Par Sylvie Woods,
Ex-candidate du Parti vert du Québec, et membre de plusieurs organisations environnementales
Mots-clés : société de consommation, croissance économique, épuisement des ressources naturelles, automobile électrique, automobile hybride, terres rares.
Voilà près d'un demi-siècle que la société de consommation et la croissance économique ont nourrit l'imaginaire de l'homo economicus, dont les valeurs sont en rupture avec celles des communautés précédentes. Notre mode de vie, reposant sur de nombreuses innovations technologiques et l'exploitation intensive des ressources naturelles, a donné lieu à une conception étroite et abstraite du monde réduite à la dimension économique. Cette lentille déformante occulte tous les autres aspects de la vie jusqu'à les mettre en péril.
En ce tournant du XXIe siècle, une inquiétude bien légitime surgit devant la rareté et l'épuisement des ressources naturelles qui se confirment, du pic pétrolier incontestable et de la croissance incontrôlable des gaz à effet de serre (GES) au Québec. Devant l'impératif de trouver une avenue de rechange pour nos modes de transport, responsables de 43 % des émissions de GES, voici que la solution de remplacement de l'automobile à essence par l'auto électrique ou hybride gagne tous les esprits. Aujourd'hui, la solution technologique nous est présentée dans tous les formats : reportage, publicité, chronique sur " l'auto verte", cahier spécial dans les quotidiens, etc.
Il semble que la substitution de l'auto électrique/hybride apparaît pour plusieurs comme la voie royale pour se défaire de la dépendance au pétrole et réduire les émissions de GES. Cependant, cette substitution d'une d'énergie par une autre, lorsque considérée sous l'angle du développement durable, vise plutôt la pérennité du système économique actuel. Celui-là même qui est responsable du réchauffement climatique et de la destruction de nos écosystèmes, menaçant l'habitabilité de notre planète avec ses réfugiés climatiques. La quête de la croissance continue ne s'est poursuivie qu'en faisant abstraction du capital naturel et de l'ensemble des ressources naturelles composant le cycle de vie des objets que nous consommons. La même logique économique poursuit sa course folle contre la montre en souhaitant de tout ses voeux que la production d'automobiles électriques/hybrides de masse nous épargnera les impacts écologiques du réchauffement climatique. Comme ceux qu'ont vécus cet hiver les australiens de la ville de Brisbane, dont les utilitaires sport et autres motorisés flottaient comme des épaves sur les eaux inondant la capitale du Queensland.
Cycle de vie de l'auto électrique/hybride
Le souhait de rouler en "auto verte", même s'il se revêt de motivations environnementales, occulte toute réflexion sur le cycle de vie. Lorsque l'on s'intéresse quelque peu aux enjeux sociaux, écologiques et économiques que soulèvent immanquablement la construction massive d'automobiles électriques/hybrides, il est déconcertant de constater à quel point cette solution fait abstraction totale de la dimension du capital naturel. Il n'est pas étonnant que l'écart technologique en soit tout autant minimisé. En s'accrochant en vain à une technologie "verte" salvatrice, on passe facilement sous silence les conclusions du rapport Syrota qui en a souligné les écueils : " L'écart de rendement entre un moteur électrique et un moteur thermique (80 % - 65 % en tenant compte du rendement des opérations de charge-décharge des batteries - contre 25 %) est insuffisant pour donner aux véhicules électriques des autonomies comparables aux véhicules thermiques." [1] La substitution à grande échelle d'un moteur électrique avec une batterie au lithium-ion au moteur thermique fonctionnant au pétrole, est cependant présentée par ses promoteurs comme tout à fait réalisable à court terme.
Alors que pour plusieurs experts dans le domaine énergétique, la production mondiale de masse de l'auto électrique reste un leurre. Comme l'affirmait récemment M. Pineault :" Bien qu'effectivement, un parc automobile électrique diminuerait les émissions de GES, cela ne réglerait en rien tous les autres problèmes liés à l'usage actuel de l'automobile: l'étalement urbain, le coût des infrastructures, la congestion routière et les accidents de la route. De plus en plus de personnes réalisent que pour réduire notre empreinte écologique, c'est la ville elle-même qu'il faut repenser: plus compact, avec des services de transports collectifs efficaces. Dans ces villes renouvelées, l'automobile aura une place bien moindre." [2]
Que nous auras donc appris l'expérience de l'épuisement du pétrole? Comme si cette situation ne pouvait pas se reproduire pour le lithium-ion, que l'on compte parmi les métaux provenant des terres rares [3]. Faut-il rappeler que le Québec a déjà connu la fermeture de mines dont les gisements ont été épuisés, comme la mine de cuivre de Louvicourt dans la région de l'Abitibi, en 2005? [4]
Course aux métaux des terres rares et monopole chinois
Jusqu'à récemment, le phénomène des terres rares n'apparaissait pas aussi crucial qu'il l'est aujourd'hui, surtout pour les États-Unis et le Japon. Depuis deux décennies, plusieurs innovations technologiques ont été réalisées grâce à ces métaux telles que : la catalyse pour le raffinage du pétrole en essence, les lasers de guidage pour des applications militaires, la radiographie médicale, la catalyse automobile au cérium pour éliminer les particules diesel, le polissage des écrans plats, en particulier le terbium utilisé dans les ampoules fluocompactes ainsi que les écrans plats plasma[5]. Christian Hocquard, économiste au Bureau de recherches géologiques et minières, rappelle que les moteurs électriques à base d'aimants permanents sont aussi fabriqués à partir de néodyme (terbium-dysprosium) pour les fins des voitures électriques/hybrides.[6]
Actuellement 97 % de la production des sites miniers pour ces métaux précieux se trouve en Chine. Principal producteur depuis 1987 et exportateur de métaux provenant des terres rares, la Chine détient entre 40 % et 50 % des réserves mondiales [7]. Pendant plus d'une décennie, elle a exporté à bas prix ces métaux en assumant l'impact environnemental très destructeur de cette exploitation. Soudainement, depuis 2003, elle a réduit ses exportations mondiales de 40 % et en 2010, au grand dam des pays importateurs, ce quota sera réduit à 70 % [8]. Ce faisant, la Chine acquiert un monopole sur les composantes essentielles à la construction d'automobiles électriques/hybrides et autres produits technologiques de grande consommation. S'appuyant sur son contrôle monopolistique, elle a annoncé qu'elle exigera que les entreprises voulant bénéficier des métaux provenant de ses terres rares soient relocalisées sur son territoire. Désormais, elle conservera ses ressources pour favoriser sa consommation intérieure. En 2010, la production de ces métaux par la Chine était de 120,000 tonnes annuellement. Hocquart anticipe que la demande doublera d'ici 2014 et se situera entre 170 000 et 190 000 tonnes, soit une croissance annuelle de 8 % à 11 %, sans compter de nouvelles technologies [9]. Afin de se prémunir contre la rareté des ressources provenant des terres rares, les pays développés compte sur l'accélération des mises en production de mines dans les pays où la ressource est présente, mais en quantité beaucoup moindre que la Chine (Australie, Vietnam, Canada, État-Unis,).
En 2010, il n'y avait que 10 projets "avancés" à l'extérieur de la Chine. À part Molycorps aux Etats-Unis, aucun site ne pourra être en production avant 2015 [10]. Dans ce contexte, la sécurité d'approvisionnement pour les pays importateurs n'est plus assurée et les projets de production mondiale d'autos électriques/hybrides apparaissent maintenant relever de la pensée magique. C'est peut-être pourquoi plusieurs analystes du marché automobile évaluent que la production mondiale de voitures électriques/hybrides sera seulement de 5 % d'ici 2020 environ. L'automobile fonctionnant à l'essence continuera a dominé le marché à 95 %, selon eux [11]. Autre obstacle d'envergure, on estime qu'une filière minière de terres rares ne peut être mise en production que sur une période de 15 ans. La mise en production de ces sites miniers demandent un investissement financier énorme et impliquent des coûts environnementaux que les pays développés avaient jusqu'à maintenant relégués à la Chine. Il faut souligner que le procédé utilisé pour extraire les éléments chimiques des terres rares et en faire des métaux est extrêmement polluant et requiert une consommation d'énergie importante [12]. De plus, ces métaux ne sont pas substituables.
Le Québec et son Plan Nord dans la mire de la Chine
Sur le site du ministère des Ressources naturelles et de la Faune on peut prendre connaissance des sites potentiels de lithium qui ont été cartographiés pour le Québec : à l'est du lac Mistassini, situé à l'intérieur de laréserve des Lacs-Albanel-Mistassini-et-Waconichi (au nord de Chibougamau), à Eastmain, au sud du réservoir Opinaca et également dans la région de Pontiac au Témiscamingue, autour de Preissac en Abitibi. Une compagnie ontarienne, Canada Lithium, recherche des investisseurs pour exploiter une mine à ciel ouvert à la Corne en Abitibi à 35 kilomètres au nord de Val d'Or, à la fin de 2012 [13]. Un deuxième Malartic, mais avec en prime une exploitation qui s'apparente par le procédé de transformation au gaz de schiste !
Et pour finir, s'ajoute une entreprise ayant pignon sur rue à Québec, Nemaska Exploration, qui "est convaincue d'avoir trouvé l'un des plus importants dépôts au monde à la Baie James avec quelque 26 millions de tonnes de minerai enfouies dans le sol avec le gisement Whabouchi au Nord de Chibougameau" [14]. L'entreprise minière s'est associée un actionnaire chinois qui compte s'approprier jusqu'à 25 % de participation au projet et " envisage de construire au Québec une usine de transformation du lithium pour alimenter le marché mondial de la fabrication de piles pour les véhicules électriques et hybrides. En incluant la mise en exploitation d'une mine à ciel ouvert sur la propriété Whabouchi, située à la baie James, et la construction d'une installation adjacente à la mine pour fabriquer les concentrés de spodumène permettant ensuite de produire du carbonate de lithium, l'implantation au Québec d'une usine de transformation du lithium représenterait un investissement de l'ordre de 200 millions $." relate le journal Le Soleil [15].
Gardons-nous de voir dans cette exploitation minière un indice de prospérité pour le Québec. Récemment, Harvey Mead [16], faisait état de l'appauvrissement collectif et de la perte de qualité de vie des Québécois en regard de l'exploitation étrangère et de l'exportation de nos ressources minières. Une conclusion étayée dans l'élaboration d'un indice de progrès véritable pour le Québec et ses diverses activités économiques. L'ancien commissaire au développement durable soulevait que les pays exportateurs de ressources naturelles, comme le Québec pour ses minéraux, contribuent à l'épuisement du capital naturel en permettant leur exploitation par des entreprises étrangères. À titre d'exemple, Christian Hocquart [17], rappelle aussi que la Chine, pour assurer sa croissance, s'approprie actuellement les sites miniers des pays africains profitant du "déficit de gouvernance" qui y règne. Dans cette course des entreprises minières pour s'approprier les gisements de terres rares, on peut conclure que le Québec s'apparente aussi aux anciennes colonies (ou au Tiers-Monde) avec sa piètre Loi sur les mines issue du début du siècle. En ce début de XXIe siècle, des réalités qui nous semblaient à mille lieux l'une de l'autre deviennent indissociables [18]. Qu'on le veuille ou non, la mobilité durable devra être abordée du point de vue de l'épuisement des ressources naturelles, du réchauffement climatique et de nouveaux indicateurs économiques tels que l'indice de progrès véritable et de l'empreinte écologique. La croissance économique et ses mirages technologiques, considérés sous l'angle du développement durable, nous oblige à revoir le mauvais usage que nous faisons des ressources rares. La consommation de biens de peu de valeur au niveau de leur utilité sociale (écran plasma, MP3, 4X4 électriques et autres gadgets électroniques) n'est pas soutenable et trouve sa source dans la dépréciation de nos ressources naturelles. Inéluctablement, la rareté des métaux stratégiques orientera nos choix sociaux en matière de transport vers une hiérarchisation de nos besoins, plus adaptés aux contraintes environnementales. L'électrification des transports collectifs nous apparaîtra d'autant plus prioritaire et essentielle.
Sources :
[2] Pierre-Olivier Pineault, "L'illusion électrique", Cyberpresse, 21 janvier 2011.
[3] On appelle terres rares 17 minerais qui entrent dans la composition d'une quantité importante de produits de haute technologie : scandium, yttrium, cérium, lanthanide, praséodyme, néodyme, prométhéum, samarium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium, holmium, erbium, thulium, ytterbium, lutécium. Ils sont utilisés notamment en automobile, en aviation, dans les téléphones cellulaires, les piles et les éoliennes. La Chine produit actuellement 97 % des terres rares de la planète, mais ne détient que le tiers des réserves mondiales. Les terres rares sont abondantes dans la nature, mais il est difficile de trouver des concentrations suffisantes pour en faire des mines rentables. L'exploitation est coûteuse et souvent associée à des matériaux radioactifs."Le Québec, solution à la pénurie de terres rares?", 24 octobre 2010, Radio-Canada. [En ligne].
[4] Harvey Mead, Faire des mines une véritable source de richesse collective. Gaïa Presse, 22 juin 2010.Voir aussi l'ensemble des travaux de M. Mead sur l'élaboration d' un Indice de progrès véritable sur le site de Nature Québec sous la rubrique Économie écologique. [En ligne]. Site de Nature Québec
[5] Victor Roux-Goeken. Entrevue avec Christian, Hocquart. "Terres rares : un paradoxe entre le procédé d'obtention polluant et leurs applications environnementales", Site Internet Actu-Environnement, le 2 juin 2010. [En ligne].
[6] Ibid.
[7] Olivier Zajec. "Comment la Chine a gagné la bataille des métaux stratégiques", Le Monde diplomatique, novembre 2010, p.14-15.
[8] Ibid. p.15.
[9] Christian Hocquart, "Rare Earths. The Mideast had oil, but China had Rare Earths elements, Deng Xioping", Géosciences pour une terre durable, Bruxelles, 20 mai 2010, 85 p. p.68. [En ligne].
[10] Ibid. p.27
[11] "Rebond spectaculaire de l'auto en 2010". " Le cabinet PwC prévoit d'autre part que la production mondiale de véhicules électriques se situera en 2020 dans une fourchette entre 760 000 et 2,4 millions d'unités selon les scénarios. En 2016, PwC estime que la part de l'électrique représentera 1 % de la production automobile mondiale, pour 4 % de véhicules à motorisation hybride, et encore 95% de véhicules avec un moteur thermique traditionnel. Cyberpresse, 25 septembre 2010. [En ligne].
[12] Le processus consiste à séparer et purifier les éléments chimiques à l'aide de solvant et pour certains éléments on recourt à l'acide. Les terres rares lourdes émettent aussi de la radioactivité. Christian Hocquard, "Rare Earths". Op.cit., p.30.
[13] "La ruée vers le lithium. Canada Lithium espère éventuellement extraire du lithium du sous-sol abitibien", Radio-Canada régional, 28 août 2010.
[14] Laetitia Deconinck . "Trouver le Klondike à Whabouchi", Le Soleil, 19 janvier 2011.
[15] Laetitia Deconinck. "Transformation du lithium: nouvelle usine au Québec", Le Soleil, 19 janvier 2011.
[16] Harvey Mead, "Faire des mines une véritable source de richesse collective". Gaia Presse, 22 juin 2010.
[17] Hocquart, Christian. Réunion des sciences de la Terre. "Le nouvel âge d'or des métaux, vers un Supercycle. Quelles ressources pour l'avenir", Congrès à Nancy, 23-24 avril 2008, 42 pages, p.41. [En ligne].
[18] Philippe Bihouix, Benoît de Guillebon. Quel futur pour les métaux ? Raréfaction des métaux. EDP sciences, Essonne, Collection : Science des matériaux, 2010, 299 pages.
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