"Vous voyez ces graines? Elles sont de bonne qualité, croustillantes et sans moisissure". Tenant fièrement des fèves entre les mains, Richard Taguelem, directeur d'usine à la "Cameroon Marketing Commodities" (Camaco), une entreprise exportatrice de cacao, montre les résultats obtenus en cinq ans grâce à une meilleure collaboration avec plusieurs centaines de producteurs de cacao du Sud-Ouest, la plus grande région productrice du Cameroun. Les fèves qui sèchent dans le brûloir de l'usine de Douala y répandent une agréable odeur de chocolat. "Cet arôme est la preuve que nos produits sont de bonne qualité", se flatte Richard Taguelem. A la Camaco, la qualité du cacao s'est améliorée en cinq ans, afin de répondre aux exigences du marché. "Nos fournisseurs européens exigeaient des produits moins acides et plus sains à la consommation. Il fallait les leur fournir, faute de quoi, ils refusaient d'acheter", explique le responsable de la structure. Pour relever le défi, Camaco s'est rapprochée des paysans pour les aider à produire un cacao de qualité.
Agriculteurs partenaires
L'entreprise a déployé plus d'une cinquantaine de conseillers techniques, qui ont sillonné les zones de production, jusque dans les villages les plus enclavés pour accompagner les agriculteurs. "Des formations leur ont été fournies gratuitement, individuellement ou en groupe", affirme Richard Taguelem. Ces formations portent sur toutes les étapes de la production du cacao : l'entretien des cacaoyers, la cueillette, la fermentation, le séchage etc. Objectif : éviter l'acidité des fèves.
La relation entre l'entreprise et les petits producteurs a changé. En intervenant en milieu paysan, Camaco forme avec ceux-ci une chaîne de valeur, c'est-à-dire un partenariat étroit dans le but de répondre aux demandes des consommateurs et de créer de la valeur et des profits. "Avant, nos relations avec les producteurs n'étaient qu'unilatérales, puisqu'on se contentait seulement de collecter leur cacao", indique le directeur. Le nouveau mode de coopération entre l'entreprise et ses fournisseurs porte déjà des fruits. Le taux d'humidité, responsable de l'acidité des fèves, est passé de près de 8% il y a 5 ans à 3% aujourd'hui. Les tamis, remis gratuitement aux producteurs, ont réduit le taux de déchets dans le cacao. "Ces outils leur permettent d'enlever les branches d'arbres, les cailloux, et les brisures, qui, très souvent, se retrouvent dans le cacao acheté en brousse", indique-t-on à Camaco. A l'usine de Douala, une ventilation laisse échapper de la poussière par la cheminée d'un silo, déversant sur le sol de petites quantités de déchets dont le taux diminue au fil des années. Grâce à un partenariat établi avec d'autres opérateurs économiques, intrants, fongicides, insecticides et herbicides sont fournis gratuitement aux paysans. Ces dons sont accompagnés de formations qui permettent aux cacaoculteurs de les utiliser rationnellement dans les champs.
Aide mutuelle
Selon Ingmar Streese, directeur des programmes et partenariats mondiaux chez Mars Incorporated, une multinationale américaine basée à Bruxelles, ce type d'investissement en faveur des populations rurales est loin d'être désintéressé. "C'est véritablement un processus d'aide mutuelle : les producteurs nous fournissent davantage de cacao et nous les aidons à améliorer leurs connaissances, leurs produits et leurs rendements, ce qui se traduit par des revenus plus élevés", affirme t-il dans un entretien accordé au magazine belge Défis Sud.
Les activités sont coordonnées à la "Cameroon Marketing Commodities". Ici, près du séchoir, deux employés ensachent les fèves de cacao. Les sacs sont ensuite chargés, au fur et à mesure, dans des containers. "Cette marchandise sera embarquée au Port autonome de Douala, à destination d'Amsterdam où elle est réservée à notre partenaire, la multinationale ADM Cocoa, l'un des plus grands fournisseurs internationaux de cacao aux chocolatiers et confiseurs)", confie Taleguem. Au final, la Camaco et les producteurs sont tous deux gagnants. La production des paysans s'est accrue et l'entreprise a augmenté ses exportations de cacao de 10.000 tonnes en cinq ans.
D'autres entreprises du secteur privé camerounais ont également renforcé les compétences des petits producteurs par des formations dans le but de satisfaire le marché. L'Union centrale des sociétés Coopératives agricoles de l'Ouest (Uccao), leader du café moulu au Cameroun et plus grande exportatrice locale de café arabica, multiplie les formations en faveur de ses fournisseurs, plus de 110.000 producteurs répartis dans six coopératives agricoles de l'Ouest. "Le suivi des plantations, les techniques culturales, les meilleures pratiques de conditionnement et de traitements phytosanitaires sont autant de thèmes traités", explique Jean Feugueng, le directeur des activités agricoles et coopératives à l'Uccao.
Innovations profitables
Dans l'optique d'accroître la production, l'Uccao distribue aux paysans des plants de caféiers à haut rendement, cultivés dans sa pépinière de Bafoussam en plein développement.
Mal payés, les petits producteurs n'ont généralement pas les fonds suffisants pour acquérir du matériel innovant susceptible de diminuer leur charge de travail. C'est pourquoi, depuis 2008, l'Uccao équipe les coopératives agricoles d'unités de traitement du café nature en café lavé "fully washed". Dépulpage, lavage et séchage du café ne sont plus pratiqués par les agriculteurs adhérents des structures bénéficiaires. Ces tâches sont à présent effectuées par les machines de "fully washed". Une technologie payante aussi pour l'Uccao qui obtient un café haut de gamme, très coûteux et prisé sur le marché international. "La différence de prix entre un café nature et un café fully washed est de 20 à 30 %", signale le responsable de l'Uccao.
Depuis 2010, l'entreprise fournit aux coopératives des pick-ups pour le ramassage du café dans les champs. A présent, les paysans bénéficiaires ne dépensent plus en frais de transport pour aller livrer leurs produits. Ils font des économies et peuvent investir dans d'autres secteurs d'activités. "En accord avec les producteurs, nous arrêtons un calendrier pour venir collecter leur récolte", explique Feugueng. Là encore, l'entreprise y trouve un avantage certain dans la mesure où elle collecte plus de café. "Des coxeurs (acheteurs non agréés de café) sillonnent les villages pour acheter, à vil prix, la production des villageois. Grâce à nos véhicules, nous nous rendons sur le terrain avant eux et collectons un maximum de café avant leur arrivée", explique-t-on à l'Uccao. Tous ces efforts en faveur des producteurs de café sont couronnés de succès. La production a augmenté en deux ans : plus de 5.000 tonnes produites cette année, contre 4.000 l'an dernier.
Contrats d'intégration
Ce type de relations intégrées entre agriculteurs et entreprises privées, peut encore aller plus loin. Une nouvelle forme de chaîne de valeur a vu le jour au Cameroun : le secteur privé finance de bout en bout la production de ses fournisseurs. Objectif: s'assurer des produits de qualité répondant aux normes "bio sécuritaires". A Bafang, dans l'Ouest du pays, la Société des produits agricoles du Cameroun (Spac), un abattoir moderne, a relevé ce défi en signant un contrat avec 40 aviculteurs, qui prévoit la fourniture des poussins d'un jour, la provende et la prophylaxie. Pour accompagner ses partenaires, la Spac met aussi à leur disposition un médecin vétérinaire, et un technicien. "Ils font le tour de toutes les fermes pour s'assurer de la bonne conduite de l'élevage avicole", explique Boniface Tcheumeni, le directeur de l'entreprise, qui se réserve en retour l'exclusivité de la production des éleveurs. Les producteurs sont payés au kilogramme, après prélèvement par l'entreprise des coûts engagés pour subventionner la production.
Ces contrats d'intégration, qui existent depuis des décennies dans les pays développés, peuvent être profitables à "des populations pauvres, en Afrique de l'Ouest et du Centre habitant souvent loin des marchés lucratifs, et qui n'ont pas accès aux intrants modernes et aux capitaux", relève David Kingsbury dans un rapport du Fonds international de développement agricole (Fida) intitulé: "Questions de fond relatives aux chaînes de valeur, aux opportunités et à la croissance : rôle des projets financés conjointement par le Fida ". A la condition expresse que les petits producteurs soient capables de respecter un cahier des charges draconien. Ceux qui ne suivent pas sont purement et simplement éliminer de la chaîne de valeur.
Anne Matho Motsou
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17/10/24 à 09h35 GMT