Des chercheurs de l’IRD, de l’université de Bournemouth et du centre hospitalier de Cayenne viennent d’établir un lien direct entre une maladie émergente en Amérique latine, l’ulcère de Buruli, et le changement climatique. Leur étude montre en effet une corrélation entre les pics épidémiques de cette infection observés en Guyane française depuis 40 ans et les épisodes pluvieux, dont les perturbations dues à El Niño, de plus en plus fréquentes du fait du réchauffement de l’océan Pacifique. Ces travaux lèvent en partie le voile sur les liens complexes entre évolution du climat et émergence de maladies infectieuses.
De nouvelles maladies
Le changement climatique risque d’affecter la santé humaine, de manière directe ou indirecte. Outre les menaces accrues de tempêtes, inondations, sécheresses et canicules, d’autres risques sanitaires se dessinent. En particulier, des maladies nouvelles apparaissent, causées par un agent infectieux (virus, bactérie, parasite) jusque là inconnu ou qui évoluent sous l’effet notamment des variations du climat (changement d’hôte, de vecteur, de pathogénicité ou de souche). Ce sont les maladies infectieuses dites « émergentes » ou « ré-émergentes », comme les leishmanioses, la fièvre du Nil occidental, etc. Celles-ci provoquent, d’après l’OMS, un tiers des décès dans le monde, les pays en développement en première ligne.
Une relation difficile à établir
Plusieurs paramètres peuvent être à l’origine de cette diffusion accrue des pathogènes et de leurs hôtes (vecteurs, réservoirs, etc.). Le changement climatique modifie les conditions de température et d’humidité des milieux naturels et donc les dynamiques de transmission de ces agents infectieux. Il intervient également sur l’aire de répartition, l’abondance, le comportement, les cycles biologique et les traits d’histoire de vie de ces microbes ou des espèces hôtes associées, changeant les équilibres entre pathogènes, vecteurs ou réservoirs. Mais tous ces effets demeurent peu expliqués, notamment parce qu’ils exigent une compréhension de l’évolution spatiale ou temporelle sur le long terme des phénomènes. Il est ainsi difficile d’établir un lien direct entre les variations climatiques et l’évolution globale des pathologies infectieuses.
Baisse des pluies rime avec épidémie
Levant en partie le voile sur cette question, une étude de chercheurs de l’IRD et de leurs partenaires montre pour la première fois la relation, sur une période de 40 ans, entre le changement climatique et les épidémies d’une maladie émergente en Amérique latine : l’ulcère de Buruli. Le réchauffement des températures de surface de l’océan Pacifique tend à augmenter la fréquence des événements El Niño, qui frappe en particulier l’Amérique centrale et du Sud environ tous les cinq à sept ans, provoquant des vagues de sécheresse. L’équipe de recherche a comparé les changements de pluviométrie dans la région avec l’évolution du nombre de cas d’ulcère de Buruli enregistrés en Guyane française depuis 1969 et a observé leurs corrélations statistiques.
De fait, la réduction des pluies et de leurs écoulements entraîne la multiplication de zones d’eaux stagnantes résiduelles, où prolifère la bactérie responsable, Mycobacterium ulcerans. La plus grande accessibilité des habitats marécageux qui en résulte facilite leur fréquentation par les humains (pêche, chasse, etc.) et intensifie ainsi leur exposition au micro-organisme persistant dans ce type d’environnement aquatique. Ce résultat, publié dans Emerging Microbes and Infections - Nature, a été rendu possible grâce à des séries temporelles de données au long terme.
Au regard des conditions pluviométriques de ces dernières années, les chercheurs craignent une possible recrudescence de cas d’ulcère de Buruli dans la région. Au-delà d’une amélioration de la prévision du risque épidémique, ces travaux soulignent la nécessité de prendre en compte un ensemble de paramètres et leurs interactions. Contrairement à l’idée admise, moins de pluies ne signifie pas à coup sûr une baisse de la prévalence de maladies infectieuses comme le montre cet exemple. De même, le réchauffement atmosphérique attendu pourrait offrir des conditions de température impropres au cycle de développement de certains agents pathogènes, comme pour le paludisme en Afrique.
Partenaires
IRD, université de Bournemouth et centre hospitalier de Cayenne. Travaux réalisés dans le cadre du Laboratoire d’excellence Centre d’étude de la biodiversité amazonienne (LabEx CEBA) au travers de son programme BIOHOPSYS sur les liens entre diversité biologique et maladies infectieuses.
Références
A. Morris, R.E. Gozlan, H. Hassani, D. Andreou, P. Couppié, J-F Guégan. Complex temporal climate signals drive the emergence of human water-borne disease. Emerging Microbes & Infections - Nature, 2014, 3, e56. doi:10.1038/emi.2014.56
Photos © IRD / R. Gozlan
Contacts
Jean-François Guégan, chercheur à l’IRD
Tél : 33 (0)4 67 41 62 05
jean-francois.guegan@ird.fr
UMR Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle - MIVEGEC (IRD / CNRS / universités Montpellier 1 et 2)
Aaron Morris, doctorant à l’université de Bournemouth
Rodolphe Gozlan, chercheur à l’IRD
T. : 33 (0)5 94 29 92 62
UMR Biologie des organismes et écosystèmes aquatiques - BOREA (IRD / CNRS / MNHN / UPMC Paris 6 / université de Basse Normandie)
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20/08/22 à 08h30 GMT