Par Giulietta Gamberini, Égalité, publié le 29 octobre 2012
L'idée est tirée d'une expérience suédoise et fondée sur deux constats : la parité entre femmes et hommes, même lorsqu'elle est une priorité... n'est jamais prioritaire ; une approche intégrée, donc, a davantage de chances de réussir. Ainsi, depuis la rentrée, le ministère des Droits des femmes propose à chaque ministre un " atelier de sensibilisation ", mené avec le support bénévole de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH). La démarche vise " non pas à enseigner de choses nouvelles, mais à éveiller la conscience des membres du gouvernement sur l'ampleur des inégalités encore existantes ", explique Najat Vallaud-Belkacem. Chacun-e assiste, individuellement − éventuellement accompagné-e de membres du cabinet ou de l'administration centrale - à une séance, animée par Caroline de Haas, conseillère en charge des politiques féministes, et deux membres de l'ANDRH.
L'illusion d'égalité
Les ministres commencent par réviser quelques chiffres plus ou moins connus, mais indispensables pour combattre " l'illusion d'égalité " ambiante. On leur rappelle, par exemple, que 40 % des filles s'orientent vers une 1re S - contre 27 % qui choisissent une 1re L, ils redécouvrent que les femmes effectuent en moyenne 18 heures par semaine de travail domestique de plus que leur compagnon ; que 26,1 % d'entre elles s'arrêtent de travailler à l'arrivée de leur premier enfant ; qu'elles sont 75 000 à être violées par an. Surtout, on leur remémore que ces obstacles et préjugés constituent " un fait social et politique " et ne peuvent pas être négligés.
La partie la plus " croustillante " de l'atelier est consacrée aux exemples concrets de reproduction des pires stéréotypes. Défilent ainsi les projections : de photos de bodies pour garçons " vaillants " et filles " amoureuses ", de publicités de recrutement dans l'éducation nationale recommandant le poste " de ses rêves " à Laura et " à la hauteur de ses ambitions " à Julie ... Certes, les images que l'on croise au quotidien sont souvent encore plus choquantes, mais les échantillons choisis sont d'autant plus significatifs qu'ils sont non seulement très récents, mais surtout très " subtils " ... et donc sournois. Quelques exemples donnés d'articles ou d'émissions témoignent d'un univers médiatique dans lequel les femmes sont soit bêtement oubliées ", soit décrites en tant que telles plutôt qu'en raison de leurs compétences.
Pourtant, les plus récentes recherches montrent à quel point ces différences supposées n'ont aucun fondement biologique et relèvent exclusivement de l'éducation et de la culture. " L'histoire de l'émancipation féminine au XXe siècle se compte en minutes par rapport aux 200 millions d'années de domination masculine, qui ont naturalisé des rôles sociaux sexués ", rappelle Caroline De Haas, suivant le sillon de Françoise Héritier.
A quoi bon donc " déranger " pendant de précieuses minutes des ministres aux agendas surchargés, si ce n'est pour dresser un constat désolant et désespéré, et s'il faut attendre encore 2000 ans pour la parité, pourraient se demander les intéressé-es et les contribuables ? Mais l'histoire n'est pas linéaire, et l'Etat peut non seulement faire beaucoup, mais doit montrer l'exemple. " Dès lors qu'on laisse agir le naturel, les inégalités ne font que se renforcer : des efforts à contre courant s'imposent ", estime Najat Vallaud-Belkacem. D'autant plus que, depuis la mobilisation pour le planning familial en 2009 et celle contre la réforme des retraites en 2010, un mouvement s'est amorcé, sur lequel il faut surfer.
Principal objectif donc : briser le plafond de verre dans la fonction publique où, sur 59 % de fonctionnaires femmes, il n'y a que 21 % de directrices, et où l'écart des salaires est de 13%. Moyens suggérés : agir contre les obstacles juridiques (les limites d'âge pour les concours supérieurs par exemple) et culturels (dont le présentéisme).
Les ministres doivent montrer l'exemple
Les membres du gouvernement sont notamment invités à mettre en oeuvre leur engagement pour la parité à travers l'exemplarité : de leur discours (termes utilisés par eux-mêmes et leurs administrations, dans tout support de communication) ; de la composition de leurs équipes et de toutes instances dont ils sont à la tête ; de leurs directives, notamment en matière de ressources humaines. Tous les outils à la disposition de l'Etat, jusqu'à maintenant sous-utilisés, devraient désormais être complètement exploités : études d'impact des réformes, statistiques sexuées, analyse de genre des budgets, communication déconstruisant les stéréotypes etc. L'ensemble des cadres mériteraient d'être sensibilisé à la nécessité de procédures de recrutement favorisant la parité et à l'établissement d'un contexte favorable à l'équilibre entre vie professionnelle et personnelle.
Le ministère des Droits des femmes ne néglige pas quelques considérations stratégiques. Si les instruments contraignants se montrent toujours plus conclusifs que de simples incitations, " il faut être attentifs à ne pas être contreproductifs car on ne joue pas un sexe contre l'autre ", considère la ministre : en forçant trop la carte de la discrimination positive, on risque de dévaloriser la compétence, en renforçant les stéréotypes. La concertation avec les partenaires sociaux, la fixation d'objectifs d'actions positives communes, sont parfois plus fructueuses que les quotas stricts.
Quelque seize ministres[1] ont déjà bénéficié de la séance, l'appui de Jean-Marc Ayrault, qui par circulaire a invité tous les membres du gouvernement à se rendre disponibles, a évidemment beaucoup compté. Les autres sont attendus prochainement. Selon Najat Vallaud-Belkacem, les ateliers ont favorisé de " vrais échanges " entre ministres, notamment sur les bonnes et mauvaises pratiques à mettre en place, et les retours ont été positifs ; une culture semble s'installer, qui se manifesterait aussi en Conseil des ministres. L'initiative s'inscrit d'ailleurs dans une démarche interministérielle globale, dont l'audition de l'ensemble des ministères dans le cadre de la Conférence de l'égalité qui s'est déroulée en septembre, ainsi que le Comité interministériel qui se réunira dès le mois prochain, sont autant d'étapes fondamentales.
[1] 16 ministres ont suivi cette formation : Valérie Fourneyron, Christiane Taubira, Stéphane Le Foll, Bernard Cazeneuve, Alain Vidalies, Laurent Fabius, Pierre Moscovici, Cécile Duflot, Michèle Delaunay, Aurélie Filippetti, Marie-Arlette Carlotti, Vincent Peillon, George Pau-Langevin, François Lamy, Benoît Hamon.
17/10/24 à 09h35 GMT