L’acidification océanique, phénomène qui déséquilibre la chimie des océans mais aussi celle des fleuves, fait d’ores et déjà partie des grandes questions environnementales comme en témoigne un récent rapport des Nations Unies. Afin de déterminer l’impact de ce phénomène sur le phytoplancton du Saint-Laurent, une équipe de chercheurs achevait ce 15 octobre une expérience d’acidification à grande échelle dans la région de Rimouski.
Le fleuve, long de 1197 kilomètres, relie les grands lacs à l’océan Atlantique et plus de 80% des québécois vivent à sa proximité (1). Il est si proche et pourtant, beaucoup reste à y découvrir. C’est un peu pour ça finalement que Robin Bénard, membre de la Chaire de recherche du Canada en variabilité climatique et écosystèmes planctoniques, a décidé de porter son attention sur le Saint-Laurent, véritable artère fluviale du Québec. Bien sûr, c’est aussi un milieu d’étude à portée de main pour ce doctorant de l’Université Laval qui a pris part à trois semaines d’expériences sur l’acidification à la station aquicole de Pointe-au-Père, près de Rimouski. Ces expériences ont eu pour objet une étude sur le phytoplancton du fleuve, c’est-à-dire sur l’ensemble des végétaux qui vivent en suspension dans l’eau. «Le phytoplancton est à la base du réseau alimentaire aquatique. S’il est affecté par l’acidification de l’eau, c’est la pêche et le tourisme qui pourraient en pâtir en bout de ligne», nous explique Robin.
Bien que les analyses définitives ne soient pas encore disponibles, les résultats préliminaires de ces expériences suggèrent une résistance à l’acidification d’une partie du phytoplancton dominant l’estuaire du fleuve; «surtout des espèces de la classe des diatomées», nous précise Robin qui ajoute cependant qu’«il pourrait exister des dommages cellulaires (provoqués par l’acidification) que l’étude n’a pas encore pu mettre en évidence».
Un travail acharné
Ce projet d’équipe, réunissant des membres du groupe interinstitutionnel Québec Océan, consistait à acidifier 12 réservoirs d’eau de 3000 litres chacun, soit environ 10 fois la consommation d’eau quotidienne d’un habitant au Québec (2). L’eau a été pompée à partir du fleuve puis filtrée avant son entreposage dans les réservoirs. Pour étudier la réponse du phytoplancton à l’acidification dans les différents réservoirs, plus de 20 scientifiques ont travaillé durant 18 jours pour effectuer de nombreuses analyses biologiques et chimiques, comme la mesure du pH de l’eau par exemple.
Au fait, qu’est-ce que l’acidification océanique ?
Le réchauffement climatique représente sans aucun doute la conséquence la plus médiatisée de la hausse de dioxyde de carbone (CO2) issu des activités humaines dans l’atmosphère. Et pourtant, ce CO2 se dissout aussi très facilement dans l’eau, et donc dans les fleuves, les océans, les lacs. Ce phénomène provoque une augmentation de l’acidité de l’eau, plus connue sous le nom d’acidification océanique (3). «Celle-ci est exprimée sur une échelle de pH et cette échelle est logarithmique; cela veut dire que si le pH diminue de 0.3 unité, l’acidité de l’eau va doubler» explique M. Bénard. «Le pH moyen des océans est de 8.1 et on s’attend à ce qu’il diminue jusqu’à 7.8 d’ici à la fin du siècle; c’est la baisse la plus rapide depuis au moins 50 millions d’années» rajoute-t-il encore.
Un phénomène en cours
L’acidification océanique est un problème environnemental aussi préoccupant qu’actuel. Le rapport des Nations Unies sur l’acidification océanique (4), publié le 8 octobre à l’occasion de la 12e conférence des parties à la Convention sur la biodiversité en Corée du Sud, en constitue la preuve. Rédigé par 30 experts, ce rapport prévoit une baisse importante de la biodiversité suite au phénomène de l’acidification. Cela pourrait coûter chaque année plus d’un trillion – un milliard de milliards – de dollars américains au système économique mondial (5).
L’acidité de l’eau pose particulièrement problème pour les larves de poissons et de crustacés, pour les organismes dont les structures à base de calcium sont exposées à la corrosion par des eaux de plus en plus acides (3). Parmi ces organismes, on compte des espèces commercialement importantes comme les oursins, les moules, les huîtres. Accentuant le problème futur de l’insécurité alimentaire, l’acidification océanique aura un impact certain sur les milieux aquatiques ainsi «que sur les biens et services qu’ils prodiguent», selon le rapport des Nations Unies.
Les océans ont déjà absorbé un tiers du CO2 produit par les activités humaines et cette proportion ne fera qu’augmenter dans le futur, comme le souligne M. Bénard : «même si on arrêtait maintenant les émissions de CO2, l’acidification océanique se poursuivrait pendant des dizaines voire des centaines d’années car les océans continueraient à absorber le CO2 restant dans l’atmosphère» jusqu’à atteindre une situation d’équilibre.
Des perdants, des gagnants
Bien que la situation soit alarmante, Robin tient à nuancer ses propres conclusions : «C’est sûr que certaines espèces vont être hautement affectées (par l’acidification océanique) donc, oui, il risque d’y avoir une baisse drastique de la biodiversité. Mais il faut garder à l’esprit qu’il y a toujours des espèces qui réagiront mieux que les autres. Par exemple, si du jour au lendemain, ta maison passe au feu, c’est une tragédie pour toi mais ton assurance sera contente et le vendeur de meubles aussi. Dans chaque situation, il existe un gagnant».
Le rapport du GAO (Government Accountability Office) aux États-Unis (6), rendu public le 14 octobre 2014, souligne quant à lui la nécessité de poursuivre les recherches scientifiques afin de prévoir avec certitude «l’ampleur et la sévérité» qu’aura l’acidification océanique dans les prochaines années.
RÉFÉRENCES :
(1) Ministère du développement durable, environnement et lutte contre les changements climatiques, 2002. Le fleuve Saint-Laurent. Gouvernement du Québec [en ligne]. www.mddelcc.gouv.qc.ca/eau/flrivlac/fleuve.htm [consulté le 17 novembre 2014].
(2) Environnement Canada, 2011. Rapport de 2011 sur l’utilisation de l’eau par les municipalités : utilisation de l’eau par les municipalités, statistiques de 2009. Environnement Canada [en ligne]. www.ec.gc.ca/Publications/default.asp?lang=Fr&xml=B77CE4D0-80D4-4FEB-AFFA-0201BE6FB37B [consulté le 16 novembre 2014].
(3) Gattuso, J.-P. et Hansson L., 2011. Ocean Acidification. Oxford : Oxford University Press.
(4) Aze T., Barry J. et co-auteurs, 2014. An Updated Synthesis of the Impacts of Ocean Acidification on Marine Biodiversity. Secretariat of the Convention on Biological Diversity [en ligne]. www.cbd.int/doc/publications/cbd-ts-75-en.pdf [consulté le 25 octobre 2014].
(5) Auteur inconnu, octobre 2014. Global economy to lose billions without action to stop ocean acidification, UN report warns [en ligne]. United Nations News Centre. www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=49026#.VEpWtkt1RTu [consulté le 25 octobre 2014].
(6) Begich, M., Menendez R., Merkely J., Whitehouse S., septembre 2014. OCEAN ACIDIFICATION, Federal Response Under Way, but Actions Needed to Understand and Address Potential Impacts [en ligne]. United States Government Accountability Office. www.gao.gov/assets/670/665777.pdf [consulté le 17 octobre 2014].
Auteur: Rachel Hussherr
Source: L'Interdisciplinaire, journal étudiant de l'Institut EDS
Journal L'intErDiSciplinaire vol. 5 no 2 (782 hits)