Les projections du secteur de l’aviation donnent le tournis : d’ici à une vingtaine d’années, le nombre de voyages en avion doublerait. Les projets d’infrastructures aéroportuaires se multiplient faisant fi des conséquences climatiques. Les collectifs d’opposants se structurent et regardent Notre-Dame-des-Landes comme un modèle.
« Ni ici ni ailleurs. » Ce slogan, forgé au creux du bocage nantais, scandé à l’envi par les opposants au projet de Notre-Dame-des-Landes, fait désormais figure de leitmotiv international, repris par des groupes de militants en Autriche, au Mexique ou en Inde. Tous luttent contre l’expansion du trafic aérien dans sa manifestation la plus terrestre : la construction effrénée de nouveaux aéroports. 423 sont ainsi prévus ou en cours de réalisation. À ce chiffre effarant s’ajoutent 121 nouvelles pistes, 205 extensions de pistes, 262 nouveaux terminaux et 175 extensions de terminaux.
Un rouleau compresseur globalisé, que rien ne semble ralentir, et surtout pas les conséquences dramatiques d’un réchauffement climatique supérieur à 2 °C. « À Vienne, les promoteurs d’une troisième piste répondent aux opposants : de toute façon, si on ne la construit pas ici, elle sera construite ailleurs », raconte Mira Kapfinger, de l’ONG Finance and Trade Watch.
Car l’industrie aéronautique voit l’avenir en rose. L’association internationale du transport aérien (Iata) table sur un doublement du nombre de voyages en avion d’ici à vingt ans. Au cours de l’année 2036, 7,8 milliards de personnes devraient avoir ainsi voyagé en avion. Dans un communiqué du 24 octobre dernier, le directeur de l’Iata, Alexandre de Juniac, se laissait aller à une envolée lyrique : « Tous les indicateurs annoncent un accroissement de la demande de connectivité mondiale. Cette nouvelle est formidable sur le plan de l’innovation et de la prospérité qui dépend des liaisons aériennes. Cela représente un énorme défi pour les gouvernements et l’industrie, qui devront s’assurer que nous pourrons satisfaire cette demande. » Comprenez : « Agrandir et moderniser les infrastructures », analyse le site Air Journal.
La ville aéroportuaire fonctionne en vase clos
Et tant pis pour la planète. Avec le transport maritime, l’aviation civile est le seul secteur qui n’est pas couvert par l’Accord de Paris sur le climat. Pourtant, elle contribue au réchauffement de la planète : 492 millions de tonnes de CO2 par an, soit 2 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). Le volume annuel d’émissions de la France… Si rien n’est fait, les émissions de CO2 du secteur pourraient représenter plus de 20 % des émissions mondiales de GES en 2050. « Les industriels de l’aviation ont concocté leur propre accord, nommé Corsia [Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation], mais il n’est pas contraignant et propose surtout de l’écoblanchiment », dénonce Mira Kapfinger. Reporterre avait analysé ce plan lors de sa négociation l’an dernier.
Pour les opposants aux aéroports, l’affaire est simple : le respect de l’Accord de Paris est incompatible avec la construction de nouvelles infrastructures. « Si le Royaume-Uni tente de respecter le seuil de 1,5 °C mais qu’il s’entête à construire la troisième piste d’Heathrow, les émissions de gaz à effet de serre dues à l’aviation représenteront près des trois quarts des émissions nationales en 2050 », calcule le dernier rapport de l’ONG Finance and Trade Watch.
Idem en Autriche, où « une troisième piste engendrerait une augmentation des émissions carbone de 2 %, soit 1,17 million de tonnes de CO2 en 2025, précise Mira Kapfinger. Mais si l’on prend en compte tous les gaz à effet de serre, la nouvelle piste entraînerait 10 millions de tonnes d’émissions de gaz supplémentaires chaque année, soit la moitié de ce que produit tout le trafic routier autrichien. » En 2015, la planète comptait déjà 17.678 aéroports commerciaux, accueillant les avions de ligne, de fret et d’affaires, dont 160 en France.
Si les promoteurs d’aéroports s’entêtent en dépit du bon sens écologique, c’est que la construction de nouvelles installations offre de juteuses perspectives économiques. Rose Bridger a participé au sein du Global Anti-Aerotropolis Movement (Gaam) à la rédaction de plusieurs rapports sur l’expansion du trafic aérien. Pour elle, les nouveaux aéroports se développent en suivant un modèle commun : celui de « l’aérotropole ». « Ce terme désigne le conglomérat formé par un aéroport, les zones commerciales et industrielles associées, ainsi que les projets immobiliers et les infrastructures de transport qui viennent avec », explique-t-elle. La ville aéroportuaire ainsi créée de toutes pièces fonctionne en vase clos : les voyageurs sont captés, logés, nourris, vêtus, divertis au sein de cette immense zone. Rappelons qu’à peine 5 % de l’humanité a déjà pris l’avion ; les clients des aéroports sont donc bien souvent dotés d’un pouvoir d’achat important, à faire saliver hôteliers et firmes du luxe.
Source: Reporterre. Auteur: Lorène Lavocat
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