Par Philippe Grandcolas, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités
Cet article est publié par La Conversation en collaboration avec les chercheurs de l’ISYEB (Institut de systématique, évolution, biodiversité du Muséum national d’Histoire naturelle, Sorbonne Universités). Ils proposent ici une chronique scientifique de la biodiversité, « En direct des espèces ». Objectif : comprendre l’intérêt de décrire de nouvelles espèces et de cataloguer le vivant.
On a souvent une image caricaturale des insectes, tantôt anges, tantôt démons.
Détestables et apparemment invincibles, comme les punaises de lits, les blattes domestiques ou les ravageurs des cultures. Meurtriers, comme les moustiques anophèles, responsables indirects de plus de morts humaines au XXe siècle que tous les conflits armés par les maladies qu’ils nous transmettent. Ou, au contraire, admirables et utiles abeilles, victimes de nos mauvaises pratiques agricoles. Ou encore, merveilleux, ces beaux papillons dont le vol coloré ravit notre regard…
En réalité, les insectes sont légion et, comme tous les êtres vivants, ils ont leur bons côtés et leurs mauvais côtés… qu’il faudrait appréhender avec davantage de prudence et de mesure.
Innombrables mais vulnérables
Les insectes comptent plus d’un million d’espèces sur les 2,4 millions connues. Et l’on en dénombre presque 40 000 espèces rien qu’en France. Ils représentent des biomasses colossales – les fourmis pèsent ainsi autant que les humains sur Terre ! – et rendent des services écologiques essentiels et innombrables. 900 espèces d’abeilles contribuent par exemple à la pollinisation des plantes en France ; les insectes constituent également une source de nourriture majeure pour les oiseaux et participent à la régulation de milliers d’espèces dites nuisibles (les coccinelles figurent ainsi parmi nos meilleurs alliés contre les pucerons).
Souvent perçus comme innombrables, en nombre d’espèces comme d’individus, ils semblent pouvoir résister à tout. Pourtant, des études scientifiques récentes montrent, de manière répétée, qu’il n’en est rien. Le cas desabeilles domestiques et sauvages, qui souffrent terriblement de notre gestion des milieux naturels, est à ce titre emblématique.
Parue en octobre 2017, une étude s’intéressant à des insectes évoluant dans des zones protégées au sein d’un paysage agricole en Allemagne a montré une baisse dramatique de l’abondance des populations : -76 % en 27 ans.
Il y a quelques jours, est paru dans la très sérieuse revue Biological Conservation un article compilant les résultats de 73 études publiées depuis 40 ans sur le sujet. Cet article rigoureux a répertorié tous les travaux publiés, prenant en considération ceux qui analysaient des tendances quantitatives – nombre d’espèces ou abondances – sur des périodes de temps définies. Elle a conduit une analyse statistique des résultats de ces études, dans laquelle la valeur des résultats statistiques des différentes études est comparée – c’est ce que l’on appelle une méta-analyse statistique.
Le constat est accablant et quasi-unanime : la tendance est à la baisse drastique des populations d’insectes et à l’extinction probable de nombreuses espèces à l’horizon des quelques prochaines décennies, et cela plus encore que dans le cas des plantes ou des oiseaux.
41 % des espèces en déclin
La lecture de ce nouvel article est déprimante car elle égrène une série de cas catastrophiques concernant papillons, hyménoptères (abeilles, guêpes, fourmis), coléoptères (carabes, scarabées, coccinelles, etc.), libellules et d’autres groupes d’insectes moins charismatiques mais tout aussi indispensables à la biodiversité, comme les perles ou les éphémères. Et cela dans de nombreuses régions et différents types d’environnements.
Au total, sur la base de toutes ces études, les auteurs évaluent qu’environ 41 % des espèces d’insectes sont en déclin, soit deux fois plus que les vertébrés et à un rythme encore plus rapide. Pour les nombreux pays concernés par les études recensées dans cet article (Amérique du Nord, Europe, Brésil, Chine, Japon, Afrique du Sud, Australie, etc.), il est estimé qu’un tiers des espèces est en risque d’extinction, ce qui est colossal. Il y a aussi de nombreux cas d’espèces manifestement déjà éteintes.
Quelques-unes des études analysées concernent la France, s’intéressant notamment aux coléoptères bousiers, qui ont un rôle primordial d’enfouissement des excréments d’animaux et dont nombre d’espèces régressent de façon alarmante. Doit-on rappeler que faute de bousiers locaux adaptés aux bovins, l’Australie a du en importer pour éviter que des kilomètres carrés de prairies soient littéralement recouverts de bouses ?
Les auteurs de l’article soulignent également que ce bilan catastrophique est établi malgré le peu d’attention relative que portent aux insectes les scientifiques et les citoyens, par comparaison avec les groupes de vertébrés (mammifères, oiseaux, etc.).
De fait, ce bilan unanime risque de s’alourdir encore lorsqu’on prendra en considération plus de cas d’espèces, dans des régions lourdement impactées par les modifications environnementales humaines.
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