Malgré la réglementation de la gestion territoriale des ressources en eau, plusieurs éléments connexes ou annexes à la décentralisation (B) entrainent un hiatus entre les collectivités territoriales (A), surtout au sein des communes rurales.
A. Les causes et/ou facteurs aggravant les inégalités entre les collectivités territoriales
L'élément majeur qui favorise l'inégalité entre les communes est le coût élevé des infrastructures hydrauliques et d'assainissement et la capacité financière et technique des communes et des habitants à y faire face. Le coût moyen de latrines admis dans le Programme National d'Approvisionnement en Eau Potable et d'Assainissement (PN-AEPA) serait, selon nos calculs, de 115 000 F CFA[1]. Même avec le cofinancement de l'Etat, ces sommes sont assez élevées pour la plupart des ménages burkinabé[2].
A cela s'ajoute la corruption généralisée au sein de la classe politique qui fait de l'initiative de certains projets et programmes d'approvisionnement en eau et assainissement un échec car une partie de l'argent qui avaient été consacré est détournée.
En plus, l'analphabétisme de la plupart des élus et cadres représente également un autre obstacle majeur. Selon une étude réalisée en 2009[3] par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et le projet d'Appui à la Décentralisation et à la Participation Citoyenne (ADEPAC), le taux d'alphabétisation des conseillers en exercice en 2009 par type de commune a donné le graphique ci-dessous.
Taux d'alphabétisation des conseillers en exercice en 2009 par type de commune
Source : Etude ADEPAC/PNUD - Les collectivités territoriales en chiffres
A ces facteurs d'inégalité s'ajoute l'effet spatio-temporel de la coopération décentralisée. Se pratiquant très souvent à petite échelle, elle contribue indirectement, en l'absence de réglementation étatique, à accentuer les différences entre les communes. Certaines communes se retrouvent ainsi dotées de plusieurs infrastructures hydrauliques tandis que d'autres, qui n'ont pas de partenaires extérieurs se contentent de l'apport, si apport il y'a, des transferts de ressources étatiques et peinent à satisfaire les besoins de leurs populations. Bruno Valfrey-Visser faisaient ainsi le constat suivant en matière de coopération décentralisée " l'offre de formation est mal répartie dans l'espace, parce que les projets et programmes d'investissement laissent certaines communes orphelines (...) "[4].
B. Une intervention accrue du secteur privé
Les investissements du secteur de l'eau et de l'assainissement sont très coûteux. Par exemple, sur la période 2007-2015, le coût prévisionnel de mise en oeuvre du Programme National d'Approvisionnement en Eau Potable et Assainissement (PN-AEPA) en milieu rural est estimé à 406 milliards FCFA HTT.
Comme le montre les tableaux ci-dessous, la plupart des fonds proviennent des partenaires privés.
Part contributive des acteurs dans la mise en oeuvre au PN/AEPA
Source : Rapport grand public 2010 du PN-AEPA à l'horizon 2015
En soi, ce type de financement est plutôt salutaire tant qu'elle n'est point assortie de conditionnalités politiques ou économiques. Ce qui n'est guère le cas au Burkina Faso. En effet, les partenaires techniques et financiers, accompagnés des ONG et soutenus par l'Etat[5], prônent la libéralisation du secteur de l'eau et de l'assainissement. Comme le note si bien Frédéric Lasserre, " la privatisation de l'eau dans les pays en développement, qui théoriquement répond à l'objectif d'assurer la distribution de l'eau au plus grand nombre, s'effectue en réalité, souvent sous la pression d'institutions financières comme la Banque mondiale. Cette privatisation correspond à un paradigme de gestion que ces institutions tiennent pour valide et vérité indiscutable : la gestion par le secteur privé introduit efficacité, croissance et bénéfices pour le plus grand nombre[6]".
Les collectivités territoriales se retrouvent prises au dépourvu. Non seulement, elles contribuent très peu à la réalisation des infrastructures hydrauliques et d'assainissement, mais elles sont évincées dans la gestion de ces infrastructures qu'elles ont très souvent l'obligation de déléguer à des entreprises privées[7].
Conscients de cette situation, les acteurs du domaine de l'eau se sont engagés lors du Forum national de l'eau et de l'assainissement de 2011 à " développer des solutions concrètes pour mieux mobiliser les financements endogènes/ locaux "[8].
[1] Ministère de l'Agriculture, de l'Hydraulique et des Ressources Halieutiques, Opérationnalisation de la stratégie de mise en oeuvre de la composante " infrastructures et assainissement en milieu rural " du PN/AEPA, Volet 2 : Options technologiques, Annexe : Dessins et prescriptions techniques des ouvrages
[2] Le salaire minima interprofessionnel garanti mensuel des travailleurs, à l'exception des employés agricoles et des personnes liées à leur employeur par un contrat d'apprentissage, est de trente-deux mille deux cent dix-huit (32.218) francs CFA (49,12 ¤).
[3] Rakotosoa Tovomanana, Les collectivités Territoriales en chiffres, 2009, P. 16. Cf. Annexe 5.
[4] Bruno Valfrey-Visser, Dir., Une dynamique régionale pour les petites villes africaines, Panoply, Décembre 2010, P. 22 - 23.
[5] Le Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvrété (CSLP), remplacé par la Stratégie d Croissance Accélérée et de Développement Durable (SCADD), document de référence de toutes les interventions en matière de développement au Burkina Faso, " fait du secteur privé le moteur de la croissance ". P. 39 et suivants.
[6] Frédéric Lasserre, L'eau, enjeu mondial : géopolitique du partage de l'eau, Ed. Le serpent à plumes, Septembre 2003, P. 206.
[7] Décret n° 2000-514/PRES/PM/MEE portant adoption d'un document cadre de la réforme du système de gestion des infrastructures hydrauliques d'approvisionnement en eau potable en milieu rural et semi-urbain. Nous y reviendrons dans nos prochains articles.
[8] Mémorandum du Forum national de l'eau et de l'assainissement tenu à Ouagadougou du 20 au 22 décembre 2011. Téléchargeable sur http://www.eauburkina.org/index.php?option=com_content&view=article&id=283%3 Aforum-national-de-leau-memorandum&Itemid=1 (Consulté le 9 août 2012)
17/10/24 à 09h35 GMT