Une passion partagée pour le Nord, un partenariat fécond avec l'État et un réseautage mondial ont permis au premier regroupement officiel de chercheurs de l'Université de se maintenir et de se développer.
Le Centre d'études nordiques a 50 ans. Cet anniversaire est un jalon
important pour les générations de chercheurs qui s'y sont succédé, mais
aussi pour toute l'Université Laval puisqu'il marque la création du
premier regroupement officiel de chercheurs de l'institution. Pour
célébrer cet anniversaire et mesurer l'importance du chemin parcouru,
les organisateurs du colloque annuel du centre, qui avait lieu les 9 et
10 février sur le campus, ont invité le fondateur du CEN et professeur
retraité du Département de géographie, Louis-Edmond Hamelin, à raconter
les événements qui ont conduit à la naissance de ce regroupement de
passionnés du Nord.
Dans les années d'après-guerre,
l'Université Laval se définissait essentiellement comme un lieu de
transmission de connaissances, centré sur la formation des personnes. Il
se trouvait bien des professeurs désireux de repousser les frontières
du savoir, mais ils menaient leurs travaux hors des cadres officiels qui
régissent aujourd'hui la recherche. C'était le cas des professeurs
associés à l'Institut d'histoire et de géographie, dont faisait partie
le professeur Hamelin. "À cette époque, la recherche n'était pas encore
valorisée parmi le corps professoral, se rappelle-t-il. Elle était même
ridiculisée par certains. Un professeur universitaire devait transmettre
des connaissances, pas ajouter au savoir existant."
Dès
1952, des membres de cet institut menaient annuellement des expéditions
de recherche dans les régions nordiques du Québec, un vaste territoire
regorgeant de richesses naturelles non exploitées qui suscitaient la
convoitise. En 1955, Louis-Edmond Hamelin présente au gouvernement du
Québec un mémoire demandant la création d'une station nordique dans
l'Ungava. Interrogé à ce sujet par un député de l'opposition, le premier
ministre Maurice Duplessis répond que, sans dire qu'il ne serait pas
opportun de créer un tel centre de recherche, il ne lui semblait pas
justifié d'y affecter des crédits pour le moment. La réponse ne déçoit
pas Louis-Edmond Hamelin outre mesure. "J'étais quand même heureux de
voir que le projet que j'avais développé faisait l'objet de discussions à
l'Assemblée nationale du Québec."
Lévesque embarque
Les
années passent, Duplessis meurt, le Parti libéral de Jean Lesage prend
le pouvoir en juin 1960 et René Lévesque devient ministre des Ressources
naturelles. Le professeur Hamelin revient à la charge en décembre 1960
avec un deuxième mémoire demandant la création d'un centre de recherche
sur le Nord. Le recteur Louis-Albert Vachon présente lui-même ce mémoire
au ministre Lévesque. Par la suite, Louis-Edmond Hamelin accompagne le
ministre dans un voyage de reconnaissance territoriale du Nord du
Québec. "René Lévesque était un homme pragmatique. Il m'a assuré de son
appui au projet, mais il a été très clair, il fallait que ce centre
donne quelque chose au Québec de son vivant!", se rappelle-t-il.
Pendant
ce temps, le professeur Hamelin entreprend des démarches pour faire
reconnaître ce futur centre par l'Université; le Conseil universitaire
donne finalement son aval au projet. Selon l'historien Jean Hamelin,
cette décision a alors valeur de symbole. Au début des années 1960,
"d'autres centres de recherche existent déjà, mais celui-ci présente des
caractéristiques nouvelles: il est une création du Conseil de
l'Université... il jouit d'un financement spécial de l'Université qui,
de la sorte, marque son intention de privilégier ce champ de recherche.
C'est le début de ce qu'on appelle la recherche institutionnelle."
Le
2 août 1961, sur proposition du premier ministre Jean Lesage, le CEN
est créé par arrêt ministériel. Le texte de l'arrêté, qui constitue
l'acte de naissance du centre, a été rédigé par Louis-Edmond Hamelin et
par le chef de cabinet de René Lévesque, Pierre-F. Côté. Le document
s'inscrit résolument dans la foulée de la Révolution tranquille et
laisse présager l'importance qu'accordera le gouvernement du Québec au
développement du Nord dans les années qui suivront. "Une présence
scientifique officielle et d'expression française est nécessaire sur ces
territoires formant 70 % de la superficie de toute la province", y
lit-on.
L'arrêté ministériel énonce aussi les grands
principes du centre qui allait être créé: l'indépendance du chercheur
universitaire, la multidisciplinarité et la collaboration entre
établissements universitaires. "En plus, nous avions obtenu 400 000 $
pour commencer nos activités. C'est peu par rapport aux moyens actuels
du CEN, mais la graine de la nordicité était semée. Les débuts du centre
ont été modestes, mais avant de grandir, il fallait d'abord naître."
Sur ces mots, l'auditoire, composé essentiellement de personnes qui
n'étaient pas nées en 1961, s'est spontanément levé pour offrir une
longue ovation au fondateur du CEN.
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