Le 29 mars 2016, le Mouvement Burkinabè des Droits de l’Homme et des Peuples (MBDHP) et la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) ont organisé à l’Hôtel Royal Palm Beach sis à Ouagadougou au Burkina Faso, une table ronde autour du thème «LES DROITS HUMAINS AU BURKINA : REALITES, DEFIS ET PERSPECTIVES ». Au cours de cette table ronde les participants on eu droit à une communication : ‘‘Tableau synoptique de la situation des droits humains au Burkina’’ présentée par MBDHP que nous vous proposons ici.
Tableau synoptique de la situation des droits humains au Burkina
Le Burkina a ratifié la plupart des instruments juridiques promoteurs et protecteurs des droits humains. Sur le plan interne, notre pays a réalisé d’énormes efforts pour conformer sa législation aux standards internationaux.
Ainsi, du point de vue formel et institutionnel, le Burkina semble assez soucieux du respect des droits fondamentaux. En réalité hélas, d’énormes efforts restent à faire en vue d’un respect effectif des droits humains dans notre pays.
S’agissant de tableau synoptique, celui portant sur la situation d’ensemble des droits humains au Burkina fait ressortir les constats suivants.
Les droits à la vie et à l’intégrité physique des personnes ont été mis à rude épreuve dans notre pays au cours de ces derniers mois.
Après l’insurrection populaire, la coordination des associations pour l’assistance et le secours populaire (CAASP), dont le MBDHP est membre, a dénombré trente-quatre (34) personnes tuées sur l’ensemble du territoire national, dont :
- 21 à Ouagadougou ;
- 7 à Sèbba ;
- 3 à Ouahigouya ;
- 2 à Bobo-Dioulasso ;
- 1 à Léo.
De ces trente-quatre (34) victimes, dix-neuf (19) ont été tuées par balles, au moins six (6) sont mortes calcinées. L’absence d’enquêtes ne permet malheureusement pas d’établir les circonstances exactes de ces morts et de situer les responsabilités.
En septembre 2015, le coup d’Etat de l’ex-RSP a causé officiellement la mort de 14 personnes tuées par les balles de l’ex-RSP.
Lors des deux évènements suscités, le MBDHP a noté plusieurs atteintes à l’intégrité physique de personnes. Plus de 700 personnes blessées ont été recensés. Une bonne partie de ces blessés ayant été victime de tirs à balles réelles aussi bien pendant l’insurrection populaire que pendant le putsch manqué de l’ex-RSP.
Toujours concernant les atteintes aux droits à la vie et à l’intégrité physique des personnes, il faut noter que l’apparition de la menace terroriste au Burkina, ainsi que dans la sous-région ouest-africaine constitue aujourd’hui un élément de préoccupation majeure.
Cette menace s’est hélas traduite en macabre réalité avec l’attaque du 15 janvier 2016 en plein cœur de Ouagadougou, qui a occasionné trente (30) morts et plusieurs dizaines de blessés. Ce même 15 janvier à Djibo, un couple australien a été enlevé par un groupe terroriste, alors qu’une attaque dans le village de Inabao, dans la province de l’Oudalan, occasionnait deux (2) morts (un gendarme et un civil) et deux (2) blessés.
Enfin, ces derniers mois, notre pays connaît de grands débats sur la question des kolgl’weogo, ces groupes d’autodéfense qui ont été créés et qui ont proliféré dans les campagnes, en réaction à l’épineuse question de l’insécurité.
L’émergence et les actions parfois teintées de dérives de ces groupes, constituent une manifestation flagrante de la faillite de l’Etat à sa mission régalienne de protection des citoyens et de leurs biens.
Objet de vives critiques émanant de toutes les couches de la société, le système judiciaire burkinabè vit une véritable crise de crédibilité.
La chute du pouvoir de Blaise COMPAORE avait fait naître l’espoir d’un meilleur accès à la justice pour les victimes de crimes de sang et de crimes économiques impunis qui ont jalonné l’histoire de la 4ème République, à travers un traitement diligent de bien de dossiers de ces crimes impunis.
La chute du régime COMPAORE a également fait naître l’espoir que tous les citoyens seraient dorénavant traités de façon égale devant les tribunaux, sans considération de leurs accointances avec le pouvoir en place. Un tel espoir sera conforté par le fameux « plus rien ne sera comme avant »,consacré comme slogan de la transition.
En plus, le pouvoir de transition avait pris de nombreux engagements en vue de l’élucidation des crimes impunis dans le pays. Des états généraux de la justice ont même été organisés et un pacte signé à grands renforts de publicité.
A l’issue de la transition et à ce jour hélas, le constat reste amer. La plupart des dossiers emblématiques de crimes n’ont connu, dans le meilleur des cas, qu’une timide évolution ; le gouvernement de la transition ayant opté pour la création de commissions d’enquêtes indépendantes. Pourtant, ce gouvernement avait signifié à maintes reprises à l’opinion publique que des procédures judiciaires avaient été enclenchées en vue de la manifestation de la vérité sur tous les crimes commis.
Pourquoi créer des commissions d’enquête indépendante si des procédures judiciaires impartiales sont effectivement en cours ? Quelles sont les garanties que les travaux de ces commissions d’enquête ne subiront pas le même sort que les travaux de la commission d’enquête indépendante créée en 1999 après l’assassinat de Norbert ZONGO et de ses compagnons ?
Autant de questions qui ont fondé la décision du MBDHP de ne pas participer à ces commissions d’enquête. Ces faits indiquent clairement que la question de la lutte contre l’impunité reste un sujet d’actualité au Burkina.
Caractérisée par une paupérisation croissante de larges couches populaires, la situation sociale des burkinabè s’est fortement dégradée au cours de cette dernière décennie. L’enquête intégrale sur les conditions de vie des ménages (EICVM) réalisée en 2009/2010 indique que 43,9% de la population burkinabè vit en dessous du seuil de pauvreté estimé à 108.374 francs CFA par adulte et par an soit avec moins de 300 francs CFA par jour. L’indice de développement humain (IDH) demeure faible. En 2014, il était de 0,388. Ces chiffres montrent que la pauvreté est devenue endémique au Burkina. Le niveau de croissance économique réalisé reste insuffisant pour induire une réduction significative de la pauvreté. En plus, la répartition des fruits de cette croissance demeure inégale. Elle ne bénéficie qu’à une infime minorité de Burkinabè issue des milieux politiques et d’affaires liés au pouvoir.
Par ailleurs, nous assistons paradoxalement à la privatisation accrue des secteurs sociaux que sont l’éducation et la santé à travers le désengagement de l’Etat.
Au niveau du primaire, la mise en œuvre du continuum est à l’origine d’un véritable cafouillage caractérisé par le manque d’infrastructures et d’enseignants.
Ce cafouillage se poursuit jusque dans les Universités publiques avec l’instauration du système LMD.
Dans le secteur de la santé par exemple, le désengagement de l’Etat persiste. La part du budget de l’Etat consacrée à ce secteur est généralement en deçà de la norme de l’OMS qui est de 10%. Dans le même temps, la contribution des ménages aux dépenses de santé est en perpétuelle augmentation. Par ailleurs, les structures publiques de soins, en nombre insuffisant, demeurent faiblement dotées en ressources matérielles et humaines. Ainsi, les ratios habitants par personnel de santé sont loin des normes internationales.
Autre élément de préoccupation, l’accès à l’eau potable constitue une source de préoccupation pour une bonne partie des Burkinabè. Ainsi, en ce 3ème millénaire, près du tiers de la population du Burkina (soit environ 30% de burkinabè) consomme de l’eau de puits, de rivières, de marigots ou de barrages ; ce qui est à l’origine d’un grand nombre de maladies.
Le chômage est devenu endémique. Il frappe une bonne partie de la jeunesse qui se retrouve aujourd’hui sans perspectives heureuses. Les concours de la fonction publique ne permettent naturellement pas d’absorber la demande d’emploi alors que l’offre du secteur privé demeure faible, à l’image du développement des affaires dans le pays. En réponse, le Gouvernement propose des solutions conjoncturelles et précaires à travers les projets dits à haute intensité de main d’œuvre (HIMO) ou encore le recrutement d’enseignants de seconde zone.
Cette situation sociale difficile, due essentiellement à l’application des programmes d’ajustement structurel dictés par les institutions financières internationales (Banque mondiale et Fonds Monétaire International) et par la mauvaise gestion des ressources du pays marquée par la corruption, la gabegie, le clientélisme, la fraude, l’impunité des crimes de sang et des crimes économiques, a considérablement accru les inégalités sociales.
La profonde détresse que vit de plus en plus la majorité des burkinabè se ressent davantage dans les zones rurales. Les paysans pauvres y sont confrontés à l’expropriation de leurs terres par des « agro businessmen », dont la grande partie est composée de bonzes au pouvoir. Dans le même temps, l’accès aux intrants agricoles est devenu un véritable chemin de croix pour les producteurs. Cette situation crée de nombreuses frustrations notamment au sein des cotonculteurs, confrontés au coût élevé des engrais, ainsi qu’au faible prix d’achat du coton graine.
Loin d’être exhaustif, le tableau ci-dessus dépeint donne une idée de la situation des droits humains au Burkina. Il montre le malaise que vit la société burkinabè dans son ensemble caractérisé par l’élargissement du fossé entre riches et pauvres. La majorité des Burkinabè croupit sous le poids d’une misère indicible, alors qu’une infime minorité issue de l’élite politique au pouvoir et du milieu des affaires qui lui est allié, continue de s’enrichir de façon effrénée.
Une telle situation nous interpelle et nous appelle à des actions concertées, en vue contribuer efficacement à l’amélioration de la situation des droits humains dans notre pays.
11/12/24 à 13h46 GMT