Devrait-on se réjouir des performances en trompe-l'oeil du tourisme mauricien en 2023 ? Sur le papier effectivement, les recettes ont atteint les Rs 86 milliards, soit environ 1,72 milliards d'euros, à comparer aux Rs 64 milliards de 2019. Car il s'agit bien d'un trompe-l'oeil, la roupie ayant perdu 25% de sa valeur et le panier moyen journalier du touriste reste désespérément bloqué à 120 euros par jour, comme un plafond de verre. A titre de comparaison, le montant atteint les 400 euros par jour aux Maldives ! Je note toutefois que la comparaison entre les 2 destinations ne me semble pas totalement pertinente du fait de leur positionnement réel, alors que les instances dirigeantes mauriciennes perpétuent le mythe d'une Ile Maurice réduite à sa plus simple expression touristique, "plage, soleil et cocotiers", modèle figé depuis les années 70, mais pour un temps encore rémunérateur, puisque les plus belles plages sont aujourd'hui la propriété des opérateurs historiques. Demandez à un "Mauricien de la rue" ce qu'il pense de l'accès aux plages mauriciennes ...
Pis encore à y regarder de plus près, il est avéré que les dépenses des touristes en excursions et autre shopping ont reculé et que la prédominance des séjours all-inclusive canalise l'essentiel des recettes vers les hôtels au détriment des petits opérateurs et plus généralement de la population locale, ce qui pose depuis longtemps déjà la question historique de la répartition mauricienne des fruits économiques et de l'inclusion de l'ensemble de la population. Certaines voix s'élèvent également pour mettre en relief le prétexte Covid qui aurait permis de se débarasser du personnel le plus expérimenté et donc le mieux rémunéré afin d'augmenter les profits ... Aujourd'hui, ces mêmes opérateurs se plaignent du manque de main d'oeuvre, à juste titre, mais à qui la faute ? Et avec quelles conséquences sur la qualité de service ?
Or, l'ADN du tourisme mauricien reste justement la gentillesse de sa population. Aujourd'hui, en cette année de plus électorale, elle est en ébullition et il est grand temps de prendre conscience des enjeux qui dépassent largement le seul cadre du tourisme, la question est selon moi sociétale, de mettre en place un plan d'actions visionnaire, difficilement visionnaire certes en cette année 2024 très en alerte chaude de par le Monde, mais qui se doit de jeter les bases d'un tourisme durable, éthique et solidaire dans une société mauricienne multiculturelle, où comme l'écrivait en 2009 Alain Gordon-Gentil dans son roman "Devina", "à Maurice, le mensonge, c'est la paix, la vérité, c'est la guerre". Le choix de privilégier encore plus le volume avec, notamment, cette proposition d'ouvrir 20 hôtels supplémentaires (avec quel personnel ?) et la baisse des prix induite nous fait lentement glisser sur la pente du surtourisme à un moment où le touriste recherche tout sauf cela.
Alors, quel produit "Maurice" proposer ? Et à qui ? La qualité plus que la quantité, bien sûr, mais cela passe également par une refonte du ciblage des marchés. Le marché français reste primordial par exemple du fait de nos liens historique et linguistique. Mais il faut savoir que le touriste français est celui qui dépense en moyenne le moins à Maurice ! Le futur du tourisme mauricien se situe ailleurs qu'en Europe, certainement au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique et se développera durablement (dans tous les sens du terme) grâce à la rencontre et au partage avec l'ensemble de la population locale. Elle est accueillante, solidaire, multiculturelle, tout cela constitue une richesse inestimable dans nos sociétés de plus en plus individualistes, voire nombrilistes. Last but not least, elle a besoin de travailler, de vivre dignement de son travail dans un environnement sain (je pense aussi à l'accès à l'eau) dans une petite île de l'Océan Indien de plus très impactée par le déréglement climatique.
17/10/24 à 09h35 GMT