, ne se fera qu’à cette double condition. Côté nucléaire, il existe aujourd’hui une grosse centaine de réacteurs répartis dans douze pays[3] (Belgique, Bulgarie, Espagne, Finlande, France, Hongrie, Pays-Bas, République Tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Suède), représentant 27,5% de la production d’électricité européenne. Sans compter les nouveaux projets de construction comme Lituanie ou en Pologne. Certains États, tels que la Belgique et la France, ont prévu de prolonger la vie de leurs centrales nucléaires civiles qui aurait dû s’arrêter entre 2025 et 2030, après 40 ans de bons et loyaux services.
La question de la prolongation de la vie des centrales est essentielle aujourd’hui, et très encadrée. Comme l’exploitation proprement dite des centrales, leur prolongation est affaire d’expertise, pour laquelle les entreprises françaises spécialisées exportent déjà leur savoir-faire. Mais elles pourraient sans nul doute encore gagner des parts de marché en Europe. En janvier dernier, auditionné par une commission de l’Assemblée nationale, Cédric Lewandowski[4], directeur exécutif d’EDF en charge du parc nucléaire et thermique, insistait sur la fiabilité du parc français et les enjeux en cours pour prolonger la vie des centrales, deux domaines qui sont autant d’arguments pour nos partenaires européens : « Il existe aujourd’hui un consensus scientifique, technique et économique sur le fait que notre parc est adapté pour aller à 60 ans et la question du passage à 80 ans induit de mener des travaux d’études, que nous avons engagés, notamment avec l’Electric Power Research Institute (EPRI), l’homologue américain du CEA. » Dans le sillage d’EDF, ce sont donc toutes les entreprises françaises du secteur – comme Bertin Technologies, Orano ou SPIE déjà citées – qui ont à gagner dans ce grand chantier de rénovation et de maintenance des centrales. Pour faire de la France le leader du nucléaire européen.
Selon Xavier Ursat[5], président Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (GIFEN) qui réunit plus de 400 entreprises françaises du secteur, l’industrie nucléaire tricolore a tout pour réussir le pari européen, à condition de bien coordonner les efforts de ses membres et de continuer de recruter les talents de demain : « Nous croyons fermement dans l'avenir de la filière nucléaire française, pour assurer l’indépendance énergétique de la France et de l’Europe. La filière du nucléaire a besoin de visibilité, et le discours du président Macron nous donne cette visibilité. Les entreprises françaises – des grands donneurs d'ordre aux PME-TPE – sont fortes, tant au plan national qu’international. » Avec la construction annoncée de six EPR 2e génération et la prolongation de certaines centrales – en France comme à l’étranger –, les chantiers sont nombreux.
Maîtriser la filière de A à Z
C’est Bruno Vallayer, le président de Bertin Technologies qui le rappelait encore récemment : « La France, avec EDF en chef de file, fait partie des rares pays à maitriser l’ensemble de la chaine de valeur nucléaire, de l’extraction de l’uranium à la construction et l’exploitation des centrales nucléaires, en passant par la maintenance, la gestion des déchets nucléaires et les technologies de sécurité associées. » En effet, l’industrie nucléaire ne concerne pas que la construction et l’exploitation des centrales, mais aussi leur démantèlement quand cela s’avère nécessaire. À ce niveau, EDF revendique également un savoir-faire qui peut également profiter à l’ensemble de la filière européenne. « L’industrie du démantèlement est particulière, car elle requiert des compétences spécifiques, comme elle fait appel à de l’innovation, a souligné Cédric Lewandowski devant la commission parlementaire. Nous avons d’ailleurs l’ambition de positionner notre groupe, qui a développé la filiale Cyclife, en tant que leader européen du démantèlement. De plus, nous sommes déjà présents dans un grand nombre de pays en Europe afin de proposer nos compétences. Une direction a été créée au sein de la société, dédiée à l’aval, déchets et démantèlement. » En Europe, seule l’industrie française couvre l’ensemble des besoins (construction, exploitation, prolongation et démantèlement) de la production d’énergie nucléaire. Elle a donc toutes les cartes en main pour réussir son pari et prendre le leadership du secteur en Europe.
[2] https://www.conseil-national-industrie.gouv.fr/comites-strategiques-de-filiere/la-filiere-nucleaire
[3] https://ue.delegfrance.org/le-nucleaire-aujourd-hui-en-europe
[4] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceindener/l16ceindener2223028_compte-rendu#
07/10/24 à 12h30 GMT