Dans ce texte, l'auteur expose sa vision de comptable sur l'industrie des gaz de schiste.
J'ai maintenant 60 ans. Je pratique et j'enseigne l'expertise comptable depuis plus de 37 ans. Malgré moi j'ai une tendance toute naturelle à apprécier les évènements de la vie en termes de profits et de pertes. La rationalité sous-jacente à cette forme d'analyse m'a d'ailleurs valu une certaine aisance et une certaine sérénité. En revanche, j'ai toujours été troublé par le discours de tous ces gens qui prétendent savoir ce qui est bon pour moi et qui tentent de me vendre leurs rêves en comptant sur la rhétorique plutôt que sur la logique comptable. Plus encore, le trouble devient anxiété lorsqu'il s'agit du discours de nos élus qui m'annoncent un nouveau " projet de société ". Dans ce cas, je sais que je pourrai difficilement y échapper et que l'erreur risque de me coûter cher. Je sais aussi que, faute d'imputabilité, l'erreur est probable et que si préjudice il y a, vu les temps de réaction, c'est à ma succession que bénéficiera la réparation.
Défier le bon sens de la population
Depuis que je connais les rudiments du calcul des profits et pertes, parmi tous ces projets de société mal ficelés financièrement qu'on a menés aux dépends du citoyen-contribuable que je suis, les fusions municipales forcées et l'exploitation des gaz de schiste m'ont particulièrement interpellé. Dans ces deux cas l'État s'est entêté à défier le bon sens d'une population qui, au contraire de ce qu'on tentait de lui faire miroiter, voyait dans ces projets un risque majeur de perte de richesse collective et un recul de ses droits.
On se rappellera que le projet de loi sur les fusions municipales, adopté à l'origine il y a un peu plus de 10 ans, avait semé l'inquiétude au point où des dizaines de milliers de citoyens à têtes blanches étaient descendus dans la rue convaincus qu'ils étaient qu'en les éloignant du pouvoir municipal on réduirait leur contrôle sur les dépenses publiques et qu'on alourdirait leur fardeau fiscal. On sait maintenant que l'inquiétude était fondée.
Un projet mal chiffré plutôt que mal vendu
Aujourd'hui, c'est contre l'exploration et l'exploitation des gaz de schiste dans les zones densément peuplées du Québec que les voix s'élèvent. Malgré les innombrables représentations qui ont été faites au cours des derniers mois auprès de nos autorités gouvernementales par des groupes de citoyens de toutes origines et, la plupart du temps, sans moyens financiers, nos gouvernants persistent à croire que la résistance à la transformation de nos campagnes en champs gaziers tient à la qualité du message des promoteurs. Pour ma part, en toute rationalité comptable, je suis convaincu que cette résistance tient davantage à un projet mal chiffré qu'à un projet mal vendu ou mal compris. En conséquence, ce que plusieurs soupçonnent, à défaut de démonstration crédible du contraire, c'est qu'il pourrait s'agir là d'une aventure qui permettrait d'opérer un phénoménal transfert de richesse des gens qui vivent dans les vallées du Richelieu et du Saint-Laurent de même que de l'ensemble des citoyens du Québec qui profitent de ces lieux de prédilection vers un petit groupe d'actionnaires de sociétés gazières et pétrolières, pour la plupart étrangères.
Si l'État souhaite sincèrement redresser la perception de ses citoyens il devra faire ses devoirs comptables et plutôt que de s'en prendre à ceux et celles qui défendent leur environnement, qu'il prenne le crayon et établisse exhaustivement, en toute indépendance, expertises sérieuses à l'appui et, du point de vue du citoyen, tous les revenus et tous les coûts qui sont associés à cette opération gaz de schiste.
Par Jacques Fortin, Professeur en sciences comptables, HEC Montréal
avec la collaboration de Pierre Batellier, Coordonnateur au développement durable, HEC Montréal
Mots-clés : gaz de schiste, exploration, exploitation, redevances, Québec (province de).
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