On me présente souvent comme un environnementaliste. Je préfère que l’on me désigne comme père, grand-père, scientifique ou auteur puisque ma motivation réside dans ces termes. L’environnementalisme n’est pas une discipline ou une spécialité comme le droit, la médecine, la plomberie, la musique ou l’art. C’est une façon de nous situer dans le monde et de reconnaître que notre survie, notre santé et notre bonheur dépendent étroitement de la nature. Pour faire face à la crise environnementale actuelle, nous devons tous, mécaniciens, ouvriers de la construction, dentistes ou politiciens, regarder le monde à travers le prisme de l’environnement.
Récemment, j’ai assisté à un panel d’athlètes et d’artistes remarquables, engagés dans diverses causes environnementales. L’animateur leur a demandé le rôle qu’avait joué l’émerveillement dans leur engagement. Leurs réponses ont révélé à quel point l’émerveillement devant la beauté de la nature peut s’avérer une source de motivation.
Je n’ai pu m’empêcher de penser que deux autres mots auraient pu entrer dans la discussion : humilité et gratitude. Alors que le panel s’attardait sur la détérioration des milieux écologiques, je me suis dit qu’il nous fallait simplement être plus conscientisés, afin d’utiliser la science et la technologie pour résoudre les crises.
Nous sommes des animaux intelligents, si brillants que nous croyons tout contrôler. Nous oublions que nos inventions ont causé de nombreuses catastrophes. La bombe atomique représentait une avancée scientifique et technologique magistrale, le moyen de libérer l’énergie de l’atome. Mais, lorsque les États-Unis ont largué la bombe sur le Japon en 1945, les scientifiques ignoraient les retombées radioactives, les impulsions électromagnétiques et les risques d’hiver nucléaire. Tout cela n’a été découvert qu’après l’utilisation de l’arme nucléaire.
Le chimiste suisse Paul Mueller s’est vu décerner un prix Nobel en 1948 pour avoir découvert que le DDT constituait un puissant insecticide. De nombreuses années après que l’usage de composé se soit largement répandu, des biologistes ont constaté un phénomène inconnu jusqu’alors : la bioamplification le long de la chaîne alimentaire.
Lorsque l’on a commencé à utiliser des chlorofluorocarbones, personne ne se doutait qu’ils demeureraient dans l’environnement pour atteindre la stratosphère supérieure où les rayons ultraviolets du soleil libéreraient des radicaux libres de chlore. En tant que généticien, je n’ai appris l’effet protecteur de la couche d’ozone que lorsque d’autres scientifiques ont révélé que le chlorure provenant des CFC la détériorait.
Notre connaissance des éléments biologiques, chimiques et physiques de la biosphère, ainsi que de leur interconnexion et de leur interaction, est trop limitée pour nous permettre d’anticiper les conséquences de nos inventions et de nos intrusions. Néanmoins, nous faisons appel à notre créativité pour nous doter d’un monde meilleur par le biais de la nanotechnologie, du génie génétique, de l’intelligence artificielle et des voyages dans l’espace.
Nous avons besoin d’humilité
En fait, c’est d’humilité dont nous avons besoin. Nous sommes intelligents, mais la nature est nettement plus créative. Depuis 3,8 milliards d’années, toutes les espèces ont dû évoluer pour trouver nourriture, eau et énergie, éliminer les déchets, s’accoupler, se reproduire, se protéger des prédateurs et combattre les parasites et les infections. La nature offre une multitude de solutions qu’il nous reste encore à découvrir. Si nous avions l’humilité d’apprendre de la nature, d’utiliser une approche appelée « biomimétisme », nous trouverions des solutions nettement plus nombreuses et efficaces.
La Société canadienne du cancer a récemment affirmé que la moitié de la population serait atteinte d’un cancer. Ce n’est pas normal, mais cela n’a rien de surprenant. Après tout, nous avons synthétisé des centaines de milliers de molécules qui n’ont jamais existé sur Terre. La plupart d’entre elles n’ont fait l’objet d’aucune analyse des effets biologiques, même si des dizaines de milliers de ces molécules entrent dans la composition de produits et dans notre flux de déchets.
Lorsque nous nous rejetons ce vaste éventail de nouvelles molécules dans l’air, l’eau et le sol, nous ne pouvons pas prévoir la manière dont elles interagiront avec les organismes vivants ni leurs conséquences possibles à long terme. Investir toujours plus d’argent dans le traitement et la recherche contre le cancer ne suffira pas pour vaincre la maladie. Pour lutter contre la crise du cancer (parce qu’il s’agit bien d’une crise), nous devons cesser d’utiliser la biosphère comme une poubelle ou un égout pour ces molécules.
En plus de faire preuve d’humilité, nous devrions témoigner notre gratitude à l’endroit de la nature pour sa générosité, une attitude que j’ai apprise des peuples autochtones. Ils reconnaissent la source de leur bien-être, l’air pur, l’eau pure et l’énergie propre, toutes ces choses qui sont créées, nettoyées ou régénérées par le tissu de la vie qui nous entoure. Dans notre monde industriel urbanisé, nous avons tendance à penser que l’économie est la source de toutes choses, de sorte que nous respectons peu les systèmes naturels dont nous dépendons. Il est temps de voir les choses d’un autre œil.
Source: Fondation David Suzuki
17/10/24 à 09h35 GMT