Par Serge Harvey,
Directeur général de l'Agence de développement des communautés forestières ilnu et jeannoise
Mots-clés: écosystème, développement intégré, forêt, conservation, nouveau régim, certification
L'industrie forestière connaît depuis plusieurs années des bouleversements très importants, qui ont remis en question nos façons de concevoir nos rapports avec le milieu naturel. Les modes d'exploitation traditionnels ont montré leurs limites et leurs effets pervers.
Dix ans après l'Erreur Boréale de Richard Desjardins et de Robert Monderie, les régions forestières vivent une incertitude permanente face au déclin démographique, aux perspectives d'emploi incertaines et aux interrogations de tous types sur l'avenir de notre forêt. Par ailleurs, les Premières Nations tiennent à s'impliquer étroitement dans la réflexion sur l'utilisation du milieu forestier afin d'assurer la pérennité de leurs activités traditionnelles et du développement économique. D'autres groupes d'utilisateurs font aussi valoir leur intérêt, dans un contexte de diversification des activités.
Finalement, le nouveau régime qui sera mis en place par le ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec (MRNF) remet en cause la mainmise de l'entreprise privée sur la forêt québecoise et laisse une place de plus en plus grande aux communautés et aux utilisateurs locaux.
Parmi les principes que le ministère s'engage à mettre en application figure l'aménagement écosystémique, soit un aménagement durable permettant de considérer la forêt comme un milieu naturel composé d'un ensemble d'êtres vivants et de constituants non vivants. La forêt n'est plus considérée simplement comme une source de matière ligneuse ou un lieu pour pratiquer la chasse et la pêche, mais bien un système écologique complexe à protéger et offrant des possibilités infinies.
Nous en sommes donc à un moment-clé de la réflexion et de la recherche sur notre plus grande ressource naturelle, la forêt québecoise.
Les participants à la " Conférence sur l'avenir de la forêt québécoise : conservation ou exploitation ? "
Le 3 février dernier avait lieu une table ronde sur l'avenir de nos forêts, organisée conjointement par la Chaire publique ÆLIÉS, la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique de l'Université Laval, l'Institut Hydro-Québec en environnement, développement et société de l'Université Laval avec l'appui du ministère des Ressources naturelles et de la Faune.
Cette conférence inaugurait les activités de l'année internationale des forêts à l'Université Laval et se tenait à l'amphithéâtre Hydro-Québec du Pavillon Alphonse-Desjardins.
Y participaient:
Monsieur Jetté a tout d'abord abordé le volet législatif et les orientations gouvernementales, expliquant l'approche écosystémique et la façon dont le gouvernement entend l'implanter. Monsieur Beauregard a ensuite fait état de l'importance encore très grande de la forêt dans le paysage économique québecois et canadien, s'attardant notamment à corriger les perceptions que la forêt n'est plus un moteur significatif de développement et de création de richesse.
Monsieur Harvey a enchaîné sur l'expérience de la Forêt Modèle du Lac-Saint-Jean, une des trois de ce type au Québec. Cet instrument collectif de développement des communautés forestières applique déjà de nouveaux modèles de recherche et d'expérimentation sur les utilisations durables de la forêt et la résilience des communautés dépendant de la forêt pour leur survie.
Finalement, monsieur Boursier a expliqué les avantages de la certification pour tout développement de nouveaux produits ou la diversification des clientèles, puisqu'elle est en train de devenir incontournable, notamment sur les marchés européens et asiatiques.
Les pistes de réflexion
À la suite de ces présentations, une période d'échanges avec le public a eu lieu. Les questions ont porté notamment sur le cadre législatif, à savoir en quoi le nouveau régime forestier avait le potentiel de changer le contexte de manière importante. Confier aux collectivités locales la gestion d'au moins une partie significative de leur parterre forestier devrait normalement diversifier les approches au développement et on peut présumer que l'importance cruciale d'un développement durable pour assurer une survie à long terme des petites collectivités forcera celles-ci à être beaucoup plus créatives dans leurs projets.
L'expérience des forêts modèles peut constituer une piste intéressante à ce titre, puisqu'elles s'intéressent essentiellement aux développements intégrés et durables de l'ensemble des ressources de la forêt pour une consolidation des moyens d'existence des communautés forestières. La coopération, le partage, le respect des différentes catégories d'utilisateurs sont au coeur de cette approche, et l'implication des communautés autochtones ouvre tout un champ nouveau de réflexion sur les utilisations de la forêt. Cela se traduit aussi par le développement d'une expertise collective qui permet à tous les intervenants de prendre conscience des impacts de leurs actions sur l'écosystème et les autres catégories d'utilisateurs, tout en leur permettant de savoir où se trouvent les ressources spécialisées dont ils pourraient avoir besoin pour différents projets.
On s'est aussi interrogé sur les secteurs à privilégier dans les nouvelles initiatives de développement, certains rappelant que quelques-unes des pistes identifiées jusqu'ici, notamment les nanotechnologies, les produits non-ligneux comme les champignons forestiers comestibles ou le sirop de bouleau, ne pourraient jamais générer assez d'emplois pour remplacer ceux perdus à cause du repositionnement de l'industrie en général.
Sans diminuer l'importance des initiatives à impact économique plus réduit, qui donnent aux communautés confiance en leurs moyens et peuvent générer plus d'entreprenariat, on constate que l'industrie forestière dans son ensemble devra se tourner vers des méthodes d'exploitation de la forêt plus inventives, laissant place au renouvellement de la ressource tout autant qu'au développement de produits à valeur ajoutée.
Le papier journal et le bois d'oeuvre resteront encore pour un certain temps des générateurs d'emploi, mais ils seront remplacés à plus ou moins longue échéance par de nouveaux produits plus diversifiés et ayant une chaîne de valeur améliorée.
Au sujet de la certification, on note que les initiatives en ce sens ne peuvent que faciliter les initiatives de conservation, surtout si on les met en conjonction avec l'approche écosystémique. Pour vendre un produit de la forêt sur une gamme de plus en plus grande de marchés, il faut que celui-ci soit certifié FSC ou autre. Comme le dit le site web de Rainforest Alliance, " La petite grenouille verte, c'est l'assurance que les biens et les services sont produits de manière durable respectant des critères sociaux, économiques et environnementaux stricts... " Et ça, c'est primordial pour une partie de plus en plus grande des consommateurs mondiaux.
Concilier exploitation et conservation
En réponse aux questions soulevées sur la possible dichotomie entre conservation et exploitation, le conférenciers ont trouvé un concensus : le nouveau paradigme d'exploitation de la forêt, issu tant des préoccupations environnementales maintenant presque généralisées que des pratiques que favorisera le nouveau régime forestier, permettra tout à la fois une conservation du milieu forestier et sa conservation pour les générations futures. On n'en est donc plus maintenant devant un choix douloureux, soit d'exploiter la forêt et par là la détruire, ou de la conserver sans en tirer tout le potentiel de développement et de sécurisation économique possible. Exploiter la forêt de manière responsable, tout en assurant sa régénération et en permettant aux générations futures d'en profiter tant du point de vue économique que sportif, traditionnel ou culturel, c'est non seulement possible mais déjà réalisé grâce aux initiatives de nombreux intervenants.
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